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Graphies – Cinéma d’animation au cœur de l’apprentissage de l’écriture

Et si le processus d’apprentissage de l’écriture inspirait un processus d’exploration plastique en cinéma d’animation ? C’est ce que le projet Graphies a proposé d’explorer avec des élèves de première année de quatre écoles de Montréal et de Québec. Durant l’année scolaire 2017-2018, le projet invitait quatre artistes professionnelles à concevoir et animer une série de huit ateliers de création, en collaboration avec deux pédagogues en art. Le projet a été coordonné par Turbine, un centre qui fait émerger des projets artistiques agençant les pratiques actuelles en art et en pédagogie avec des communautés. Graphies a reçu le soutien du programme Appel à projets pour le jeune public du Conseil des arts et des lettres du Québec dont l’objectif général est d’étendre l’accessibilité à la création artistique pour des publics de 4 à 11 ans.

Cette idée pédagogique m’est venue après avoir lu un article dans le journal Le Devoir où l’on expliquait que le système d’éducation finnois allait remplacer l’usage de l’écriture manuscrite, au profit d’une écriture uniquement numérique[1]. Or, Longcamp, Velay, Zarbato-Poudou (2004) indiquent dans une étude réalisée auprès d’élèves de maternelle que l’écriture manuscrite, comparée à l’écriture au clavier numérique, permet de mieux reconnaître les lettres, augmente la mémoire sensori-motrice et favorise davantage l’apprentissage de la lecture. En observant les façons imprécises et exploratoires de ma fille d’entrer dans le monde de la graphie et du dessin, j’ai eu cette idée de proposer un projet qui croiserait l’apprentissage de l’écriture manuscrite à l’emploi des technologies numériques, omniprésentes dans le parcours d’apprentissage de nos enfants.

Les premières lettres imparfaites, gribouillées, écrasées, non-finies, à l’envers ouvrent le champ à des potentiels expressifs fascinants tant pour les enfants que pour les artistes. Ayant pour dénominateur commun la graphie, les contenus artistiques dans chacune des écoles ont été développés en lien étroit avec la pratique en cinéma d’animation de l’artiste impliquée. Ils ont exploré des techniques anciennes et analogiques, en plus d’être initiés à l’animation à l’aide de baladeurs numériques (iPod) et de l’application Stop Motion Studio[2]. Les élèves ont visionné une multitude de courts-métrages d’animation pour illustrer les différentes techniques. En fin de parcours, chacune des artistes a créé un court film d’animation en lien avec son passage à l’école. (Ces films sont disponibles ici : http://centreturbine.org/projet/graphies )

 

Avec chaque artiste, une rencontre unique

Catherine Lisi-Daoust, à l’école Saint-Ambroise (Commission scolaire de Montréal)

Les mots sont au cœur de la pratique de Lisi-Daoust, artiste en arts visuels, qui confronte le médium du dessin à celui de l’écriture en faisant vivre une expérience textuelle des images. Ainsi, l’artiste et la pédagogue ont proposé une série d’activités de création d’animations conceptuelles aux élèves. Autour d’un mot écrit sur une feuille, ils devaient tracer au feutre des traits qui composaient peu à peu un dessin en mouvements qui représentait le sens du mot. Aussi, les élèves ont joué à animer des pièces de carton découpées qui ressemblant à la fois à des lettres et à des images. L’objectif de cette activité était d’écrire des mots ou de dessiner des images au moyen de formes qui jouaient sur l’ambigüité graphique. Toujours dans la trame de la poésie visuelle, l’artiste et la pédagogue ont proposé aux enfants de produire des calligrammes animés, en dessinant par étapes des paysages à l’aide de mots signifiants des couleurs. (Il est possible de consulter les créations des élèves  à ecritureanimee.tumblr.com.)

