L’art de tisser des liens entre les savoirs à l’école secondaire

par Stéphanie Bonhomme

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Stéphanie Bonhomme

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    En tant que spécialistes en arts plastiques dans les écoles, vous demandez-vous ce que font les enseignantes et enseignants des autres matières dans leur classe? Osez-vous discuter pédagogie avec eux dans le salon du personnel? Les rencontres pédagogiques entre les différentes matières scolaires représentent des mines d’or en enseignement. En plus de décloisonner les notions théoriques, l’interdisciplinarité favorise chez les élèves la création de liens entre les contenus des différentes disciplines et cela permet des apprentissages plus signifiants. Encore en 2021, certaines matières scolaires sont vues comme essentielles et d’autres sont qualifiées de moins importantes. Où se situe l’enseignement des arts?

    Heureusement, dans certaines écoles du Québec, les arts ont une place importante et sont mis de l’avant dans les maquettes de cours. Ailleurs, les enseignant.e.s d’art peinent à faire entendre leur importance dans le développement de l’enfant, et ce constat est bien malheureux. Cet article ne vise pas à débattre de la place des arts dans notre système scolaire au regard du comportement des collègues enseignant.e.s ou de la vision qui prévaut dans l’ensemble des centres de service, car je n’ai pas fait de recherche exhaustive sur le sujet. Par cet article, je souhaite plutôt faciliter le dialogue entre les arts et les sept autres matières présentes à l’école et offrir, à mes collègues en arts, des pistes et des exemples de projets favorisant le décloisonnement disciplinaire.

    Les arts plastiques ont la particularité d’être une matière aux multiples tentacules pédagogiques. Ces tentacules prennent naissance dans notre vocabulaire disciplinaire. Cette facilité à inclure les autres matières dans notre enseignement donne accès à un inventaire infini de projets interdisciplinaires. Dans ce sens, les arts peuvent participer à la mise en œuvre de plusieurs projets signifiants : ils ne se réduisent pas à faire des affiches. Les enseignant.e.s en arts doivent faire valoir leur importance et surtout leurs compétences auprès de leurs collègues. Ils ont aussi à relever le défi de leur faire comprendre comment l’interdisciplinarité mobilisée par notre matière peut créer un réel engouement chez les élèves pour leurs apprentissages. Puisque je suis enseignante en arts plastiques au secondaire, je me concentrerai spécifiquement sur les liens tissés entre ma matière et les autres. Cependant, je crois que l’éventail de possibilités pourrait facilement être transposé dans le cadre des autres disciplines artistiques (musique, danse et art dramatique) du domaine des arts (Ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport, 2007).

    Sciences et mathématiques
    Plusieurs notions de mathématique sont utilisées en arts – que l’on parle de symétrie, de couleurs, de formes ou de perspective – et de grands artistes et scientifiques ont travaillé à travers l’histoire (de l’art) en combinant les deux. Il ne faut pas négliger le fait que les arts et la science sont étroitement liés dans le sens où les deux disciplines cherchent à innover. Ce seul mot – l’innovation – doit les rapprocher dans l’enseignement et l’encadrement scolaires : en faire des alliés. Un article de Le café pédagogique recense près de dix expositions où les mathématiques et les arts sont réunis (Anne, 2012). En vue d’un projet interdisciplinaire, il serait judicieux de faire appel à The Prophets (2013-2015) de Richard Ibghy et Marilou Lemmens.

      

    Richard Ibghy et Marilou Lemmens, The Prophets (2013-2015). Photo :  Richard-MaxTremblay

     

    Dans cette installation, les artistes mettent en scène des résultats d’analyses portant sur des sujets liés à la consommation et à la productivité (Delgado, 2018). Des économistes utilisent les arts visuels dans la représentation de ces résultats et cela montre une fois de plus à quel point les arts sont omniprésents, quel que soit le domaine. Un projet scolaire pourrait naître d’une rencontre avec la démarche artistique d’Ibghy et Lemmens : en effet, dans les cours de mathématique de 2e secondaire, les élèves étudient les différents tableaux qui permettent la collecte de données.

    Je poursuis l’énumération des possibilités en abordant les notions spatiales et la compréhension de la sphère visuospatiale. Les élèves apprendront comment utiliser des notions mathématiques pour créer l’illusion de réalisme dans une image.Dans cette optique, le projet que je propose aux élèves consiste à créer une chambre à l’aide d’un point de fuite. Les notions artistiques peuvent se trouver ailleurs (application du pigment, représentation de textures, évaluation d’une technique spécifique, etc.).

