Dialogue à propos des nouvelles modalités de création en classe d’art

par Andrée-Caroline Boucher et Christine Faucher

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Andrée-Caroline Boucher et Christine Faucher

et Christine Faucher

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    Comment s’arrime la création artistique actuelle à la Discipline des arts plastiques du programme de formation de l’école québécoise? Depuis plusieurs années, on observe l’apparition de nouveaux gestes transformateurs, en classe d’art, associés à l’essor des nouveaux médias, à la culture juvénile et à la transformation du champ de l’art. Mais les enseignants spécialistes en arts sont-ils suffisamment outillés pour favoriser, soutenir et évaluer une démarche de création des élèves inclusive des procédés émergents ? L’évaluation des compétences reposant sur des savoirs modernistes, comment encourager un enseignement des arts actualisé tout en tenant compte du programme ? Andrée-Caroline Boucher, conseillère pédagogique au Service national du RÉCIT (domaines des arts), doctorante en Études et pratiques des arts à l’UQAM et Christine Faucher, professeure à l’École des arts visuels médiatiques de l’UQAM, ont réfléchi ensemble à ces questions. Dans ce dialogue[1], elles s’interrogent également sur l’avenir de l’enseignement des arts plastiques au Québec. Le temps d’une mise à jour est-il venu pour la Discipline des arts plastiques du programme de formation des élèves?

    CF – Comme conseillère pédagogique et conceptrice proactive au RÉCIT, tu as vécu la transition vers le numérique, et ce, dans un contexte où le repérage de technologies recelant un potentiel pédagogique en classe d’art n’était pas l’unique défi à relever. En effet, selon Stéphane Vial (2013), la révolution numérique n’est pas seulement une aventure technique, elle est aussi philosophique puisqu’elle reconfigure notre sens du réel. De plus, les jeunes, qui ont initié la révolution numérique selon Fize (2008), sont continuellement en contact avec des technologies qui prolongent leurs sens, fragmentent et exposent leurs identités (Richard, 2006, p. 1).  Tenant compte de cette réalité cruciale en enseignement des arts, Moniques Richard[2] a « exploré une pédagogie cyborg à l’aide de diverses technologies de soi (Foucault, 1988), où l’on apprend en se prolongeant dans un substrat matériel — tel le sol qui résiste sous les pieds du marcheur débutant — et dans un corps social — comme les bras d’un parent qui se tendent pour lui faciliter la marche (p. 106). Que l’on se réfère aux idées de Vial ou à celles de Richard, la technologie n’est pas envisagée comme un simple outil car elle transforme notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes. Puisque tu es sensible à ce type de réflexion – dont l’impact de la technologie sur la cognition l’affecte, les sens – c’est dire la complexité des enjeux avec lesquels tu as dû composer ! De surcroît, les gestes mobilisés couramment sur les plateformes numériques, tel le copier/coller, induisent un rapport postmoderniste[3] à la création artistique. Notre programme est pourtant moderniste et tu es conseillère pédagogique ! Quelles solutions – conceptuelles et pratiques –  as-tu trouvées pour connecter tout ça et faire sens dans ta pratique quotidienne ?

    ACB – Pour concilier mon accompagnement, propre à la formation continue, à une approche postmoderniste, je m’inspire simplement des pratiques d’artistes en art actuel (compétence CRÉER images personnelles) ou de designers graphiques (Compétence CRÉER images médiatiques) ainsi que de la littératie médiatique multimodale que nous retrouvons de façon omniprésente dans notre univers numérique. Dans ce contexte, je remarque de nouveaux « gestes transformateurs » chez les artistes :

    • coller/copier, dénaturer, pasticher, détourner, parodier, ironiser, citer, critiquer, décontextualiser, coller, mixer, mélanger…

    De façon semblable, pour le designer, on observe les gestes suivants :

    • calquer, retoucher, déformer, emprunter, modifier, ajuster, sublimer, améliorer, déconstruire…

    En effet, le postmodernisme est né de l’architecture et du design : en 1977, l’architecte Charles Jencks publie Le Langage de l’architecture postmoderne. C’est l’une des toutes premières utilisations du mot où ces notions d’emprunt à l’histoire de l’art et à la culture populaire sont explicites.

    Puisque ces gestes existent depuis de nombreuses années chez les professionnels, pourquoi ne pas les exploiter aussi chez les jeunes ?

    Dans cette perspective, je tente de me délester de la censure et des interdits « modernistes » :

    • ne pas calquer
    • ne pas copier
    • ne pas emprunter d’images
    • ne pas transformer d’image authentique
    • ne pas tracer avec une règle
    • ne pas exploiter le cliché (de façon ironique)
    • ne pas utiliser la gomme à effacer
    • ne pas utiliser le crayon à la mine
    • etc.