 

Éléonore Goldberg, à l’école Chanoine-Joseph-Théorêt (Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys)

À l’école Chanoine-Joseph-Théorêt, les enfants ont exploré divers procédés d’animation de dessins au fusain, au pastel, à l’aquarelle et au feutre. Par exemple, usant des propriétés effaçables du fusain et du pastel, les enfants ont expérimenté le phénomène de l’apparition, de l’effacement et du déplacement de lettres et de mots sur papier. Ils traçaient leur lettre ou leur mot, prenaient en photo le résultat à l’aide d’un iPod muni de l’application Stop Motion Studio, puis effaçaient la lettre pour la réinscrire légèrement plus loin sur la feuille. Après avoir obtenu une douzaine d’images de lettres qui se déplaçaient sur la feuille, les élèves pouvaient regarder le résultat dans l’interface de l’application : leur lettre se déplaçait, dansait, sautait dans l’espace de la feuille. Ces techniques sont au cœur du travail d’Éléonore Goldberg qui utilise les traces laissées par les matériaux pour construire le mouvement, l’expressivité et les ambiances. Par des traits de dessins bruts et mouvants, son cinéma s’articule autour de récits sur l’exil, l’immigration et l’identité. C’est ainsi que de fil en aiguille, les enfants ont créé des récits de voyage animés avec feutre sur papier calque. Ils ont animé de multiples moyens de transport qui servaient à faire voyager des lettres d’une ville à une autre, ou d’un quartier à un terrain de camping, par exemple.

 

Marie Valade, à l’école Arc-en-ciel (Commission scolaire de Montréal)

Ce sont les élèves des classes de première et deuxième année combinées de l’école Arc-en-ciel qui ont accueilli Marie Valade. Fascinée par la complexité du mouvement et des procédés expérimentaux, l’artiste travaille des œuvres qui font référence aux thèmes de l’enfance, de la mémoire et de l’identité. La série d’ateliers proposée était ancrée dans les techniques d’animation anciennes autant qu’actuelles. Les élèves ont abordé le cinéma d’animation en fabriquant des folioscopes de lettres, puis en s’initiant aux principes du zootrope et du praxinoscope. Les élèves ont expérimenté le dessin de motifs, de lignes, de lettres, de points au feutre sur pellicule claire en 16 mm, pour leur faire apprécier la plasticité du cinéma d’animation. Ils ont également animé en pâte à modeler des mots qui représentent des onomatopées et essayé la pixilation en animant des mots avec leur corps et comparé les techniques analogiques et numériques en jouant avec la rotoscopie. Les élèves ont fait un tour d’horizon de multiples techniques plastiques et numériques qui leur ont permis de faire le pont entre leurs apprentissages en écriture, leur déploiement graphique et le développement de leur imaginaire.

 

Carol-Ann Belzil-Normand, à l’école Saint-Jean-Baptiste (Commission scolaire de la Capitale)

Artiste multidisciplinaire, Belzil-Normand travaille, entre autres, la céramique, le cinéma d’animation, l’art sonore, la programmation, la sculpture. Avec la pédagogue en art Gaëlle Généreux, elles ont centré les premières activités de création autour des techniques du thaumatrope et du folioscope afin de faire saisir aux élèves les notions de base de la construction du mouvement. Elles ont introduit la dimension sonore, en résonance à la pratique de l’artiste. Les élèves ont été invités à dire à l’unisson les noms de fruits et les onomatopées produits pour l’atelier avec le thaumatrope, pendant que l’artiste les enregistrait. En travaillant avec la notion d’organisation spatiale, les élèves ont créé un arrière-plan sur le thème de la jungle dans lequel ils ont animé un personnage, une lettre modulable en cure-pipe, toujours à l’aide des iPod. En guise de trame sonore de cette courte animation, l’artiste et la pédagogue ont enregistré les enfants criant à l’unisson les lettres représentées dans les histoires. Ces activités ont sollicité le plaisir et la frivolité, tout en permettant des apprentissages structurés.

