Le vade mecum

Un outil de collaboration artistique

par Genevieve Godin

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Genevieve Godin

Enseignante, travailleuse culturelle et artiste multidisciplinaire M.A. en éducation artistique, UQAM

Biographie

Autres publications de cet auteur

    En arts visuels et médiatiques, on considère souvent la collaboration comme un élément processuel servant à la création de l’œuvre ou au travail artistique. Pourtant, elle s’avère être essentielle, voire même fondamentale, à la pratique de certains artistes. J’ai décidé d’y porter un grand intérêt puisque je considère que la collaboration est le fondement du processus créateur en groupe. Elle est, selon moi, le moteur qui permet à un projet artistique d’aboutir de façon souhaitable. L’organisme québécois Engrenage Noir / LEVIER1 considère qu’il existe même une esthétique particulière pour les projets d’art où la collaboration fait état de procédure. « La collaboration est accueillie comme un espace de changement social, esthétique et éthique avec les forces systémiques qui donnent forme à nos vies sur les plans individuels et collectifs » (2011, p. 12). Parfois, le processus collaboratif devient même l’œuvre d’art.

    Pendant quelques années, j’ai dédié mon attention aux principes du travail collaboratif dans le domaine des arts visuels et médiatiques. Ce présent texte permettra de bien saisir le parcours qu’ont emprunté mes recherches de maitrise mais également d’en présenter le fruit : un vade mecum sur la collaboration en arts visuels. En effet, c’est en condensant les résultats de mes acquis, découvertes et réflexions que j’ai pu créer un petit guide imprimé servant de mode d’emploi à toute personne – artiste, enseignant, professionnel – désirant entreprendre ou améliorer une pratique de création en groupe.

    J’introduirai ici les origines de mon intérêt pour le sujet pour ensuite aborder la structure de ma recherche. Après avoir déployé quelques définitions importantes, je détaillerai le contenu du vade mecum et ses fonctions concrètes pour toute personne intéressée à l’utiliser dans sa pratique professionnelle.

    Contextualisation

    Pour me situer, je travaille depuis plus de dix ans dans le milieu de la création et ma pratique artistique multidisciplinaire varie selon les occasions et mes envies, combinant le langage et les codes des arts visuels, des arts médiatiques, du design graphique et même des métiers d’art. Mes projets se placent souvent dans des perspectives éducatives. Je n’ai jamais été figée dans un cadre rigide ou préconçu et je me permets de m’adonner à la réalisation de projets stimulants et actuels. Joie a été de constater que cette façon d’approcher l’art actuel est de plus en plus partagée et permet à l’artiste d’aujourd’hui de faire des choix qui lui ressemblent. De mon côté, cela me donne l’occasion de toucher à plusieurs disciplines et médiums, tels que la vidéo, les arts d’impression ou la sculpture. Ces dernières années, je crée des livres d’artiste.

    À travers le temps, c’est l’envie de travailler avec des gens qui a donné l’importance à la collaboration. En effet, j’ai constaté que lorsque je travaillais seule, j’empruntais souvent des chemins qui me sont connus et qui facilitaient et accéléraient le travail créateur. Me lassant rapidement des routines, j’ai constaté que les projets collaboratifs ne pouvaient qu’être uniques, complexes et diversifiés. Aussi, le rassemblement de plusieurs esprits peut élever une idée de création à un niveau insoupçonné autant au niveau du projet de création que de l’expérience. Pour appuyer mes dires, je cite l’artiste Heath Bunting, travaillant de pair avec Kayle Brandon, qui affirme que la collaboration entre artistes, lorsqu’elle fonctionne bien, permettrait de s’émanciper et de prendre des chemins imprévus, parfois même chaotiques (Dunhill et O’Brien, 2004). Cela s’applique à tout projet où la création artistique est de mise mais également à plusieurs domaines ou occasions, comme les évènements culturels ou encore la pratique de l’enseignement des arts.