    Concrètement, puisque les technologies le permettent de façon fluide et naturelle, je m’autorise, ainsi qu’aux enseignants que j’accompagne, de :

    • calquer pour obtenir une image qui correspond à mes attentes et qui est rapidement comprise par les destinataires (Compétence CRÉER images médiatiques + Littératie médiatique multimodale)
    • transformer des images existantes en citant les auteurs de l’œuvre originale
    • pasticher des œuvres avec mon propre geste (Compétence INTERPRÉTER des images ?)

    Il est clair que les technologies ne sont plus de simples outils, prolongement de notre main, mais plutôt des catalyseurs puissants qui changent notre façon de penser et même notre rapport au réel. Plusieurs études le prouvent, dont celles de Sparrow, Lui, Wegner (2011) qui affirment qu’internet est devenu un module externe de notre mémoire où l’information est stockée collectivement. Nous avons moins tendance à retenir des informations qu’auparavant, sachant que nous avons accès à l’intelligence collective de façon quasi immédiate. Nous n’avons qu’à nous connecter à notre petite boîte lumineuse pour avoir accès à la connaissance. Ce n’est qu’un exemple des nombreux changements que les technologies génèrent en nous.

    Et toi, quelle est ta solution « conceptuelle » en ce qui a trait à ton enseignement en formation initiale ? Aussi, je me questionne quant à la notion d’authenticité dans ce contexte.  As-tu une position à ce sujet ?

    CF – Merci pour ta réponse qui nous fait entrer de pleins pieds dans la création artistique actuelle et ses modalités multiples, j’y reviendrai. En 2006, j’ai écrit un texte où je faisais part de mes interrogations au regard du programme de formation des élèves (2001, 2006, 2007) et de mon rôle d’enseignante (alors chargée de cours et superviseure de stage) à la formation initiale, profil enseignement au Baccalauréat en arts visuels et médiatiques de l’UQAM. D’une part, je constatais que la vision de l’art de la Discipline des arts plastiques dans le programme était plutôt postmoderniste dans sa présentation générale (ex. : l’image peut être « concrète ou virtuelle, durable ou éphémère » (p. 399), qu’elle se
« révèle à partir de différentes techniques que les artistes ont décloisonnées » (Ibid.)) et dans la présentation du répertoire visuel qui avait été élargi : outre l’étude des grandes périodes de l’histoire faisant référence à l’art savant, on a introduit la question des images médiatiques telles que l’affiche, les pochettes de disques compacts ainsi que les productions télévisuelles : publicités, vidéoclips, dessins animés, etc. (p. 414). D’autre part, j’observais que les critères d’évaluation de la compétence « créer des images personnelles » étaient surtout modernistes et souvent centrés sur le résultat plutôt que sur le processus (p. 405) (ex. : traitement personnel du langage plastique ou réalisation authentique intégrant des éléments originaux et expressifs)[4].

    Selon Efland (1995), un curriculum (ou programme de formation) qui inclut l’enseignement des arts est nécessairement fondé sur une conception de l’art, que celle-ci soit explicite ou non. Dans le cas de notre programme de formation, la conception de l’art est plutôt moderniste, et ce, malgré une ouverture vers le postmodernisme dans la présentation de la Discipline des arts plastiques. En effet, quand vient le temps d’établir les critères d’évaluation, les caractéristiques du modernisme sont mises de l’avant. Les critères d’évaluation que nous établissons ne reflètent-ils pas ce qui a une réelle importance à nos yeux ? Les principes modernistes, fondés sur le langage plastique (s’appuyant sur les travaux de Johannes Itten par exemple), guident-ils encore les pratiques pédagogiques des enseignants en art du XXIe siècle comme le prétend Olivia Gude ?

    Prof d’art très dynamique à Chicago, Gude a publié un article en 2004 où elle identifiait huit principes postmodernistes caractérisant les œuvres de ses élèves et celles des artistes contemporains. On ne peut plus, selon elle, fonder l’éducation artistique sur des principes posant sur les œuvres d’art un regard axé sur le formalisme, sans égard pour le contenu ou le sens.  À son avis, les pratiques artistiques d’aujourd’hui hybrident les univers visuel et conceptuel ; les sujets sociaux, souvent traités par ses élèves, sont également essentiels à considérer (p. 8).  Les différents principes identifiés par Gude sont les suivants : 1) appropriation, 2) juxtaposition,  3) recontextualisation,  4) superposition (layering), 5) interaction texte-image, 6) hybridité, 7) regarder (gazing) et représenter (representin’). À titre d’illustration, la juxtaposition consiste à créer des chocs familiers, à en tirer profit sur la plan artistique. Saisir, dans la culture visuelle et médiatique, les rencontres percutantes où images et objets, provenant de divers domaines et sensibilités, se combinent sous la forme de « conflits » aléatoires ou intentionnels. L’interaction du texte et de l’image, quant à elle, vise à explorer la disjonction entre les modes textuel et visuel comme source de sens.  Apprendre à ne pas exiger une correspondance littérale entre ces signifiants dans l’appréciation et la création artistique.

