ENTREVUE AVEC FRANCINE GAGNON-BOURGET

Première partie

par Christine Faucher

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Christine Faucher

UQAM

Biographie

Professeure à l'École des arts visuels et médiatiques de l'UQAM. Équipe rédactionnelle: revue Vision

Autres publications de cet auteur

Née à Saint-Jean-sur-Richelieu, Francine Gagnon-Bourget est diplômée de l’École des Beaux-Arts de Montréal, option peinture. Une vingtaine d’années plus tard, en 1990, elle obtiendra un doctorat en éducation artistique de l’Université Concordia.

Enseignante spécialisée en arts plastiques au secondaire dans les années 1970, elle a été chargée de cours à partir de 1985, puis, de 1994 à 2010, professeure au Département d’enseignement au préscolaire et au primaire de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Depuis 2010, elle est professeure à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM où elle est également directrice adjointe du programme en enseignement des arts. Elle enseigne principalement la didactique des arts plastiques au primaire.

Médaillée de l’AQÉSAP en 2005, Francine Gagnon-Bourget a été rédactrice en chef de la revue VISION de 1987 à 2007.  Vingt-quatre revues au total ont été publiées sous sa supervision. Le numéro 41 (Vision, 1987) portait sur La matière, sujet de sa recherche doctorale. Grâce à sa rigueur et son dynamisme, la revue VSION a, durant deux décennies, conservé en mémoire les traces réflexives et visuelles de l’enseignement des arts visuels au Québec. Ajoutons que Francine Gagnon-Bourget a assuré le poste de secrétaire au sein du conseil d’administration pour une période de 18 ans.

Elle a offert de nombreuses communications dans divers colloques et congrès et écrit des articles spécialisés. Francine Gagnon-Bourget a d’ailleurs été impliquée dans plusieurs projets de recherche portant entre autres sur l’appropriation de la démarche de création d’étudiants en formation initiale et en formation continue (2003-2008).  Elle attribue une grande importance à la posture de l’artiste chez le futur spécialiste en arts : sa « colonne vertébrale », son « centre » : l’ART. C’est lui, selon elle, qui fonde la pédagogie et permet, par la suite, la transposition didactique. Ajoutons que, en 1994, Madame Gagnon-Bourget a collaboré avec Pierre Gosselin à l’organisation du Colloque sur la recherche en enseignement des arts visuels (CRÉA). Il s’agit d’un événement bisannuel qui regroupe des chercheurs de différentes universités pour partager les résultats de leurs travaux. Ce colloque a aussi donné naissance à une publication, soit les actes relatifs à cet événement qui témoigne de la diversité et de la singularité de la recherche dans ce domaine.

Dans le contexte de la réforme et de l’élaboration du Programme de formation de l’école québécoise, Madame Gagnon-Bourget a participé, de 1998 à 2007, à la rédaction des programmes d’arts plastiques et des textes du domaine des arts aux trois cycles du primaire, au premier cycle et au deuxième cycle du secondaire.

Son sens de l’engagement, son ouverture aux autres et aux idées nouvelles, son désir de contribuer à l’avancement de l’enseignement des arts visuels au Québec et, surtout, son désir de placer l’élève au cœur de ses apprentissages, font de Francine Gagnon-Bourget une figure marquante de notre champ disciplinaire.

C.F. : Merci Francine d’avoir accepté de faire cette entrevue. Je voulais d’abord te poser la question suivante : pourrais-tu nous parler de ta jeunesse? Qu’est-ce qui t’a amené aux arts et à l’enseignement des arts?

F.G-B. : En fait, ma formation et mon parcours professionnel ont été marqués par la rencontre d’éducatrices significatives. C’est au secondaire, dans les années 1960, que j’ai rencontré une enseignante spécialisée en arts plastiques. J’étais dans une école publique à Saint-Jean-sur-Richelieu dirigée par des religieuses comme c’était courant à l’époque. Néanmoins, cette enseignante laïque, Léonne Dussault avait suivi des cours à l’École des beaux-arts de Montréal. Elle avait peut-être obtenu le diplôme de cette école, mais je ne m’en rappelle plus. C’est elle qui m’a révélé le monde de la création. Je ne me trouvais pas talentueuse, mais j’étais curieuse et avide de connaître ce monde. Je me rappelle encore des images que je faisais à cette époque. Mes représentations étaient primitives; j’y reconnais maintenant des aspects d’une évolution graphique stoppée au primaire par l’absence d’un enseignement artistique significatif. La vie, quelquefois, nous réserve des surprises. Au début de ma carrière d’enseignante au secondaire, j’ai retrouvé cette enseignante comme collègue à la commission scolaire qui m’avait embauchée.

