Archive(s) pour novembre 2020

Enseigner le cinéma expérimental et l’art vidéo aux jeunes, deux exemples inspirants

Le film comme œuvre d’art

Il y a presque 10 ans, j’enseignais pour la première fois le cinéma expérimental et l’art vidéo à l’Université de Montréal. Craignant le désintérêt, voire l’ennui de mes groupes pour ce genre cinématographique en apparence « difficile », j’ai d’emblée décidé de proposer à mes étudiants d’envisager ces productions marginales pour ce qu’elles sont : des œuvres d’art contemporaines. Comme en témoigne l’histoire; des rotoreliefs filmés de Marcel Duchamp (Anémic Cinéma1, 1926), en passant par les Screen Tests2 de Warhol (1964-1966), jusqu’aux projections percutantes de Shirin Neshat (Turbulent3, 1998), le cinéma expérimental et l’art vidéo ne sont pas des produits de grands studios, mais bien d’ateliers d’artistes. Dans cette perspective, mon approche pédagogique a favorisé la prise de conscience des sensations provoquées par les images et le son plutôt que la recherche de sens. La démarche de l’artiste et ses expérimentations techniques ont occupé autant de réflexion dans nos discussions que le produit final. L’absence de récit n’a plus été synonyme de déroute, mais une exploration formelle du mouvement et de la lumière. Libérés de l’impossible question « Qu’est-ce que ça veut dire ? », nous avons pu nous interroger sur le comment et le pourquoi et surtout sur notre réception subjective de ces films.

Pendant ces années d’enseignement, j’ai eu la chance de rencontrer des artistes d’ici qui réalisent des films expérimentaux. Enclins à partager leur passion et leurs techniques souvent inédites, certains d’entre eux participent à des projets éducatifs. Je présente ici deux exemples inspirants afin d’encourager les enseignants d’arts plastiques à intégrer le cinéma expérimental et l’art vidéo dans leurs cours. En effet, ce sont eux les spécialistes du langage visuel, de son histoire et de ses enjeux, mais aussi de ses pratiques, notamment celles plus artisanales. Au Québec, on peut se désoler du peu de place qu’occupe le cinéma dans le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), mais on peut doublement se réjouir de celle qu’il occupe dans la discipline des arts plastiques, où il est recommandé d’aborder l’art vidéo, le cinéma d’art et le film d’animation4 avec les élèves du secondaire. Mais comment aborder la création de films expérimentaux ou d’art vidéo avec les élèves ? Voici ce que quelques artistes pédagogues ont à nous proposer.

Steven Woloshen : art magique et ludisme

Steven Woloshen travaillant sur pellicule dans son atelier (Montréal). Reproduite avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Steven Woloshen est un pionnier de l’art du dessin sur pellicule au Québec. Depuis 30 ans, il réalise des films, à la main, essentiellement abstraits et fortement inspirés par la musique, mais aussi par sa vie personnelle et professionnelle. Son œuvre « est festive, colorée, dansante »5. Woloshen a assisté à la disparition progressive de la pellicule et sentant l’urgence de partager ses connaissances afin de participer « à la survie et à l’effervescence d’un art magique »6, il publie en 2010 Recipes for Reconstruction: The Cookbook for the Frugal Filmaker et en 2015 Scratch! Crac! et Pop! Une méthode simple et conviviale pour réaliser des films sans caméra, un guide pratique sur les techniques de grattage, de peinture et d’effets de collage.

Scratch !

Steven Woloshen (photographe) (2016), Couverture du livre Scratch, Crackle and Pop. A whole grains approach to making films without a camera (Éditions Scratchatopia, Montréal, 2015). Reproduite avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Dans ce guide, l’auteur nous introduit à une démarche complète, simple et par-dessus tout ludique. Par exemple, il propose comme exercice d’introduction le grattage de pellicule avec quelques outils de base (punaises, couteau X-Acto ou tout autre objet pointu) et il nous « encourage à essayer divers outils pour explorer les effets »7 et les textures. On peut « gratter la pellicule d’un photogramme à la fois ou tracer des marques sur plusieurs photogrammes »8, la première option créant plusieurs petits tableaux contrôlés et la deuxième un effet saccadé et désorganisé. En collant la pellicule sur une fenêtre ou une table lumineuse, « vous verrez que [la lumière] explose quasiment à travers le film »9. Grâce à une simple application d’animation image par image pour téléphone ou tablette, on peut photographier et numériser un par un les photogrammes et convertir le tout en film QuickTime. Comme pour tous les exercices du guide, Woloshen termine avec un prolongement ludique : « Essayez ça : quand vous regardez les études photographiques d’Edward Muybridge, êtes-vous capable d’imaginer comment ces images fixes se traduisent en mouvement ? »10. L’auteur nous propose d’utiliser une lampe stroboscopique pour visionner les petits films grattés afin de reproduire l’effet d’obturateur d’un projecteur et de recréer l’impression de persistance rétinienne. Pour se faire, on pose simplement la pellicule sur un plexiglas derrière lequel on pose la lampe. On allume celle-ci et on bouge le film à différentes vitesses.