    Plus tard, Ee 2010, Paul Duncum, professeur en éducation artistique à l’Université de l’Illinois, a reconceptualisé les sept principes de Gude. Les « faisceaux » actualisés que Duncum propose, dont certains recoupent ceux de Gude, permettent d’éclairer la culture visuelle et la création contemporaine dans leur extrême foisonnement.  Duncum présente ces principes comme des points de départ (un embryon de « gabarit » pour un éventuel programme de formation en art ?). Ces principes sont : 1) pouvoir, 2) idéologie, 3) représentation, 4) séduction, 5) regard (gaze), 6) intertextualité et 7) multimodalité. Ces sept principes, tous interconnectés, reposent sur le premier : pouvoir. En effet, les images émanent toujours d’un contexte (social, politique, etc.) où diverses forces font la promotion d’idées, de croyances, d’intérêts, etc. L’intertextualité (par ex. la structure rhyzomatique de l’hypertexte) permet d’explorer les autres principes, dont celui de multimodalité. Plonger dans la multimodalité c’est se rappeler sans cesse que images sont rarement purement visuelles. Elles sont souvent accompagnées de textes, de sons, de gestes… qui ancrent leurs significations, et ce, a fortiori dans le contexte culturel, médiatique et sociétal actuel : mondialisé, hyper connecté et hautement participatif (on est bien loin des sept types de contraste de couleur de Itten visant surtout à mieux comprendre la peinture moderniste abstraite!).

    Il va sans dire que le programme de formation et ses critères d’évaluation ne facilitent pas la prise en compte des principes postmodernistes mis de l’avant par Gude ou Duncum, ni des gestes transformateurs que tu as énumérés. Il importe donc de réfléchir à de nouveaux « principes » et critères (Karen Keifer-Boyd, 2005) afin d’évaluer et éclairer le travail de création qui émerge du monde de l’art et des pratiques de création informelles des jeunes. Cette réflexion serait grandement enrichie par la prise en compte des résultats de recherche de l’équipe dirigée par Moniques Richard (dont j’aimerais traiter prochainement dans ce texte).

    Alors que certaines avancées ont été réalisées sur le plan pédagogique (se centrer sur le « comment apprend l’élève », sur des situations d’apprentissage qui développent ses compétences), sommes-nous plutôt demeurés dans le passé sur le plan de l’art ou restés « accrochés » à la tradition des arts plastiques ?  Dans la présentation de notre présent dialogue, nous posions la question : « comment s’arrime la création artistique actuelle à la Discipline des arts plastiques du programme de formation? ». Nous constatons que l’arrimage programme officiel-pratiques émergentes est problématique. Mais comment qualifier l’art qui se fait aujourd’hui ? Pour résumer à gros traits, disons qu’il est multiforme et multi-tendances. Le contexte, la mise en espace, le rôle participatif du spectateur-créateur sont primordiaux.  L’art brouille les frontières et se déploie au-delà de l’écosystème culturel. L’art se retrouve de plus en plus là où on s’y attend le moins… De l’artiste œuvrant en solo sur une production centrée sur un résultat plastique (un objet concret), le rôle des artistes actuels s’est transformé (le modernisme est loin derrière nous en art !). En effet, les pratiques artistiques d’aujourd’hui sont plus collaboratives et performatives. Grandement axées sur le processus, plusieurs de ces pratiques recourent aux modalités de création que tu as listées précédemment (bricolage, appropriation, déconstruction, remake ou reprise…) en les hybridant et font de même avec les modes (visuel, écrit, sonore, kinesthésique…), les espaces (numérique, analogique, privé, public, liminaire …), les formes (collection, réseau, intervention…), les genres (fiction, documentaire…), etc.. Les pratiques sociales de l’art, les arts médiatiques, l’art de la performance (dont le re-enactment[5]) ou le bioart – pour ne nommer que ces formes d’art – sont d’une richesse inouïe[6]. N’est-il pas crucial que les enseignants en art s’y alimentent prioritairement ? Et j’ajouterais : en établissant des liens fréquents entre ces formes d’art émergentes et la culture des jeunes ? Car au décalage que nous avons évoqué (entre le programme de formation et l’art qui se fait aujourd’hui), s’ajoute celui entre le programme et la culture juvénile (quand je parle de culture juvénile, j’inclus les dimensions ethniques, sociales et identitaires : les trajectoires de vies des élèves. Je rêve d’un programme qui favorise, par l’art, un réel rapprochement entre ces univers).