C.F. : Un peu avant la fin des années 1960, tu obtenais un brevet d’enseignement de l’École normale de Saint-Jean-sur-Richelieu.

F.G-B. : Après le secondaire, j’ai fréquenté l’École normale de Saint-Jean-sur-Richelieu qui offrait une formation de deux ans préparant à l’enseignement de la première à la neuvième année. Ce n’était pas mon premier choix puisque, selon mes tests d’aptitudes, le travail en plein air (98 %) et les beaux-arts (95 %) représentaient mes intérêts prioritaires, alors que l’enseignement se situait plus loin dans la liste. Néanmoins, la formation comportait des cours d’arts plastiques; pas des cours de didactique, mais bien des cours de création donnés par une religieuse spécialisée en enseignement des arts. C’est elle qui m’a dit qu’il n’était pas trop tard pour entreprendre des études artistiques. Elle m’a aussi aidée à préparer mon dossier visuel pour mon admission à l’École des beaux-arts.

Je pense avoir envoyé ma demande d’admission aux beaux-arts en cachette de ma mère. Par la suite, comme j’étais convoquée à une entrevue, je n’avais plus le choix de l’informer. Ma mère avait certaines appréhensions puisque, dans notre milieu, c’était plutôt inusité de choisir ce domaine d’études. Afin d’avoir plus d’information, ma mère a planifié une rencontre avec le directeur de l’époque, M. Faucher, qui nous a fait visiter les ateliers alors que les étudiants étaient en cours. Nous sommes tombés sur une activité de modelage avec un modèle nu! Ma mère n’a fait aucun commentaire. En fait, mes parents m’ont toujours accompagnée dans ma démarche et mes choix professionnels.

J’ai obtenu le diplôme de l’École des Beaux-Arts après quatre années d’études marquées de contestations et de grèves. Nous étions à la fin des années 1960 et toutes les certitudes et les valeurs étaient remises en question. Dans cette foulée, l’Université du Québec avait été créée et l’École des beaux-arts intégrée à cette institution sous la dénomination du Département d’arts plastiques. Afin d’obtenir un baccalauréat en arts plastiques, j’ai fait une année d’étude additionnelle. Je suis parmi les premiers diplômés de l’UQAM puisque j’ai obtenu mon baccalauréat en arts plastiques en 1971.

C.F. : Une fois à l’École des beaux-arts, j’aimerais savoir comment tu as rencontré Irène Senécal?

F.G-B. : Même si j’étais en création à l’École des beaux-arts, je suivais des cours qui touchaient à l’enseignement des arts et à la pédagogie. Je me rappelle très bien des cours sur l’évolution graphique et, particulièrement, d’un cours de didactique au primaire donné par Irène Senécal. Cet intérêt pour l’enseignement s’était développé suite à mon expérience de monitrice pour la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Dans ce contexte, je m’occupais d’activités sportives et, plus tard, de l’atelier d’arts plastiques. Ce furent mes premiers contacts significatifs avec les enfants, mais surtout avec les adolescents. Je me retrouvais souvent avec des groupes de jeunes de 12 à 16 ans. Les autres moniteurs préféraient les petits plus dociles. Durant toutes mes études, j’ai poursuivi ce travail à la Ville de Montréal, toujours en arts plastiques, à Pointe-Saint-Charles et à Saint-Henri. J’ai beaucoup appris de ce travail. J’ai surtout appris à entrer en contact avec les adolescents souvent intimidants, mais en fait vulnérables et à la recherche de valeurs et d’identité. C’est grâce à eux que j’ai choisi l’enseignement des arts comme profession.

C.F. : Irène Senécal, que retiens-tu d’elle? De son enseignement?