Steven Woloshen (photographe) (2016), atelier de création collaborative sur pellicule. Lieu : Ville de Mexico (Mexique). Reproduite avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Steven Woloshen (photographe) (2016), atelier de création collaborative sur pellicule. Lieu : Ville de Mexico (Mexique). Reproduite avec l’aimable autorisation de l’artiste.

En plus de ses guides, Woloshen anime des ateliers d’animation sur pellicule, notamment auprès des jeunes. On sent chez lui la volonté d’offrir une approche pédagogique qui refuse les conventions de l’art avec un grand A : « Le meilleur conseil que je puisse vous donner est de faire preuve d’audace et de créativité dans votre pratique. Il n’y a aucune règle dans cette forme de cinéma »11.

Moi mon village : art vidéo et ruralité

Martine Gignac (photographe) (2008), David et Alex pendant le tournage de Nid-de-pie. Lieu : Lac-des-aigles (Québec, Canada). Reproduite avec l’aimable autorisation de l’artiste.

À l’été 2008, Martine Gignac, responsable des projets jeunesse et communauté de Paraloeil (centre de diffusion et de production en vidéo et cinéma, Rimouski), a visité trois villages du Bas-Saint-Laurent en compagnie de trois artistes émergents de la région (Geneviève B. Genest, Julien Boisvert et Myriam Tousignant) afin de « réaliser une vidéo d’art avec les jeunes de la place, en s’inspirant de leurs réflexions et de leur appartenance à leur milieu de vie »12. Pendant cinq jours, ces adolescents « se sont aventurés dans leur propre village pour mieux le réinventer »13, donnant naissance à trois petits récits (Nid-de-pie, Disquathèque, et Diablotron), tantôt poétiques, tantôt colorés, dans lesquels le spectateur découvre les paysages, mais aussi les sons, les objets et gens peuplant ces milieux ruraux.

L’art vidéo pour sortir des clichés

Martine Gignac (photographe) (2008), David, Alex et Félix pendant le tournage de Nid-de-pie. Lieu : Lac-des-aigles (Québec, Canada). Reproduite avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Pourquoi et comment introduire les jeunes de ces villages à la création de vidéos d’art ? En entrevue, Martine Gignac explique que la vidéo d’art avait comme visée de « sortir les jeunes de leur consommation habituelle de l’image »14, souvent concentrée sur la fiction ou le reportage télévisé. Avec la vidéo d’art, les jeunes ne peuvent plus se référer à leur encyclopédie cinématographique personnelle. Se faisant, l’écueil des « clichés malhabiles » était évité. À l’aide de discussions autour de quelques exemples projetés lors d’une rencontre d’introduction avec les jeunes, Martine Gignac et l’artiste invité ont présenté l’art vidéo à travers l’angle de sa « différence », de son altérité face au cinéma de fiction narratif.

Martine Gignac (photographe) (2008), Félix pendant le tournage de Nid-de-pie. Lieu : Lac-des-aigles (Québec, Canada). Reproduite avec l’aimable autorisation de l’artiste.

D’une durée de cinq jours, le projet Moi mon village permettait d’initier les jeunes à la vidéo d’art grâce à une approche learning by doing, mais surtout d’utiliser le cinéma comme outil d’émancipation. Le premier jour, les jeunes étaient invités à réfléchir et à discuter de leurs liens avec leur village sur le mode de la « cueillette », c’est-à-dire en cherchant mentalement des lieux, des personnes et des objets significatifs. La journée suivante était consacrée à la rédaction d’un scénario où ces éléments devaient prendre forme. Grâce au thème de l’appartenance et à la démarche de collecte, les jeunes partaient à la (re)découverte de leur village. Pendant les jours suivants, les jeunes filmaient et enregistraient des sons tout en apprenant les rudiments de la prise de son et d’images. Finalement, ils devaient monter le film avec le soutien de Martine et de l’artiste invité. Étape incontournable à tout projet de film, l’aventure des jeunes se terminait par une projection pour les habitants de leur village. Le résultat donne à voir des images et des sons, formant une identité « rurale » dans laquelle ces jeunes peuvent se reconnaître et dont ils sont fiers. À propos de son village Lac-des-Aigles, un jeune dit à la suite de la production du film : « Ce n’est pas un trou, c’est le plus beau village »15.