    Chambre en perspective, février 2021, crayons de bois sur carton bristol noir, 8.5 X 11 po. Réalisation d’une élève du programme de baccalauréat intermédiaire (PEI).

     

    Ce projet peut être projeté numériquement grâce à des logiciels précis de design. Les élèves éprouvent un certain sentiment d’amour/haine envers les technologies dans le domaine de l’éducation, et les sortir de leur zone de confort représente un beau défi et devient plus gratifiant pour eux sur le plan des apprentissages.

    Univers social – Éthique – Projet personnel d’orientation
    Je place ces trois matières ensemble, car, selon moi, elles permettent aux élèves d’avoir une compréhension des enjeux historiques (histoire-géographie), les emmènent à réfléchir à propos d’enjeux importants (éthique) et développent leur personnalité (projet personnel d’orientation). Ces trois matières sont des piliers dans l’évolution des élèves, du citoyen que chacun d’entre eux deviendra. Les arts peuvent systématiquement s’intégrer à des projets menés dans ces matières du domaine d’apprentissage de l’univers social et participer à l’émancipation des élèves, car les arts vivent grâce à l’expression personnelle et s’imprègnent à leur vécu quotidien.

    En collaboration avec les collègues en univers social, le corpus qu’ils couvrent en classe peut devenir une mine d’or sur le plan des représentations visuelles. Les premières civilisations en 1re secondaire, les grandes découvertes en 2secondaire, l’histoire du Québec en 3secondaire, le volet « histoire et individus » en 4secondaire et enfin celui du « monde contemporain » en 5secondaire. Il s’agit de cinq programmations différentes permettant la floraison de plusieurs projets interdisciplinaires signifiants. En 2secondaire, mes élèves utilisent leurs connaissances afin de représenter un événement ou un personnage marquant rencontré durant l’année dans leur cours d’univers social. En 4secondaire, ils font une cartogravure emmêlant un souvenir et des enjeux liés à leur famille (ancêtres ou parents).

       

    Moment de notre histoire,
    mai 2021, matériaux mixtes (tissus, crayon graphite) sur carton, 11 x 17 po. Réalisation d’un élève de 2secondaire dans le cadre de son bilan.

     

    En éthique, la charte des droits et libertés ou les notions de symbolisme se marient très bien aux arts visuels. En effet, les élèves peuvent chercher des articles de journaux qui décrivent comment « une brèche » dans les droits des personnes est survenue. Les élèves doivent faire un collage et trouver l’article se rapportant à la charte. En 4e secondaire, ils seront appelés à créer leurs propres armoiries en utilisant les symboles qui se rapportent à leurs valeurs et à leur personnalité.

    Dans le cours de projet personnel d’orientation (PPO), les élèves découvrent leurs intérêts personnels et professionnels en vue des études postsecondaires. Je vois un lien important entre ce cours et la question récurrente : « À quoi sert l’art? ». En collaboration avec mon collègue enseignant qui donne ce cours, des conférences sont organisées avec des professionnels dont le métier réside dans l’art (architecte, artiste peintre, modeleur 3D, caméraman, etc.). Les adolescents sont curieux et ne refuseront jamais la présentation dynamique d’un être humain « non prof » qui leur explique leur passion!

    Éducation physique
    Quand les élèves sont inscrits dans une concentration sportive, c’est qu’ils carburent aux défis et aiment bouger. J’adore ces élèves. Les projets qui associent le sport et les arts sont très intéressants et peuvent facilement être utilisés dans les groupes dits « réguliers ». Un projet que j’aime bien allie la photographie, le sport et les nuances de couleurs. Une période complète est destinée à une activité en photographie. Un des élèves pratique son sport et l’autre capture le mouvement. Le cours suivant, ils récupèrent le cliché et, en l’observant, dessinent la silhouette sur un carton qui accueillera de la peinture en nuances chaudes et froides. Lorsque le cours d’arts plastiques nécessite d’aller à l’extérieur de la classe, les élèves sont transformés et participent davantage. Aucun trouble de comportement n’est observable. Essayez une balade dans les rues pour trouver un parc ou un espace boisé et invitez les élèves à faire du dessin d’observation, un peu comme les impressionnistes l’effectuaient au 20e siècle, est un autre projet qu’il est intéressant de conduire.