    Tu me demandes aussi « quelle est ta position face à la notion d’authenticité dans ce contexte ? ». Tu devineras ma réponse : le terme personnel m’apparaît plus en phase avec les sensibilités artistiques actuelles que celui d’authentique. Une autre logique sous-tend le paradigme actuel, c’est elle qui devrait orienter nos intentions et actions pédagogiques. À tire d’exemple, le processus de création, avec ses trois phases et trois mouvements (Gosselin, Potvin, Gingras et Murphy, 1998), peut-il être envisagé de manière postmoderniste ? Pourquoi pas ! Il engloberait alors les gestes transformateurs que tu as énumérés précédemment ainsi que d’autres modalités de création tels le mimétisme, l’hybridation, l’observation, le tâtonnement, la transposition, l’expérimentation, l’improvisation, la résolution d’un problème, etc. (Richard, 2015). Ces modalités de création élargies sont d’autant plus pertinentes si l’on tient compte des pratiques des artistes et des jeunes d’aujourd’hui (mashup, remix collaboratifs, performances parodiques…). Ces pratiques s’éloignent d’une vision de la démarche de création purement individualiste axée sur l’intériorité du sujet (dimension psychologique).

    Dans un tel contexte, on pourrait se poser ces questions : qu’est-ce qui rend une production artistique personnelle ? Quel type d’enseignement favorise la création artistique personnelle des élèves tout en mettant de l’avant des modalités de création selon un éventail étendu au diapason des pratiques artistiques les plus actuelles ? Quels critères pour évaluer de telles productions artistiques ? Par exemple, quand on parle de calquer une image ou de dessin d’après modèle, on fait appel au modèle mimétique (Efland, 1995). Mais comment recourir à ce modèle – honni par le modernisme – tout en favorisant la création de l’élève ? se demandent probablement plusieurs spécialistes en arts plastiques. En d’autres termes, comment réhabiliter le mimétisme de manière pédagogique et féconde dans la classe d’art ? (Il y a une différence considérable entre contrefaçon et détournement efficace, entre copie servile et (ré)appropriation signifiante.) Qu’est-ce qui caractérise un emprunt pauvre, un emprunt riche et réussi ? Comment envisager la création de manière actuelle sans sa couche de vernis romantique, liée à une vision de l’enfance dont la pureté doit être préservée de toute contamination ?[7] On souhaite pourtant que les élèves développent des compétences dont celles de créer et apprécier des images médiatiques avec distance critique, ce qui sous-tend qu’ils développent, de manière optimale et le plus tôt possible, tant leur autonomie, leur force intérieure, leur inventivité que leur pouvoir d’action. On s’inscrit alors dans une logique qui s’éloigne de l’infantilisation des élèves (vouloir constamment et à tout prix les protéger, en sous-estimant leurs capacités).

    Pour éclairer notre réflexion, outre les diverses modalités de création postmodernes, j’aimerais faire appel à la définition de la création hybride multi/transmodale de Moniques Richard qu’elle a partagé lors de sa présentation au dernier congrès de l’AQÉSAP 2017 : « manières d’agencer des éléments sensoriels/sémiotiques provenant de diverses sources pour évoquer un certain rapport au monde ». Dans cette optique d’évocation d’un « certain rapport au monde », l’élève engage certes sa propre sensibilité, mais il ne part pas d’une page blanche : il combine des éléments issus de divers types de cultures, incluant souvent des emprunts directs aux cultures de masse ou populaire (Richard, 2005). On n’est alors pas loin de la compétence interpréter en arts visuels que tu as proposée précédemment. Le modernisme dit non à tout cela ; le postmodernisme pédagogique dit oui, mais à condition que le processus implique une réelle transformation de la part de l’élève, un réaménagement signifiant et pertinent des éléments. Mais comment évaluer cette démarche qui peut sembler fort complexe ? Il est alors tentant de se réfugier dans le modernisme avec ses catégories et ses règles claires. J’ai le sentiment que plusieurs enseignants spécialistes en arts plastiques, qui rejettent la copie, souhaitent pourtant la même chose que nous : qu’au final les productions artistiques des élèves soient personnelles, inventives et investies de leurs sensibilités singulières. Dans ces conditions, n’y a-t-il pas moyen de nous rejoindre ?