Martine Gignac (photographe) (2008) Geneviève B. Genest (artiste), David et Félix pendant le tournage de Nid-de-pie. Lieu : Lac-des-aigles (Québec, Canada). Reproduite avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Conclusion

L’héritage du cinéma expérimental est bien vivant dans le cinéma grand public et retracer ses influences peut être une façon d’introduire en classe certains cinéastes expérimentaux et leurs techniques emblématiques. À titre d’exemple, le générique de Scott Pilgrim Versus the World (Wright, 2010) est un hommage aux films d’animation sur pellicule de Norman McLaren. Par ailleurs, il existe plusieurs organismes au Québec pouvant faire le pont entre des cinéastes ou vidéastes expérimentaux et des groupes d’élèves. Ces lieux offrent parfois de la formation et de la location d’équipement analogique. Introduire le cinéma expérimental et l’art vidéo dans la classe d’arts plastiques, c’est proposer un nouveau corpus contemporain, mais aussi enseigner des gestes transformateurs sur des supports inconnus des élèves et faire découvrir des artistes d’ici.

Martine Gignac (photographe) (2008), Geneviève B. Genest (artiste) et Félix pendant le tournage de Nid-de-pie. Lieu : Lac-des-aigles (Québec, Canada). Reproduite avec l’aimable autorisation de l’artiste.

liens utiles

Pour les livres de Steven Woloshen : https://scratchatopia.wordpress.com
Visionnement en ligne:
Vithèque: https://vitheque.com/fr
RE: VOIR: https://vod.re-voir.com
Filmographie
Karl Lemieux: https://vimeo.com/user9757242
Guillaume Vallée: https://vimeo.com/guillaumevallee
Centres d’artistes
Main film: http://mainfilm.qc.ca
Vidéographe: https://www.videographe.org
Paraloeil: http://www.paraloeil.com

réferences

1 https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cXbk7g5/rbLA45y

2 http://warholscreentest.com/AWM#about

3 https://publicdelivery.org/shirin-neshat-turbulent/#Video_Sussan_Deyhim’s_part

4 Le descriptif du cours optionnel Arts plastiques et multimédia mentionne : « en plus des images analogiques ou numériques fixes, des images spatiotemporelles, sonores ou non, par l’entremise de l’art vidéo, du cinéma d’art et du cinéma d’animation » (PFEQ, 2001, chapitre 8, p. 12).

5 de Blois, M. (2015). Avant-propos. Dans S. Woloshen (dir.), Scratch! Crac! et Pop! Une méthode simple et conviviale pour réaliser des films sans caméra (p. 8). Scratchatopia Books.

6 Steven Woloshen, op. cit., p. 5.

7 Ibid., p. 27.

8 Ibid., p. 28.

9 Ibid., p. 28.

10 Ibid., p. 31

11 Ibid., p. 98.

12 Gignac, M. (productrice). (2008) Moi mon village [DVD]. Paraloeil.

13 http://www.paraloeil.com/services-de-production/films-soutenus/4_moi-mon-village, page consultée le 19 septembre 2019.

14 Entretien téléphonique avec Martine Gignac sur le projet Moi mon village, Montréal, 15 juillet 2019.

15 Gignac, M. et Genest, G. B. (réalisatrices). (2008). The making of Nid-de-pie [film documentaire]. Paraloeil.

Lier les générations par la cocréation: un projet pour briser l’isolement et enseigner autrement

Introduction

Nous sommes quatre étudiantes ambitieuses, inscrites au baccalauréat en enseignement des arts visuels et médiatiques à l’UQAM. Le nouveau cours de Cocréation pédagogique en fablabs, offert par le professeur Martin Lalonde à l’UQAM à l’été 2020 dans un contexte particulier de confinement (Masson, 2020), nous a permis de développer un projet qui nous tient à coeur, et qui a fait éclater nos perceptions de l’enseignement en général.