F.G-B. : C’est la rigueur de ses approches que je retiens en priorité. Je me rappelle aussi de la place qu’elle accordait à l’élève et à ses intérêts, par exemple en mentionnant qu’il fallait lui proposer différentes couleurs de papier construction et le laisser choisir. Je me rappelle encore de ses conseils quant à l’organisation et à la gestion des matériaux artistiques. À l’époque, je n’étais pas consciente de l’importance de ce personnage. J’ai mieux compris les fondements de son enseignement lorsque j’ai lu son ouvrage L’éducation artistique.

C.F. : Au secondaire?

F.G-B. : Malgré mon expérience avec les ados, mon premier mois d’enseignement peut être qualifié de choc culturel. J’avais 310 élèves de première et de deuxième secondaire qui défilaient dans l’atelier durant des périodes de 50 minutes échelonnées sur un horaire de cinq jours. C’était du sport! En plus de la tâche d’enseignement, il fallait aussi remettre de l’ordre dans les armoires de l’atelier, mais surtout dans la réserve de matériaux qui était dans un fouillis indescriptible. Pendant six mois, je suis restée à l’école tous les soirs pour faire du ménage. Pour enseigner les arts, j’ai besoin d’un local bien rangé et invitant pour les élèves. Cela fait partie de ma façon de gérer la classe.

L’enseignement au secondaire comportait d’autres aspects liés à la vie de l’école; ce qui était nouveau pour moi. Premièrement, il fallait répondre aux demandes de la direction : remise de la planification annuelle, rencontres des parents, surveillances, présence aux rencontres de l’équipe-école, décoration de l’école pour des événements particuliers, etc. Deuxièmement, il fallait s’intégrer à l’équipe enseignante. J’ai appris à ne pas rester confinée dans mon local, à échanger avec mes collègues d’autres matières et à participer aux activités sociales. D’ailleurs, à cette époque, j’ai développé des amitiés qui durent encore.

L.S. : À ce moment-là, tu avais terminé tes études à L’école des beaux-arts. Tu as enseigné combien de temps?

F.G-B. : J’ai enseigné cinq ans au secondaire dans deux écoles de premier cycle. Néanmoins, après deux ans, j’ai demandé une année de congé sans solde pour faire ma scolarité de maîtrise à l’Université Sir George Williams, maintenant Concordia. La directrice de mon mémoire était Hélène Gagné, une autre femme qui a marqué mon parcours professionnel sur une longue période puisqu’elle m’a aussi enseignée au doctorat. Grâce à elle, j’ai découvert de nombreux auteurs, j’ai appris à identifier mes valeurs et à développer une pensée réflexive et critique.

C.F. : En 1980, on te voit participer à une exposition d’envergure. Comment qualifierais-tu la décennie qui a précédé : celle des années 1970? Et comment as-tu rencontré Monique Brière?

F.G-B. : J’ai rencontré Monique Brière à la fin des années 1970, alors qu’elle participait avec moi à l’élaboration du programme d’arts plastiques au secondaire sous la direction de Lise Cloutier-Lamarche. Je la côtoyais aussi dans les cours de doctorat à l’Université Concordia. Comme elle avait toujours des projets en marche, elle avait besoin d’enseignants spécialisés pour les réaliser. Dans ce contexte, j’ai participé aux Floralies internationales de Montréal comme maître d’œuvre dans deux écoles de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CÉCM). Mon mandat était de faire réaliser des murales de quatre pieds de large par douze pieds de haut portant sur les saisons. (À ce moment de l’entrevue, Christine Faucher a montré une photographie[1])

C.F. : La photographie date de 1980. On t’aperçoit en compagnie de Monique Brière au vernissage des travaux d’élèves au pavillon du CN lors des Floralies internationales de Montréal à l’île Sainte-Hélène.

F.G-B. : (En regardant la photo). Toute une époque! Que de souvenirs! Je considère Monique Brière comme la marraine de ma vie professionnelle. C’est elle qui m’a permis d’avoir une expérience d’enseignement au primaire. En tant que conseillère pédagogique à la CÉCM, elle m’a engagée pour faire de la formation auprès d’enseignants non spécialisés dans différentes écoles. Dans ce contexte, j’allais faire des activités artistiques dans chacune des classes de l’école. Les enseignants restaient sur place et observaient mes interventions. Ma visite se terminait par une exposition de tous les travaux réalisés par les élèves durant le projet. Par la suite, une journée d’échange avec les enseignants leur permettait de faire le bilan de ce qu’ils avaient observé et d’entrevoir la possibilité d’intégrer les arts plastiques à leur enseignement. Suite à ma visite, certaines écoles décidaient d’engager un enseignant spécialisé en arts plastiques. Toujours à la CÉCM, j’ai fait le même travail pour Jean-Eudes Fallu et Nicole Sorel, conseillers pédagogiques en arts plastiques. Durant cette période, échelonnée de 1981 à 1986, je pense avoir été dans plus de 15 écoles primaires de milieux différents.