    Pour revenir à ta question : j’ai commencé à enseigner à l’Université en 1998 : c’était la fin d’une époque. J’ai donc, d’une certaine manière, vécu moi aussi une période de transition.  Durant les années 2000, passionnée par les pratiques artistiques actuelles et les pratiques culturelles juvéniles, je ne peux pas dire que je trouvais le contexte toujours facile en ce qui a trait à la formation initiale des spécialistes en arts visuels, mais il fallait faire avec. Cela signifie d’encourager les étudiants à saisir le sens de leur mission (l’importance du rôle qu’ils seront appelés à jouer auprès de leurs élèves), de les initier à des modèles en enseignement des arts novateurs, de les inviter à se situer de manière critique face aux courants qui les ont précédés, et ce, tout en s’assurant qu’ils saisissent bien la demande pédagogique du PFEQ. On parlait plus tôt d’appropriation dans le processus de création. Or, l’appropriation est également primordiale chez les enseignants en arts plastiques au regard du programme de formation : s’approprier le programme, c’est le rendre vivant, le faire sien. Voilà la condition essentielle du changement dans le milieu scolaire : passer par les précieux acteurs que sont les enseignants en art. Je terminerai ma réponse en formulant un vœu : que le prochain programme soit rédigé par toi et Moniques Richard !

    D’ici là, qu’est-ce qui peut être fait concrètement pour outiller les enseignants spécialistes en arts qui veulent tenir compte de ces modalités de création plus étendues ? Est-ce qu’un guide pédagogique sur les stratégies d’emprunt, de parodie, de détournement artistique (etc.) chez les élèves du secondaire est envisageable ?

    ACB – D’abord, merci pour ton vœu ! J’espère sincèrement qu’il se réalisera ! – Oui, je pense que nous sommes rendus à une étape où il serait important d’outiller les enseignants.

    Lors du congrès de l’AQÉSAP 2017, j’ai animé un atelier qui abordait la multimodalité et le skecthnoting. Dans cet atelier nous travaillons en profondeur l’image médiatique. Les participants par eux-mêmes ont relevé la nécessité de permettre de nouveaux « gestes transformateurs ». De la même manière, à travers différentes rencontres avec des enseignants à travers le Québec, j’ai pu colliger des questionnements concrets qui revenaient régulièrement :

    • Calquer peut-il être un geste de création ?
    • Calquer peut-il être associé à une compétence « interpréter » ?
    • Calquer peut-il être utile dans une perspective de littératie médiatique multimodale ?
    • Calquer peut-il être utile dans une image médiatique ou le message doit être clair auprès des destinataires (intention de communiquer) ?
    • Calquer devrait-il être réservé aux adultes, aux artistes professionnels et aux designers graphiques ?
    • Calquer est-il un geste postmoderne ?
    • Calquer est-il un geste qui pourrait briser la création, le geste spontané ou l’authenticité chez l’élève ?
    • En sachant que l’élève calque par lui-même dans sa pratique culturelle personnelle de jeune, est-il préférable de l’éduquer, de le conscientiser ou de lui interdire de calquer en classe ?
    • Avec les technologies, emprunter, détourner, copier, calquer, transformer, éditer, retoucher, détruire, reconstruire des images existantes est une pratique commune. Devrait-on exploiter ces gestes en classes d’art ?

    On pourrait avoir autant de questions en remplaçant le verbe calquer par : coller/copier, dénaturer, pasticher, détourner, parodier, ironiser, retoucher, éditer une image existante.

    Maintenant, pour outiller ces enseignants, faudrait-il revoir carrément le programme ? Revoir les intentions des compétences ? Envisager d’intégrer la compétence Interpréter des images ? Ajouter de nouveaux gestes transformateurs ? Introduire la notion de littératie médiatique multimodale ? Développer des compétences et des démarches au niveau du respect du droit d’auteur ?, etc.  À cet égard, je me suis permis d’explorer de nouvelles dynamiques dites « branchées » d’appréciation et de création inspirées de ce que j’appelle les apprentissages branchés dont font partie le connectivisme et le « connected learning ». Voici mes schémas exploratoires interactifs :

    Figure 1 : Dynamique de création branchée. Andrée-Caroline Boucher, 2017.
    Pour voir ce schéma dans son entièreté interactive : https://www.genial.ly/59c8edddc3bcd811c4b88bf3/dynamique-de-creation-branchee