 

Apprentissages sous le mode interdisciplinaire

Ce projet favorisait le croisement des apprentissages entre les domaines des langues (le français), des arts plastiques et des arts numériques (le cinéma d’animation). Il renforçait et générait des savoirs au plan linguistique (découvrir, écrire ou agencer de nouveaux mots), du développement graphique et conceptuel, et des arts numériques. Il a été un terrain d’intégration des arts plastiques au cœur du cinéma d’animation. Le dessin, l’agencement de motifs graphiques, l’organisation spatiale, la manipulation de la matière pour en faire des objets et des sujets du mouvement s’intègrent naturellement au cinéma d’animation, un «cinéma d’expériences plastiques» (Barrès, 2007).

 

Flexibilité et instantanéité

Les quatre projets ont bénéficié de la flexibilité et l’instantanéité des baladeurs numériques (iPod) et de l’application Stop Motion Studio. Les élèves prenaient des images de leurs dessins, papiers découpés ou pâte à modeler à l’aide de cette application qui immédiatement assemblait ces images en une séquence d’animation facilement exportable. Cette application facile d’utilisation pour les élèves a permis de saisir rapidement les principes fondamentaux du cinéma d’animation. La mobilité et la légèreté permises par l’appareil permettaient aux enfants de bouger, de travailler debout, assis, en marchant.

 

Conclusion

Plutôt que d’être pour ou contre l’usage des technologies tôt dans le cheminement scolaire des élèves, ce projet avait pour objectif de valoriser le croisement analogique et numérique. D’ailleurs, certaines études (Neumann, 2018; Neumann et Neumann, 2014) démontrent que l’utilisation de tablettes peut favoriser le développement de la littéracie chez les petits. Cependant, de futures recherches demandent à être effectuées afin de tirer plus d’efficacité de ces technologies. Dans Graphies, certain.e.s enseignant.e.s ont souligné les atouts des technologies mobiles pour permettre à leurs élèves de voir rapidement le résultat de leur travail. Cet usage est aussi en phase avec leur exposition quotidienne aux technologies. Selon des enseignant.e.s participant.e.s, Graphies a permis de promouvoir l’apprentissage de l’écriture, de développer la motricité fine, d’explorer la manipulation de matériaux et de technologies peu souvent utilisés pour l’écriture et le dessin. D’autres ont souligné l’importance de projets de cette nature pour donner l’accès à la création artistique et aux artistes à l’école. En effet, Graphies était une façon d’introduire les jeunes au cinéma d’animation d’auteurs, différent de la plupart des productions audiovisuelles visionnés au quotidien, les exposant à de nouvelles réalités sociales et culturelles.

Dans un second article, nous verrons comment le cinéma d’animation est un médium qui fait appel à la matière et comment le croisement de l’écriture et des arts plastiques en classe peut devenir une matière à animation cinématographique.

 

Références

Hyperliens vers les films d’animation réalisés par les artistes: http://centreturbine.org/projet/graphies

Barrès, Patrick. (2007). Le cinéma d’animation: un cinéma d’expériences plastiques (L’Harmattan). Paris.

Longcamp, M., Velay, J.-L., Zarbato-Poudou, M-T. (2004). De la plume au clavier : Est-il toujours utile d’enseigner l’écriture manuscrite? Dans E. Gentez et P. Dessus Comprendre les apprentissages : Sciences cognitives et éducation, p. 69-82

Neumann, M.M. 2018. Using tablets and apps to enhance emergent literacy skills in young children. Early Childhood Research Quarterly, 42, p. 238-246.

Neumann, M.M. et Neumann, D. 2014. Touch Screen Tablets and Emergent Literacy. Early Childhood Education Journal, 42(4), p. 231-239.

Perrin, O. (2014, 8 décembre 2014). L’écriture cursive? Connais pas! Le Devoir. Récupéré de https://www.ledevoir.com/societe/education/426067/l-ecriture-cursive-connais-pas

[1] Perrin, O. (2014, 8 décembre 2014). L’écriture cursive? Connais pas! Le Devoir. Récupéré de https://www.ledevoir.com/societe/education/426067/l-ecriture-cursive-connais-pas

[2] Stop Motion Studio est une application pour les tablettes, les baladeurs numériques de type iPod ou les téléphones portables. Elle permet de capturer des images fixes et de les assembler dans une séquence de montage afin de produire des animations.