Bogue technologique

par Caroline Steele

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Caroline Steele

Enseignante en arts visuels et technologiques

Biographie

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    Ce court article revient sur l’implantation d’activités de création utilisant l’électronique et la robotique en classe d’arts visuels et médiatiques. Comment en sommes-nous venus à intégrer une telle composante dans notre curriculum ? Où se situent les intérêts et les défis pédagogiques d’un tel médium? Comment les élèves ont-ils réagi et quelle a été la valeur des résultats obtenus? Retour sur l’installation dénommée un bogue technologique qui a été réalisée au printemps dernier à l’école de la Cité des Arts. 

    La Cité des arts est un programme d’enseignement artistique établi au sein du Centre des 16-18 ans, un établissement d’éducation des adultes de la commission scolaire Marie-Victorin. Ce programme a été implanté en 2010 dans le but d’encourager la persévérance scolaire et la réintégration socioacadémique des jeunes raccrocheurs. La création artistique représente ici le vecteur principal par lequel les jeunes peuvent découvrir leurs intérêts afin d’être en mesure de réaliser leur plein potentiel. Conséquemment, la diversité des activités d’enseignement et l’écoute des besoins des étudiants représentent les pierres d’assise de l’approche pédagogique des enseignants en place.

    « Moi, j’aime ça travailler avec mes mains »

    Cette phrase que l’on peut entendre régulièrement parmi nos élèves a été pour moi à la base d’un questionnement sur l’introduction de situations d’apprentissages plus tactiles et menant à la réalisation d’objets concrets et fonctionnels. L’art robotique devenait donc une option envisageable pour ma classe en création des arts médiatiques de deuxième cycle du secondaire. Évidement, une telle entreprise engendrait une série d’interrogations sur l’accessibilité d’un tel médium tant au niveau de la gestion de classe que des coûts afférents. Mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour aller chercher nos jeunes?

    Internet regorge de propositions pour ce genre d’activité. Les sites les mieux documentés proposent des activités offrant une liste de matériel, un schéma du circuit électrique, un tutorat vidéo ainsi qu’un guide en étape par étape avec photos; de quoi rassurer un enseignant qui, comme moi, n’avait jamais touché à ce domaine. Les propositions les plus ingénieuses suggèrent l’utilisation des plaques d’essai sans soudure, communément nommé breadboards, et dont la fonction première est de permettre l’expérimentation des fonctionnalités d’un circuit électrique. Parce qu’elles sont faites d’une série de trous en colonnes et en rangées reliées entre elles à la base par un matériau conducteur, ces plaques permettent de facilement permuter et déplacer les composantes sans les briser. Bref, elles supportent l’erreur humaine et il est possible de réutiliser les composantes.

    Si la motivation des élèves à volontairement explorer l’inconnu de leur main dépend du sentiment de compétence qu’ils en tirent au fur et à mesure (Viau, 2005), il aurait été maladroit d’entrer dans la classe avec une série de câbles, de résistances, de transistors et de schémas électriques sans plus d’introduction; il fallait un prototype. C’est donc avec l’aide précieuse des conseillers des boutiques en matériel électronique que j’ai été en mesure de faire des choix efficaces quant aux pièces et composantes que j’allais utiliser dans la réalisation de mon prototype.  Mon objectif était de développer un modèle adapté aux compétences de mes élèves. Je me suis dite que si l’oeuvre était assez ludique, il y aurait de bonnes chances que les élèves proposent eux-mêmes leur propre approche.

    La réalisation du prototype fut la première étape de réalisation. En plus de me familiariser avec l’activité demandée aux élèves, cela m’a permis de prendre des photos du processus afin de créer un aide-mémoire pour les élèves et de noter les difficultés. C’est au moment où les élèves étaient sur le point de terminer un projet que je l’ai apporté en classe pour la première fois.  En s’amusant avec le prototype, ils ont vu où je voulais en venir. Le robot suivait la lumière, même celle de leur téléphone cellulaire.