    Les nuances du sport, novembre 2019, gouache liquide et crayon de type sharpie sur carton mayfair blanc, 10 x 14 po. Réalisation d’une élève dans le programme sport-excellence.

     

    Langues
    Le français, l’anglais et parfois l’espagnol (tout dépend de la maquette de cours) représentent aussi des occasions de créer des projets interdisciplinaires poussant bien plus loin l’apport potentiel des arts que ne l’est la réalisation d’une affiche! Il est essentiel de connaître le programme de nos collègues et de bien dialoguer avec eux. En 1re secondaire, par exemple, le texte descriptif est une riche occasion pour faire appel au répertoire visuel. Pour réaliser un projet dans cet esprit, j’utilise de vieux romans et propose aux élèves d’en imaginer la pochette et la quatrième de couverture. Ensuite, en utilisant le façonnage et le collage, les élèves produisent un élément clé de leur histoire, lequel ressortira du roman, envisagé ici comme « objet » récupéré de manière créative. Le sujet d’une œuvre éventuelle, réalisée dans cet esprit, peut être peaufiné dans leur cours de français.

    Entre les lignes (intérieur d’un livre), janvier 2018, assemblage et façonnage d’un livre (roman),  5 X 1 X 7 po. Réalisation d’une élève de 1re secondaire qui a façonné et coupé un élément important de son histoire.

     

    En anglais, ce même concept peut être utilisé. Le texte descriptif peut être le point de départ pour créer des monstres ou de nouveaux superhéros. En employant l’argile, la peinture ou le papier mâché, l’élève donne vie à son personnage en vue de l’exposé oral qu’il présentera devant la classe. Cette année, j’effectue un projet interdisciplinaire avec mon collègue en anglais sur le thème du Stop-Motion. Dans son cours, les élèves produiront le scénarimage et, en arts, nous ferons vivre les personnages : une image à la fois.

    En ce qui concerne l’espagnol et les autres langues enseignées, je crois qu’il est intéressant d’aller voir les artistes issu(e)s de ces cultures. De beaux projets attendent qu’on les découvre, et il faut oser sortir de nos souliers douillets afin de repousser toujours plus loin les limites du possible.

    En guise de conclusion, j’aimerais souligner le fait que les projets interdisciplinaires demandent une ouverture et une cohésion entre les enseignantes et enseignants des différentes matières. La communication, la flexibilité et suffisamment de temps consacré sont des éléments essentiels dans la mise en place de projets aussi signifiants pour les élèves. Les acteurs de l’éducation ne devraient pas avoir peur de « faire du nouveau » avec le programme de formation, de trouver des avenues différentes et motivantes afin de rendre les apprentissages des élèves plus intéressants et, surtout, de ne pas craindre l’affiliation avec les arts. Il s’agit d’oser donner forme à nos idées, d’oser faire de l’interdisciplinarité, d’oser sortir du département pour élaborer de beaux projets pédagogiques avec les autres matières.

    Stéphanie Bonhomme enseigne à des élèves du 1er cycle et du 2e cycle du secondaire, à l’école de la Baie-St-François, Salaberry-de-Valleyfield, Québec.

     

    Références
    Anne, J. (2012). Histoire des arts vs mathématiques. Le café pédagogique. http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/documentation/pages/2012/135_cdi_hdamaths.aspx
    Carter, D. (2014). De la nécessité de (ré)intégrer l’art à la science. Agence Science-Presse. https://www.sciencepresse.qc.ca/blogue/2014/04/08/art-science-meme-combat
    Delgado, J. (2018, 16 juin). Solitude et géométries variables au MAC. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/530337/solitudes-et-geometries-variables-au-mac
    Ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport. (2007). Programme de formation de l’école québécoise, enseignement au secondaire. Gouvernement du Québec.

    Citer cet article :
    Bonhomme, S. (2022). L’art de tisser des liens entre les savoirs à l’école secondaire. Vision (revue de l’Association québécoise des enseignantes et enseignants spécialisés en arts plastiques) nº 81, janvier.
    URL :  http://revuevision.ca/lart-de-tisser-des-liens-entre-les-savoirs-a-lecole-secondaire/
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