Nous avons développé le Projet Hologramme en quatre semaines intensives, en grande partie en télétravail (voir Laurendeau et al., 2020). Ce dernier a été pour nous une révélation sous de multiples aspects: les possibilités en pédagogie autres que ce que l’on peut apprendre dans le cadre du programme d’éducation québécois, notre rôle en tant que futures enseignantes, les nouvelles avenues qui se déploient lorsque des enseignants se mettent à travailler en cocréation, ou encore la découverte de ce qu’est le mouvement des fablabs et sa philosophie.

Le Projet

Notre projet s’est dessiné graduellement, guidé par l’envie que nous avions depuis un certain temps de travailler ensemble, et par la volonté de créer un projet éducatif complet, prêt à être exécuté en classe, et répondant à une problématique de terrain réelle.

L’objectif premier du Projet Hologramme est de créer un lien entre les générations. Une rencontre entre les jeunes et les personnes âgées, rencontre qui prend une plus grande importance en cette période de confinement. En créant un lien intergénérationnel, nous favorisons également un lien entre les enseignants, les élèves du secondaire, et le milieu des fablabs (dont il sera question un peu plus loin). Notre idée initiale était celle de sortir les personnes âgées de leur isolement en proposant aux jeunes de reconnecter avec leurs grands-parents. L’expérience commence avec un échange de lettres par correspondance, puis se poursuit avec la fabrication d’une « boite à hologramme », pour laquelle les élèves créent du contenu vidéo personnalisé, que ce soit un diaporama accompagné de musique, une performance, un stop-motion, une animation 2D ou tout autre type de production vidéo. Les élèves doivent partager un message, évoquer un souvenir ou, simplement, faire du bien à la personne âgée qui recevra cette boîte animée.

La rencontre intergénérationnelle

Nous avons donc pu observer, avec notre projet, la rencontre entre deux générations, soit celle de jeunes ayant entre 12 et 14 ans, et celle de personnes âgées (ici plus spécifiquement de femmes âgées entre 65 et 75 ans). Cet aspect apporte une dimension nouvelle en ce qui a trait à la transmission de la culture et au rapport au passé. En correspondant avec une personne qui a vécu la révolution sexuelle, les mouvements hippies ou encore, au Québec, l’expo 67 et le changement de rapport à la langue et à la religion, les élèves du secondaire ont grandement à apprendre. Le fait de devoir réfléchir à ce qui ferait plaisir à une personne en particulier, en se basant sur ses goûts et ses souvenirs, crée un rapport intime avec des fragments culturels bien uniques.

La beauté de la cocréation

La cocréation, c’est l’idée de réaliser un projet en commun en se nourrissant d’échanges soutenus durant le processus créatif. C’est le fait d’allier les compétences en prônant la non-hiérarchisation des participants et des différents champs d’expertise. Il faut partager et être ouvert à la réalité des autres en allant au-delà des initiatives personnelles et en fusionnant les démarches. Il est important de noter qu’en réalisant des projets de cocréation, l’isolement disparait. En travaillant ensemble dans des espaces de travail collaboratif (contrairement au travail individuel), les créateurs peuvent socialiser et développer des affinités, et peuvent ainsi collaborer plus naturellement. 

Nous avons tenté d’adopter en tout temps une approche cocréative, malgré les embûches que la situation de confinement nous a imposées. La constance de chaque coéquipière était ici la clé, afin d’apprivoiser de façon progressive la complexité du projet et favoriser l’évolution fluide de ce dernier. Nous avons mis nos idées en commun et avons maintenu des échanges actifs tout au long de la création. En identifiant les forces de chacune, nous avons divisé le travail également en prenant soin de garder une influence réciproque constante.  

Il est indéniable que nous bénéficierions énormément de notre expérience de travail de cocréation dans notre carrière en enseignement. Allier des compétences différentes, des visions différentes, dans le but d’atteindre un objectif commun et des résultats incroyablement riches devrait être à la portée de tout enseignant. Que nous pensions aux différentes expériences, aux différentes matières et aux différents modes de travail qui habitent les enseignants du primaire et du secondaire; la cocréation entre actrices d’une même équipe-école ou entre actrices de divers milieux ne peut qu’être favorable au milieu éducatif. 