    « Ouin mais…  c’est -tu de l’art, ça, madame ? »

    L’assemblage de circuits électriques relève traditionnellement de la classe de science et technologie. Jusqu’à aujourd’hui, ce genre d’activité a été associé aux cours de cette discipline pour le potentiel pédagogique en ingénierie électrique qu’il renferme. Pourtant, force est de constater que l’électronique jouit d’une place de choix au sein de la communauté artistique actuelle. On peut rapidement penser aux oeuvres des canadiens Reuel Dechene, Peter Flemming, Bill Vorn et Jean-Pierre Gauthier. Alors le défi ici était de savoir comment inscrire un atelier de robotique à l’intérieur d’un cours d’art visuel en se distinguant nettement de l’approche déjà en place dans le programme de science et technologie? J’ai pu convaincre mes élèves en leur expliquant que le prototype de robot que je leur avais présenté était en fait une oeuvre tridimensionnelle ajoutée de fonction mécanique et électrique. C’est comme style genre : une sculpture…

    Cependant, discuter d’appropriation avec les élèves n’est pas une fin en soi. L’enseignant qui voudrait proposer une activité d’art électronique telle que celle décrite jusqu’à maintenant doit être capable d’évaluer les compétences techniques de ses élèves, les gestes transformateurs par exemple.Il doit aussi être en mesure de créer un retour réflexif sur les oeuvres présentées. Mais comment une telle activité où la composante technique est très poussée et où les liens interdisciplinaires sont nombreux et nécessaires s’inscrit-elle dans le programme de formation générale des arts du MELS?

    Pour les enseignants en arts plastiques, affilier un atelier d’art électronique à une activité parallèle offre une possibilité concrète de se référer aux documents Connaissances et utilisation des connaissances de la progression des apprentissages au secondaire (MELS, n. d.). D’ailleurs, une telle situation d’apprentissage devient d’autant plus pertinente si elle fait réfléchir l’élève à l’objet et sa fonctionnalité, si elle le mène à générer plus d’un type de production ou le porte à explorer les repères culturels propres à ces pratiques et ces mouvements. Par exemple, une proposition d’installation artistique peut se traduire par la réalisation d’un dessin, d’une affiche d’instructions, d’une maquette, d’une modélisation 3D, ou par la documentation vidéo d’une performance artistique. Il suffit ici de toujours demeurer en lien avec l’objet de recherche à la source du processus artistique.

    « Est-ce que ça vous tente d’en faire un? »

    Après une présentation sur la sculpture et sur les artistes oeuvrant dans le domaine des arts électroniques mentionnés plus haut, nous avons fait une activité de vocabulaire. Seuls ou en équipe de deux, les élèves ont reçu une feuille dont l’espace était découpé en plusieurs rectangles, à la manière d’une B.D. Chaque rectangle contenait le nom d’une composante ainsi qu’une définition de leur fonction. Ils ont ensuite reçu leur sac de matériel. Le but de cette activité était de placer les bonnes composantes dans les rectangles appropriés. Une compétition amicale s’est installée dans la classe et les élèves ont ainsi mémorisé le vocabulaire technique nécessaire.

    Après une démonstration de l’assemblage en étape par étape, toujours en utilisant le vocabulaire adéquat et en leur demandant la fonction de chacune des composantes sur le circuit, les élèves ont reçu un aide-mémoire du processus. C’est avec ces ressources qu’ils ont réalisé leur robot à leur rythme et avec le degré d’assistance dont ils avaient besoin.

    La dernière activité portait sur la réalisation d’un plan d’installation artistique à l’échelle pour la présentation des robots lors d’une exposition. Les élèves devaient considérer l’espace, le matériel dont nous disposions à l’école et l’attrait des visiteurs. Plusieurs ont dessiné, d’autres ont fait un modèle 3D sur Sketchup et certains ont réalisé une maquette. Les élèves savaient qu’ils auraient ensuite à choisir quelle proposition était retenue pour l’exposition.