    La collaboration est un sujet qui touche plusieurs sphères de travail et de disciplines artistiques. Selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales (www.cnrtl.fr), la collaboration est définie comme la « participation à l’élaboration d’une œuvre commune ». Si elle est choisie comme mode de travail de certains, elle est imposée dans certains groupes ou occasions. Que fait-on pour l’aborder lorsqu’elle n’est pas désirée ou que, dès le départ, on sait qu’elle ne se déroulera pas comme on le voudrait? Il n’est pas toujours facile de s’ouvrir à l’autre et encore moins de le laisser pénétrer cette délicate zone sensible nécessaire à l’élan créateur. Cependant, certains artistes désirent s’ouvrir à l’autre pour les raisons suivantes : rapidité d’exécution, des résultats grandioses que peut provoquer l’amalgame des esprits créateurs ou, simplement, l’agréable compagnie de l’autre dans l’atelier, pour n’en nommer que quelques-uns…

    Les recherches sur la collaboration

    En me basant sur des expériences antérieures, j’ai cerné quelques points principaux à la collaboration entre artistes : le processus de création de groupe, la planification d’un projet collaboratif et la dynamique de groupe. Mon objectif est de trouver ce qui favorise la satisfaction individuelle quant au projet de groupe accompli. Pour approfondir ces points, j’ai entrepris une recherche par une approche mixte entre une recherche qualitative interprétative et une recherche-action (Savoie-Zajc et Karsenti, 2011, p. 116-117). J’ai évidemment fait des recherches des littératures à ce sujet mais j’ai également mis sur pied un projet de création collective. J’ai ensuite questionné plusieurs artistes ou groupes d’artistes lors d’entrevues, me permettant de récolter des informations qui m’ont aidé à souligner les aspects concrets les plus importants de ce type de processus. Finalement, j’ai procédé à la création du vade mecum en condensant à sa plus simple essence les résultats de toutes ces recherches.

    D’abord, après avoir bien situé la collaboration artistique dans l’histoire et dans l’art actuel, j’ai recueilli beaucoup d’informations à propos de la dynamique de groupe et plusieurs de ses facettes comme la structure du groupe, les rôles des membres et la posture d’autorité, le leadership et les types d’animation, la communication et la prise de décisions2. Ces recherches me permettent aujourd’hui d’y voir plus clair et de bien nommer les aspects qui composent cette dynamique. Je n’ai cependant pas trouvé de recette miracle permettant d’assurer la réussite d’un projet de collaboration. Néanmoins, cela m’a permis d’apprendre à bien considérer et nommer les subtilités qui composent la dynamique de groupe et de tout mettre en place pour en favoriser la réussite.

    Ensuite, pour mieux cerner le fonctionnement de ce type d’expériences, il était important d’analyser les différences entre un processus de création individuel et un processus de groupe. Gosselin et al. (1998) définissent la création comme une démarche se déroulant dans une certaine linéarité temporelle comportant un début, un développement et un aboutissement. Ils nomment ces étapes « phase d’ouverture, phase d’action productive et phase de séparation » (p. 648-649). J’ai porté mon attention sur ce qui diffère lorsque ce processus est observé chez un groupe, un duo ou un collectif d’artistes.

    De plus, puisque la pratique collaborative se précise souvent dans une approche du projet (Boutinet, 2005; Richard, 2013), il importe de bien analyser différents aspects avant de préparer un plan de création précis avec un contexte de réalisation et les ressources disponibles pour ne nommer que deux points essentiels. C’est d’ailleurs cette idée de plan qui a servi de base au contenu et à la structure du vade mecum.

    L’activité de création collective que j’ai mise sur pied et les entrevues avec des artistes travaillant en collaboration m’auront permis de valider et de complémenter les informations que j’avais recueillies au cours de mes lectures. Si de nouvelles pistes de recherches à propos de l’éthique et des identités collaboratives en ont émergées, j’ai décidé de conserver ces sujets pour des études ultérieures et de me consacrer au développement de l’outil imprimé qu’est le vade mecum.

    Le vade mecum : son contenu et ses fonctions

    Le vade mecum a été conçu à la fois comme un livre d’artiste et comme un guide pédagogique. Sa double fonction d’objet artistique et d’outil de travail lui permet de rejoindre un public varié et surtout d’être accessible à tous, autant aux savants du monde de l’art qu’aux néophytes, pour qui la collaboration demeure insaisissable.

    Le terme latin vade mecum a pour synonymes les mots « aide-mémoire », « mémento », « répertoire » et se définit comme étant un recueil présentant des renseignements sur les règles d’un art, une technique à examiner ou une conduite à expérimenter3. En ce cas, il s’agit d’un outil servant à connaitre les étapes à suivre pour bien structurer un projet collaboratif. Son petit format permet de le garder sur soi ou à portée de main pour le consulter à tout moment. Si l’outil que j’ai développé emprunte des aspects visuels au livre d’artiste, il répond aux fonctions d’un mode d’emploi pédagogique à propos de la collaboration entre artistes. Par la combinaison de mots dactylographiés, d’images imprimées en sérigraphie, de symboles inventés et de mises en page créées à l’encre et au graphite, il porte ma signature esthétique. Les graphiques au centre des pages proposent une métaphore emblématique des étapes de la collaboration. Ayant été inspirée par le schéma de la dynamique de création de Gosselin (1998, p. 649) ou, encore, de celui de Paul Valéry sur la création (Gingras-Audet, 1979, p. 198), j’ai développé une signalétique propre au projet. D’ailleurs, ces symboles pourraient très bien servir d’icônes ou de logos à celui ou celle qui utilise l’outil pour un projet de groupe.