    Figure 2 : Dynamique d’appréciation branchée. Andrée-Caroline Boucher, 2017.
    Pour voir ce schéma dans son entièreté interactive : https://www.genial.ly/59cbc175c3bcd815a095f264/dynamique-dappreciation-branchee

    Ainsi, pour le moment je n’ai pas les réponses, mais, selon moi, ces questionnements en sont le début. Je pense qu’à cette étape de la réflexion, il serait avantageux d’organiser des événements de type « table ronde » à ce sujet dans un prochain congrès de l’AQÉSAP. Cela nous permettrait d’entendre tous les acteurs en lien avec l’éducation artistique, quelles que soient leurs opinions. Nous aurions ainsi une vue d’ensemble de la pratique actuelle et il serait plus aisé d’envisager de faire changer les choses, tant au niveau scolaire que politique.

    CF – Quelle formidable idée ! Avant de poursuivre, j’aimerais revenir sur une excellente piste de solution que tu as avancée : introduire la notion de littératie médiatique multimodale. Suite au partage de sa définition de la création hybride multi/transmodale lors de sa conférence au congrès de l’AQÉSAP 2017, Moniques Richard a présenté la démarche de création du programme adaptée à la création hybride, puis complétée par la démarche littératique (les ajouts figurent entre crochets dans le tableau ci-dessous).

    Figure 3 : Démarche de création du programme adaptée à la création hybride puis complétée par la démarche littératique. Moniques Richard, 2017.

    Qu’il soit question de tes schémas ou de celui de Moniques, on peut voir comment le contenu du programme pourrait être enrichi et actualisé.  Il s’agit en effet d’initiatives fécondes qui montrent comment on peut s’approprier le programme, aller plus loin, et ce, en rejoignant les problématiques les plus actuelles en art ainsi qu’en enseignement des arts et des langues (le fait même de s’alimenter au domaine de la communication, de la sociosémiotique ou des langues est d’ailleurs très postmoderniste comme approche !).  Ces schémas ou figures constituent pour le moment des documents de travail, des pistes qui, espérons-le, seront poursuivies lors de la rédaction du prochain programme. Ces démarches bonifiées – création, appréciation, littératique – pourraient-elles être harmonisées ? Si oui, en nous appuyant sur quel cadre théorique ? Celui que Moniques Richard a développé dans ses recherches est solide et pertinent. À ce propos, je me permets ici d’insérer la diapositive du diaporama présenté lors du même congrès (AQÉSAP, 2017). Moniques Richard et son équipe de recherche, dont je fais partie, y présentent les termes centraux du cadre conceptuel qui les guide.

    Figure 4 : Cadre conceptuel de l’équipe de recherche Hybridité, multimodalité et pratiques de création informelles des jeunes dirigée par Moniques Richard (Congrès de l’AQÉSAP, 2017).

    La figure 4 aborde différents croisements possibles dans la création, dont ceux associés à la fonction (symbolique, critique…), qui sont bien connus des enseignants en art, tout comme ceux liés aux multiples figures hybrides revisitées par les créateurs jeunes et moins jeunes, amateurs et professionnels. Il en va de même pour les différents processus d’hybridation telles la transgression ou la fragmentation (ne sont-ils pas en effet plus complexes que calquer ou copier/coller… des processus plus que des gestes transformateurs ? Une belle réflexion à engager sur la création actuelle !). En ce qui a trait au concept de multimodalité tel que présenté par cette équipe de recherche, il a l’avantage d’être beaucoup plus riche dans son articulation des possibles que le principe « interaction du texte et de l’image » de Gude (2004) par exemple. En outre, les travaux de recherche de l’équipe pilotée par Moniques Richard combinent la démarche de création et la démarque littératique. Fort savantes, ces recherches vont beaucoup plus loin et jouissent d’une reconnaissance à l’international. En somme, les concepts d’hybridité et de multimodalité (d’autres sont également mobilisés par l’équipe de recherche telle transmodalité), permettent de saisir la richesse au sein des pratiques culturelles juvéniles et d’établir des résonances avec des pratiques artistiques actuelles. J’invite d’ailleurs les lecteurs de la revue Vision à suivre le travail de cette équipe de recherche qui pourrait alimenter de manière très pertinente un nouveau « gabarit » pour le programme de formation des élèves. Notre monde, et celui de l’art, est extrêmement complexe et nous avons besoin d’un point d’ancrage fort pour actualiser nos pratiques, construire ensemble et aller de l’avant.