    « C’est ben trop dur ! »

    Les services de support aux étudiants étant en diminution, il est logique de se demander si c’est une bonne idée de développer des situations d’apprentissages qui nécessitent beaucoup de suivi individuel. La différenciation pédagogique est une préoccupation importante pour les enseignants du secteur de l’éducation des adultes, et ce, à tous les niveaux. Par exemple, dans notre établissement, nous avons au sein d’une même classe des élèves de différents niveaux et dont la grande majorité d’entre eux présentent des difficultés d’apprentissage et/ou ont des besoins particuliers. Une activité d’art électronique peu, à priori, sembler une mauvaise idée dans ce contexte. Cependant, il est important de rappeler qu’à partir de la même leçon, il est possible de diversifier les objectifs pédagogiques, et ce, sans trop suer…

    Brièvement, l’enseignant peut proposer différents modèles de robots, c’est-à-dire différentes fonctionnalités. Il peut réunir ces élèves en équipe par distribution des compétences et il peut remettre différents types d’aide-mémoire avec plus ou moins de détails allant par exemple du simple schéma électrique à la combinaison plus complexe de schémas multiples, de graphiques et de photos. Il démontrera ainsi une grande flexibilité au niveau des activités parallèles et des résultats qui peuvent découler de la proposition de création initiale, tant au niveau du processus que de l’objet qui en résultera.

    Dans un registre technique plus précis, je dois souligner ici que l’adaptation et la modification des composantes électroniques et de leur assemblage sont probablement les deux plus grands facteurs de difficulté durant les activités de classe. L’essai erreur est le mot d’ordre pour ceux qui désirent explorer plus en avant, et beaucoup de patience sera nécessaire pour que l’on entende finalement : « ça marche ! » C’est pourquoi un modèle plus simple peut être proposé à la base de l’activité. Les robots dont le mouvement résulte des petits moteurs à vibration, comme dans le cas de mon exemple décrit plus haut, sont très accessibles pour une entrée en la matière. Ceux qui se sentent prêts pour plus de défis peuvent aller vers des systèmes hybrides réunissant différentes technologies. Par exemple, les composantes d’un modèle complexe peuvent être soudées sur une plaque perforée ou directement reliées entre elles. L’étape nécessaire demeure presque toujours de tester chacun des systèmes sur une plaque d’essai.

    TADAM!

    Le simple fait de passer d’une boite de diverses composantes en bataille à un objet électronique fonctionnelle représente une réussite significative pour tous les types d’étudiants. La robotique est un terme qui effraie et qui donne l’impression de n’appartenir qu’aux initiés. Mais il suffit d’y mettre la main pour se rendre compte que ce n’est pas du tout le cas et que le potentiel est grand pour l’ouverture et l’avancement des perspectives pédagogiques en arts visuels et médiatiques.

    Les élèves participants ont eu beaucoup de plaisir à démontrer et expliquer l’ensemble du processus à leurs collègues de l’école et aux visiteurs venus pour l’exposition de fin d’année. Ce sont eux qui ont démystifié la méthode électronique auprès du public et cela représente un acquis important auprès d’une telle population étudiante et dans un contexte ou de nouvelles avenues de recherche sont explorées avec leur concours. Proposer des robots lors d’une exposition artistique de fin d’année représente aussi une manière originale d’engager les visiteurs envers la production artistique des jeunes. Tandis que certains se contentent d’observer, d’autres ne se gênent pas pour manipuler ces étranges objets animés, et c’est précisément de ce dialogue entre exposants et public que surgissent des idées, des propositions, des suggestions et des pistes de recherche pour la continuation du travail de création artistique robotique de groupes classes de la Cité des arts.

    Réunir les différentes productions électroniques des élèves sous un même thème a rendu notre installation très attrayante au point de vue ludique. Ici, tous les modèles avaient l’aspect d’insectes, chacun se déplaçant et réagissant différemment aux stimuli lumineux. Ensemble, ils grouillaient aléatoirement, les uns influençant occasionnellement la trajectoire des autres, mais bourdonnant tous d’une même fréquence; nous sourions ici à la métaphore de la classe elle-même. Des bogues technologiques, une installation artistique où les jeunes ont pris une part active aux investigations curriculaires de leur milieu.

    Bibliographie

    Viau, R. (2005). La motivation en contexte scolaire. De Boeck Supérieur.

    Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec. (n.d.). Progression des apprentissages au secondaire. Récupéré de http://www1.mels.gouv.qc.ca/progressionSecondaire/domaine_art/artsPlastiques/index.asp

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