Grâce à Monique, j’ai obtenu mes premières charges de cours à l’UQAM. Ayant à subir une intervention chirurgicale d’urgence, elle avait demandé que ce soit moi qui la remplace. Je ne l’ai pas seulement remplacée à l’UQAM, mais j’ai assumé toutes les activités reliées à sa vie professionnelle, soit les formations dans les commissions scolaires et ses cours à l’Université de Sherbrooke. Je me rappelle d’une journée typique. Je devais d’abord donner une journée de formation à l’Assomption dans une école secondaire puis, en soirée, enseigner un cours de didactique en arts plastiques au primaire, à Terrebonne, pour l’Université de Sherbrooke! Monique avait beaucoup d’énergie pour être en mesure de mener de front les charges de cours universitaires, les formations données dans les commissions scolaires, la participation à la rédaction des programmes, la rédaction des ouvrages didactiques pour Les Éditions L’image de l’art.

À cette époque, Monique m’a aussi demandée de me joindre à l’équipe du projet L’image de l’art, un point de départ qu’elle avait initié. Ce projet de recherche, subventionné par le ministère de l’Éducation du Québec, le Musée des beaux-arts de Montréal et la Commission des écoles catholiques de Montréal, visait à introduire l’appréciation d’œuvres d’art dans les cours d’arts plastiques en présentant le travail exemplaire des artistes comme source d’inspiration favorisant la création des élèves et l’enrichissement de leur culture artistique. Ce projet fut à l’origine des publications que Monique a réalisées pour Les Éditions L’image de l’art incluant des mallettes de reproductions et des guides pédagogiques pour le primaire et le secondaire.

L.S. : Maintenant, peux-tu nous parler de ton sujet de recherche à la maîtrise ainsi que des auteurs qui t’ont influencée?

F.G-B. : Tout d’abord, je dois préciser que j’ai toujours beaucoup lu. Quand j’avais 15 ans, la lecture était mon échappatoire pour survivre à une éducation scolaire sclérosante qui voulait contrôler même nos pensées. En opposition à cette éducation répressive, je lisais tous les livres à l’Index, principalement ceux de Jean-Paul Sartre, de Simone de Beauvoir, d’Albert Camus et ainsi que certains des ouvrages de François Mauriac qui étaient aussi interdits. Quand j’étais aux beaux-arts, j’allais souvent bouquiner à la librairie Tranquille située, à l’époque, sur Sainte-Catherine près de Saint-Urbain. Malgré sa notoriété, je ne savais pas encore qui était Henri Tranquille. Il me conseillait souvent sur mes lectures. Comme je faisais trois heures de transport en commun par jour, j’avais le temps de lire de nombreux ouvrages littéraires qui ont façonné ma pensée et mon identité. Mon expérience de lecture m’a probablement guidée vers des études supérieures.

À la maîtrise, grâce à Hélène Gagné, j’ai découvert Gaston Bachelard[2] qui est devenu une source d’inspiration et un repère. Ce philosophe aborde l’image en poésie et en arts visuels comme une entité fragile qu’il faut intériorisée et non étudier de façon rationnelle. De plus, ce qui me fascinait, chez lui, était sa capacité de s’émouvoir devant une image, mais de parler de la science avec objectivité. Deux démarches pour traiter de deux mondes opposés mais qui, selon lui, sont complémentaires. J’aimais sa façon de parler des images; surtout de pressentir le sens caché, de le chercher à travers les composantes matérielles. Justement, cette semaine, je suis allée sur YouTube voir une entrevue qu’il a accordée pour me replonger dans sa façon de voir les choses. Quand j’ai terminé mon doctorat, je suis allée à Bar-sur-Aube, où il avait enseigné. J’ai marché dans les sentiers qu’il parcourait avec ses étudiants.