Notre initiation au fablab

Les fablabs sont des organisations qui opèrent des ateliers de fabrication numérique.  Même si chaque fablab est unique, ce type d’organisation peut réunir des techniciens, des artistes, des programmeurs ou simplement, comme c’est le cas la plupart du temps, des citoyens qui désirent apprendre et partager leurs connaissances. Les usagers ont accès à des outils, à des logiciels libres et à des tutoriels de machinerie. Les fablabs agissent comme des laboratoires guidés par un engagement social, dans lesquels l’échange de connaissances, le travail collaboratif et l’accessibilité sont mis de l’avant afin de créer des projets novateurs. Ils permettent aussi à la communauté de réaliser des projets de nature citoyenne, durant lesquels les usagers sont encouragés à partager leurs connaissances avec les autres participants. Afin de soutenir leur mission de développement culturel et d’autonomie sociale, l’objectif des fablabs est la démocratisation de la technologie et des savoir-faire (Fablab Québec, s.d.; fabfoundation, 2020). 

En débutant notre cours d’été, nous n’avions aucune idée de ce qu’est l’environnement particulier d’un fablab. C’est en rencontrant les collaborateurs de ce cours, les intervenants de l’équipe des services éducatifs de la BAnQ et du Square (BAnQ, s.d.; Fondation de BAnQ et Banque Nationale, s.d.), Mathieu Thuot-Dubé et Mathieu Laporte, que nous avons commencé à comprendre qu’est-ce qu’un fablab, et comment cette philosophie de partage et d’apprentissage par le faire nous rejoint. 

Dans un fablab, il n’y a pas de limites, pas de barrières, pas de frontières. Tout est possible, ou presque. On apprend par essai-erreur, on développe des compétences en essayant les outils pour la première fois, et on défriche des voies inexplorées. C’est un peu ce que nous avons vécu nous-mêmes, avec la création du Projet Hologramme. Nous avons essayé des outils nouveaux, avons réfléchi à des solutions inventives à des problématiques sociales concrètes, et nous nous sommes appuyées l’une sur l’autre, avec nos compétences respectives, pour créer. La philosophie du fablab a teinté notre projet, et va sans aucun doute teinter notre façon d’enseigner dans le futur. 

Le rôle de l’enseignant dans le contexte du fablab 

Nous provenons toutes de milieux différents, et avons parfois même un syndrome d’imposteur en étant inscrites en enseignement des arts, parce qu’il nous manque certaines compétences. La découverte de la philosophie du fablab nous a amenées à réaliser que le rôle de l’enseignant tel qu’on le voit traditionnellement n’est pas le plus approprié pour le développement de nouvelles compétences en lien avec les technologies. Le fablab nous a permis de constater que l’enseignant peut jouer un rôle de guide et médiateur dans un projet d’apprentissage, et non un rôle autoritaire qui implique qu’il est le détenteur et le transmetteur de la connaissance. L’enseignant peut découvrir avec ses élèves et apprendre avec eux. Il peut même apprendre de ses élèves, et ces derniers peuvent s’apprendre mutuellement. 

Nous voyons de plus en plus d’articles, de témoignages et d’exemples concernant cette réflexion et cette remise en question du rôle traditionnel de l’enseignant. D’un autre côté, plusieurs enseignants se sentent démunis, voire handicapés, face aux nouvelles technologies qui apparaissent de manière exponentielle dans les classes. Ils sont quelquefois intimidés face à leurs élèves. L’évolution des connaissances technologiques des élèves est très rapide et ce n’est pas rare qu’ils en connaissent davantage que leur enseignant. Le fossé qui sépare l’enseignant de ses élèves est parfois important. 

Avec ces difficultés et le matériel numérique souvent désuet dans les écoles, une ressource comme un fablab permet d’épauler les enseignants désirant trouver des projets qui touchent de près les jeunes, autant par les thèmes abordés que par les médiums utilisés. Les enseignants et élèves peuvent parfaire ensemble leurs connaissances dans les divers domaines technologiques et contribuer selon leurs forces respectives. L’utilisation des logiciels gratuits est avantageuse, car les élèves peuvent poursuivre leur travail créatif au-delà de la classe d’art s’ils ont le matériel disponible à la maison. Il est primordial que les jeunes de tous âges développent leur regard critique sur l’utilisation des médias de masse, et nous osons espérer qu’un telle pédagogie les amènera à se démarquer de manière créative et à produire du contenu unique sur les plateformes web. 