    Justement, pour revenir aux idées qui terminent ta dernière intervention, il est effectivement essentiel, pour l’avenir de l’enseignement des arts au Québec, de rallier les forces vives du milieu autour de ce questionnement de fond. J’espère que les idées portées par ce dialogue inspireront les acteurs qui sont au cœur de la pratique de l’enseignement des arts au primaire et au secondaire, ceux qui œuvrent à la formation initiale des futurs spécialistes en art ou sont engagés dans la conduite de recherches dans le domaine. En d’autres termes, souhaitons que ce dialogue ait un impact réel afin de faire avancer les choses !

    Certaines actrices, comme toi, travaillent déjà dans le sens d’outiller les enseignants :  offrir de la formation, du support et des ressources à la fois pertinentes, séduisantes et en phase avec notre époque. J’aimerais donc souligner le fait que, depuis de nombreuses années, tu fais un travail extraordinaire sur le terrain, un travail qui a des répercussions concrètes dans le milieu scolaire, et ce, à l’échelle du Québec. Tu es donc une formidable agente de changement et le fait que tu sois si ouverte aux théories et aux pratiques les plus actuelles est fort précieux. Car à quoi bon des théories si elles n’aboutissent pas à des expériences tangibles pour les élèves en classe d’art? Si elles n’ont pas d’impact sur le milieu ?

    À titre d’exemple d’actions concrètes que tu poses afin d’adapter le discours officiel aux nouveaux enjeux, à les rendre accessibles aux enseignants en art, se retrouvent tes schémas des processus de création et d’appréciation. Tu as bonifié ces schémas de diverses composantes tenant compte de l’univers numérique et des modalités de création inédites qu’il suscite. Tout cela augure magnifiquement pour la suite. Un grand merci Andrée-Caroline pour cet échange des plus dynamisant !

    ACB – Merci, Christine pour tes mots encourageants. Je te suis moi-même extrêmement reconnaissante pour ta recherche exemplaire concernant la pratique culturelle des jeunes et de l’influence du numérique sur celle-ci. Je crois que, comme plusieurs acteurs de l’enseignement des arts plastiques, nous avons à cœur d’arrimer la culture immédiate à la culture générale, toujours dans un objectif ultime de faire de nos jeunes des citoyens de demain curieux, ouverts et créateurs.

     

    Références

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    [1] Ce dialogue, à la fois réfléchi et documenté, repose sur un échange de messages écrits (courriels). Il ne s’agit donc pas d’un dialogue de vive voix, à bâton rompu ou d’un verbatim qui aurait par la suite été bonifié par ses auteures.

    [2] Moniques Richard est professeure à l’École des arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal depuis 1994 et professeure titulaire depuis 2008. Elle s’intéresse à l’enseignement des arts, aux extensions technologiques du corps et aux pratiques culturelles des jeunes. Elle a mené des recherches collaboratives dans des écoles et développé un modèle de la pédagogie du projet artistique (CRSH 1999-2003) appliqué dans de nombreux milieux, du préscolaire à l’université. Elle a été responsable de l’équipe internationale Corps + Fictions technologiques qui visait à établir des partenariats et des modèles pour l’enseignement des arts (CRSH 2004-2008). Depuis 2008, elle dirige l’équipe EntrelACÉ. Art, culture éducation (FODAR 2009-2011), de même que le projet Hybridité, multimodalité et pratiques de création multimodales informelles des jeunes (CRSH 2013-2019). En 2012, elle a été médaillée de l’Association québécoise des éducatrices et éducateurs spécialisés en arts plastiques et récipiendaire du Gaitskell Memorial Address de la  Société canadienne d’éducation par l’art en 2013. Ces projets font l’objet de nombreuses communications et publications nationales et internationales. Elle dirige depuis 2003 la collection Images des jeunes aux Presses de l’Université du Québec. Elle est aussi membre associée du groupe de recherche Littéracie médiatique multimodale (LMM) ; cette courte biographie est d’ailleurs tirée de leur site internet : http://www.litmedmod.ca