Mon mémoire de maîtrise, inspiré de l’approche bachelardienne de l’image, abordait une lecture poétique de mes peintures avec une conclusion qui donnait des orientations quant à une potentielle transposition didactique. Compte tenu du moment où je l’ai écrit (1975), ce texte date et doit être considéré comme un jalon qui m’a permis de poursuivre mes études au doctorat.

C.F. : Francine, permets-moi de revenir à Monique Brière. Je veux savoir, comme pour Irène Senécal, qu’est-ce que tu retiens le plus d’elle?

F.G-B. : Au moment où Monique œuvrait dans l’enseignement, ce qui me vient à l’esprit demeure d’abord son engagement à la cause des arts et toutes les grandes expositions qu’elle a réalisées avec son équipe de la CÉCM pour témoigner de la présence des arts visuels dans le milieu scolaire. Celle à la Place Desjardins était très impressionnante. Il y avait des travaux d’élèves partout. Monique avait même donné une entrevue à Jacques Boulanger lors de son émission du midi. Je retiens, en second lieu, sa grande générosité, soit sa capacité de partager ses connaissances et de démystifier l’enseignement des arts pour les néophytes et de proposer de nouvelles approches aux spécialistes. Sa capacité de travail était phénoménale. Je dois encore souligner sa rigueur, sa collégialité et son sens professionnel.

C.F. : Qu’est-ce qui était particulier à elle?

F.G-B. : Sa contribution à l’enseignement des arts représente un apport remarquable. Dans les années 1960, il y avait des programmes-cadres qui exigeaient que chaque commission scolaire développe les leurs. À la CÉCM, Monique et son équipe ont rédigé des programmes d’arts plastiques pour chacune des années du primaire incluant des guides pédagogiques. Il y avait aussi un programme pour le secondaire et d’autres documents complémentaires dont je me suis servie dans mes cours de didactique. Déjà, à cette époque, elle avait publié, du moins il me semble, un livre sur l’appréciation d’œuvres d’art. En plus de participer à l’élaboration du programme d’arts plastiques au secondaire, elle a formé de nombreux enseignants spécialisés, de même que des enseignants généralistes au primaire. En tant que conseillère pédagogique, elle a engagé de nombreux étudiants à qui elle avait enseignés à l’École des beaux-arts et, plus tard, à l’Université du Québec. Néanmoins, selon moi, sa plus grande contribution demeure le rôle qu’elle a joué dans l’introduction de l’appréciation d’œuvres d’art dans l’enseignement qui maintenant se retrouve comme une compétence à part entière dans les programmes d’arts plastiques au primaire et au secondaire.

C.F. : Nicole Sorel?

F.G-B. : Nicole Sorel, une collègue de l’École des beaux-arts, était responsable de l’élaboration du programme d’arts plastiques au primaire publié en 1981. Je l’ai côtoyée sur le plan professionnel plus tard. Comme je l’ai mentionné précédemment, alors qu’elle était conseillère pédagogique, Nicole m’a demandé de faire de la formation dans des écoles dont elle était responsable à la CÉCM. La collaboration s’est poursuivie dans les années 2000. J’ai travaillé avec elle sur différents dossiers entre autres sur l’évaluation et j’ai fait des communications lors de journées pédagogiques.

C.F. : Donc toi, Monique Brière et Lise Cloutier-Lamarche avez rédigé le programme ou guide pédagogique pour le secondaire de 1982?

F.G-B. : Lise Cloutier-Lamarche était la responsable mandatée par le ministère de l’Éducation pour élaborer le programme d’arts plastiques au secondaire, rédiger les deux tomes du guide pédagogique et réaliser la vidéo promotionnelle. Lise avait une équipe de rédacteurs dont Monique et moi faisions partie. J’ai travaillé aux textes qui touchaient le côté philosophique parce que c’était en lien avec mes études doctorales sur l’image et la matière. J’ai aussi participé à la rédaction de la section sur le langage plastique et j’étais l’enseignante spécialisée dans la vidéo d’implantation.

C.F. : Tout un bouillonnement intellectuel! Et Hélène Gagné a joué un rôle très important, n’est-ce pas? Quelle serait sa contribution philosophique, théorique? Elle n’a pas été rédactrice du programme, mais aurait eu une grande influence?