La pédagogie et le fablab

Le Projet Hologramme nous a donc amenées à repenser l’enseignement par les initiatives du « team teaching », de l’enseignement collaboratif, et de la pédagogie par projets qu’il implique.  Les projets basés sur des principes de non-hiérarchie et de collaboration comme ceux des écoles alternatives ou celui des Cercles d’auteurs, à la Commission scolaire des Hautes-Rivières (Cercles d’auteurs, 2020) nous démontrent de façon concrète que le rôle de l’enseignant est appelé à changer, et c’est pour le mieux. Aborder la pédagogie dans les fablabs nous pousse à tester ces nouvelles avenues. 

Il est intéressant de se questionner sur la bonne façon d’enseigner la mécanique du fablab et l’approche par projet en tant que tel. Le format pédagogique du fablab s’apparente beaucoup à la pédagogie des écoles alternatives. Nous croyons que cette façon d’apprendre par projet est bénéfique pour l’élève entre autres, car elle propose autre chose que la simple expérience scolaire inflexible de l’école dite régulière. Tout comme au fablab, le programme pédagogique de l’école alternative utilise le modèle d’apprentissage par projet. Celui-ci sollicite non seulement la créativité de l’élève, mais l’engage aussi dans un parcours où il est maître de ses propres décisions. Il permet à l’élève d’exploiter des thèmes qui lui sont d’intérêt et lui permet de parfaire ses connaissances dans une matière qu’il connait déjà ou d’explorer de nouveaux sujets. Ainsi, l’approche par projet contribue au développement des compétences transversales et permet à l’élève de s’approprier la démarche d’apprentissage. Il s’implique lui-même dans une recherche et une réalisation personnelles, et ce, de façon autonome. Il acquiert des connaissances par l’expérience, la manipulation et l’action. 

La pédagogie du projet n’est pas une activité supplémentaire au curriculum, mais bien la base de ce système. En plus de contribuer aux apprentissages individuels de l’élève, le développement d’un projet suscite la collaboration et la socialisation des apprenants qui utilisent une intelligence collective. Au fablab, c’est en cocréant et en utilisant les forces de chacun que les élèves apprennent. Les élèves qui travaillent en groupe développent des aptitudes collaboratives et non compétitives, en plus de cultiver un sentiment d’appartenance à un groupe. Ils se nourrissent des aptitudes et des découvertes des autres et développent des compétences d’ordres personnel et social. 

Conclusion

Le Projet Hologramme nous a permis de développer un projet au goût du jour qui exploite les nouvelles technologies, tout en faisant le pont intergénérationnel et culturel entre les aînés et les adolescents. Cette cocréation nous a permis de mettre en lumière l’importance du travail d’équipe, en alliant nos forces et connaissances, pour offrir un projet « clé en main » constructif et éducatif pouvant être exploité par les enseignants désirant mettre sur pied un projet en fablab ou instaurer des pratiques plus alternatives en classe. Ce genre d’initiatives, encore largement sous-exploitées dans les écoles, seraient d’abord un bon moyen de diminuer le fossé technologique pouvant exister entre l’enseignant et ses élèves. Elles pourraient ensuite, en étant davantage explorées en milieu scolaire, constituer une très bonne porte d’entrée vers des pratiques enseignantes davantage flexibles où l’élève est mis de l’avant. Finalement, des expériences comme celle vécue avec le Projet Hologramme représentent une approche novatrice pour sensibiliser, promouvoir et favoriser une utilisation éthique des nouvelles technologies tout en mettant le travail collaboratif de l’avant. En mettant en commun les forces de chacun, il est possible mettre en place des projets différents et novateurs. Jeunes et âgés, enseignants et élèves, scientifiques et artistes, nous gagnons tous à cocréer, à collaborer, à évoluer sans limites ni frontières… comme dans un fablab.

Bibliographie

Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). (s.d.). BanQ Éducation. https://education.banq.qc.ca/

Cercles d’auteurs. (2020). Les cercles d’auteurs. https://www.cerclesdauteurs.com/ 

Fablabs Québec. (s.d.). La charte des Fablabs. Dans Fablabs Québec. https://fablabs.quebec/?page_id=10

Fabfoundation. (2020). Getting started with Fab labs. Dans fabfoundation.

https://fabfoundation.org/getting-started/

Fondation de BanQ et Banque Nationale. (s.d.). Le Square. https://square.banq.qc.ca/

Laurendeau, E., Lapointe, L., Guerra Cruz,