    [3] Dans ce texte, nous nous référons fréquemment au postmodernisme. Rappelons toutefois que ce terme, qui permet à plusieurs de situer les pratiques émergentes dont nous traitons ici, est déjà considéré comme dépassé selon certains auteurs. En effet, le postmodernisme, qui connaît ses débuts dans les années 1960 avec les artistes du Pop Art, aurait vécu ses années de gloire en éducation artistique dans les années 1990 (oui, il y a un décalage entre le monde de l’art et notre champ disciplinaire et c’est normal ! Notons aussi que le terme postmodernité se rapporte au grand contexte sociétal occidental tandis que le terme postmodernisme, plus spécifique, relève du monde de l’art et de l’architecture). Le postmodernisme englobe les pratiques artistiques ayant succédé au modernisme. Le préfixe « post » met l’accent sur un « après quelque chose » (donc s’appuie sur le paradigme précédent). Y aurait-il un terme plus adéquat pour embrasser les pratiques actuelles?  Difficile de se prononcer (sans recul historique), mais d’autres appellations ont été proposées tels métamodernisme, humanisme numérique, post-matérialisme, ère de la post-vérité, hypermodernité, posthumanisme, démocratie culturelle, postcolonialisme, etc. (pour la plupart, toutefois, ces termes visent à éclairer l’état global du monde contemporain, d’autres constituent davantage des courants de pensée). Si le postmodernisme est perçu comme désuet et vieillot par certains chercheurs tel qu’évoqué précédemment, d’autres avancent que nous commençons aujourd’hui à vraiment le comprendre. Un terme comme hypermodernité (Lipovetsky, 2004) appréhende l’époque actuelle comme une exacerbation des « traits modernes », alors que Jürgen Habermas (1981) considère que la modernité est un projet inachevé, sans compter que, pour Bruno Latour (1991), Nous n’avons jamais été modernes… En somme, le postmodernisme est un sujet extrêmement vaste et complexe (concept explicatif, événement, théorie esthétique, mouvement, paradigme… ?) et l’on pourrait en discuter longuement sans jamais l’épuiser… Gardons simplement à l’esprit qu’il importe d’employer le mot postmodernisme avec prudence et distance critique… d’ici à ce que nous trouvions un terme faisant consensus entre nous ?!

    [4] J’ai récemment été consulter le même programme, mais dans sa version de 2006 et le terme authentique avait disparu. L’amélioration est-elle déjà en route ?

    [5] « Forme artistique de reprise parmi d’autres, le re-enactment, puise dans différents registres et a pour particularité d’en proposer une modalité intermédiaire entre la représentation et la performance. En tant que reconstitution – ce qu’il signifie littéralement –, il s’apparente au film historique, genre cinématographique à part entière qui, à grands renforts de moyens – costumes, décors… –, ressuscite les grands événements de l’Histoire […] et les fait revivre virtuellement pour un spectateur contemporain. […] Le mot […] appartient au vocabulaire théâtral – proche de la notion de reprise –, et c’est par le biais de la performance qu’il pénètre le champ des arts visuels, lorsque commencent à être rejouées – par leurs auteurs ou d’autres artistes – des performances « cultes » de Bruce Nauman, Vito Acconci ou Marina Abramović. Toutefois, […] [si le re-enactment] consiste à réitérer un événement passé, à l’inverse de ces performances rejouées, il ne les mime pas en en proposant un double a priori fidèle […] parce qu’il entretient une relation au modèle original beaucoup plus flottante, qui rend l’exigence de similitude secondaire. » Caillet, 2013, p. 66-67).

    [6] J’ajouterais que les pratiques artistiques s’infiltrent dans le quotidien des gens, construisent des narrations, inventent des temporalités inattendues, explorent des sensorialités inédites ou des territoires à distance… En outre elles s’inspirent de différents types de cultures (populaire, anthropologique, savante…), et ce, parfois pour revisiter des objets, pratiques et traditions, les réhabiliter, y extraire des légendes, des mythologies ou mettre au jour des histoires devenues invisibles…  sans compter que c’est parfois la notion d’art elle-même qui se joue de l’invisibilité ! En outre, les pratiques artistiques actuelles détournent des technologies (réalité virtuelle, interactivité, mégadonnées…) à des fins artistiques et poétiques tout en traitant et en croisant diverses dimensions et enjeux (écologie, éthique, politique, identité de genres, appartenance ethnique…) et disciplines (anthropologie, biologie, histoire, sociosémiotique, arts du vivant, cinéma…).

    [7] D’où l’attachement encore puissant à l’expression d’image authentique qui va de pair, dans cette optique moderniste, avec la théorie du développement graphique. Même si je continue d’enseigner cette théorie à mes étudiants, je m’assure de faire valoir la nécessité de la compléter par la notion de répertoire (Wolf & Perry, 1988), de développement spatial à l’échelle du corps (Richard, 1994) et de représentation envisagée tel un processus sémiotique engendrant des productions plurimédia (Kindler et Darras, 1997). La théorie du développement graphique (Lowenfeld, 1947) est en effet bien insuffisante lorsqu’il s’agit de mieux comprendre, aujourd’hui, les pratiques culturelles informelles des jeunes ainsi que leurs créations en classe d’art.

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