F.G-B. : Hélène Gagné a laissé sa marque en façonnant la vision de l’enseignement des arts de plusieurs de ses étudiants universitaires et des personnes qu’elle a côtoyées. Avant l’arrivée des programmes des années 1980, Hélène Gagné a rédigé un programme d’arts plastiques pour le ministère de l’Éducation qui présentait les fondements de l’enseignement des arts. En fait, c’était une vision qui tranchait avec les idées d’avant. Malheureusement, ce document, qui comportait près de 200 pages, n’a jamais été publié. Je ne sais pas comment je l’ai obtenu, mais j’en ai une copie que je relis à l’occasion quand j’ai des questions qui touchent les fondements de l’enseignement des arts. Dans ses cours au doctorat, Hélène développait plusieurs des sujets abordés dans ce texte en s’appuyant sur divers auteurs, tels Gombrich, Panofsky, Eisner, Arnheim, Leroi-Gourhan, Wittengstein… À partir des écrits de ces auteurs, elle nous faisait réfléchir sur la création et sur la nature de l’image. Par exemple, elle mentionnait que la création d’une image ne visait pas à amener le sujet à s’exprimer, mais plutôt à exprimer une idée de façon signifiante. Dans cette optique, elle remettait en question plusieurs des orientations mises de l’avant dans les années 1960, elles-mêmes dénoncées par Eisner, en 1973, dans l’article Examining Some Myths in Art Education.

Fin de la première partie de l’entrevue.

À suivre dans la prochaine édition de Vision.

Références 

Brière, M. et Lemerise, S. (2009). Une carrière exemplaire en enseignement des arts plastiques : Monique Brière raconte. Saint-Donat-de-Montcalm : Publications AQÉSAP.

Eisner, E. (1973). Examining Some Myths in Art Education. Studies in Art Education, 15(3), 7-16.

Gagnon-Bourget, F. (2000). Matérialité, processus créateur et enseignement. Dans F.

Gagnon-Bourget et F. Joyal (dir.). L’enseignement des arts plastiques : recherches, théories et pratiques. Société canadienne d’éducation par l’art, 41-52.

Gagnon-Bourget, F. (1990). L’imagination matérielle du philosophe Gaston Bachelard pose un

Regard neuf sur l’enseignement des arts plastiques (thèse de doctorat). Université Concordia, Canada.

Ministère de l’Éducation (MEQ), Gouvernement du Québec. (1982). Guide pédagogique. Arts plastiques : Secondaire.

Ministère de l’Éducation (MEQ), Gouvernement du Québec. (1983). Guide pédagogique. Arts plastiques : Primaire premier cycle.

Ministère de l’Éducation (MEQ), Gouvernement du Québec. (2001). Programme de Formation de l’école québécoise : Enseignement primaire et préscolaire.

Ministère de l’Éducation (MEQ), Gouvernement du Québec. (2003). Intégration de la dimension culturelle à l’école.

Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport (MELS), Gouvernement du Québec. (2006). Programme de Formation de l’école québécoise : Enseignement secondaire, premier cycle.

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), Gouvernement du Québec. (2007). Programme de Formation de l’école québécoise : Enseignement secondaire, deuxième cycle.

[1] Image tirée de l’ouvrage Une carrière exemplaire en enseignement des arts plastiques : Monique Brière raconte (p. 46). Voir la section portant sur les Références.

[2] Gaston Bachelard, né à Bar-sur-Aube le 27 juin 1884 et mort à Paris le 16 octobre 1962, est un philosophe français des sciences et de la poésie. Épistémologue (spécialiste de la théorie de la connaissance en général) reconnu, il est l’auteur d’une somme de réflexions liées à la connaissance et à la recherche scientifique. Il invente ce qu’il appelle la « psychanalyse de la connaissance objective[1] », inspirée par les travaux de Jung, qui introduit et étudie la notion d’obstacle épistémologique : ce sont des obstacles affectifs dans l’univers mental du scientifique et de l’étudiant, obstacles qui les empêchent de progresser dans la connaissance des phénomènes. Bachelard renouvelle l’approche philosophique et littéraire de l’imagination, s’intéressant à des poètes et écrivains (entre autres Lautréamont, Edgar Poe, Novalis), au symbolisme ou encore à l’alchimie. Il interroge alors les rapports entre la littérature et la science, c’est-à-dire entre l’imaginaire et la rationalité. (Dans Wikipédia. Récupéré le 26 juillet 2014 de http://fr.wikipedia.org/)

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