    Si je considère que la mise en place d’un projet d’art ne peut être parfaitement standardisée au regard de la nature malléable et ductile de la création artistique, il existe des modèles de planification pour les projets de création dans un contexte pédagogique. Afin de m’appuyer sur une structure solide pour le contenu du vade mecum, soit le plan de base pour un projet de création en collaboration, j’ai puisé dans les recherches de Moniques Richard (2013) qui propose un modèle de conduite de projets et sa mise en œuvre pour le contexte universitaire. Ce modèle m’est apparu totalement pertinent et transférable au contexte de création en collaboration. J’ai toutefois complémenté cette structure de qualificatifs cernés dans mes recherches à propos de la collaboration.

    Le contenu du vade mecum se divise en quatre grandes sections : 1) Les étapes de conception d’un projet d’art collaboratif, 2) les politiques et règles du groupe, 3) les étapes de création artistique (Phase d’élaboration, Phase de préparation et de réalisation, Phase de finalisation) et 4) les procédures d’évaluation.

    Dans la première section sont abordées les étapes de rencontre entre les membres ainsi que la définition des objectifs. En effet, mes études et expériences ont dévoilé une importance capitale à la mise en place, aux premiers pas de l’organisation d’un projet collaboratif. Deuxièmement, la section à propos des politiques et règles du groupe abordent plutôt les aspects de la dynamique de groupe et comment chaque individu se positionne face aux autres et au projet de création artistique. Troisièmement, la section qui aborde les étapes de la création artistique traite du processus de création, de l’idéation à la diffusion d’un projet. Cette étape relève de la production et peut être également mise en parallèle avec des projets de disciplines variées. Finalement, la partie à propos des procédures d’évaluation indique des moments de mise au point avec le groupe, et ces étapes sont à répéter le plus souvent possible, lorsque nécessaire, lors d’un projet de groupe.

    En ajoutant une page vierge à la fin du recueil, je veux insister sur les divers rôles donnés au vade mecum, dont celui de bloc-notes. Bien que le livret soit d’abord et avant tout conçu comme une œuvre médiatique imprimée, je souhaite que celui qui le consulte se l’approprie. Les planches originales ont été numérisées dans le but de procéder à un grand tirage de la publication. De cette façon, il est possible pour tous de s’approprier une copie de l’œuvre unique. Évidemment, il peut être difficile de démanteler un livre, alors je conseille à ses utilisateurs de s’en procurer deux copies afin de pouvoir le transformer, ajouter ou rayer du contenu et le manipuler à sa guise. Effectivement, les fiches pourraient être détachées et regroupées afin de créer une structure pour un projet de création particulier. Par exemple, un enseignant en arts plastiques pourrait se réapproprier des fiches en les ordonnant à sa façon pour faire l’expérience d’une nouvelle approche collaborative en classe. Un artiste accompli pourrait le consulter avant d’entamer un nouveau projet avec de nouveaux collègues afin d’assurer le respect de certaines étapes importantes. Lors de ma présentation du vade mecum au congrès annuel de l’AQESAP en novembre 2014, je présenterai une version en fiches détachées permettant de créer un plan concret en les affichant sur un mur ou un tableau.

    Le vade mecum est dédié à toute personne intéressée de près ou de loin par le processus collaboratif, que ce soit des enseignants en arts, des artistes, des professionnels du milieu corporatif et même des étudiants.  Le recueil ne comprend pas toutes les références théoriques alors j’encourage toute personne intéressée par le sujet à consulter mon mémoire de maitrise (UQAM) pour une introduction aux théories et aux procédés de création en collaboration parce que l’art collaboratif peut amener à des résultats grandioses, spectaculaires et, ainsi, générer un important sentiment de réussite sociale.

    Le lancement du vade mecum se fera au Congrès de l’AQESAP les 21 et 22 novembre 2014 à Trois-Rivières.

    Merci de nous faire part de votre intérêt à commander le livret ou, encore, recevoir de l’information à ce sujet à l’adresse : artgenevievegodin@gmail.com

    www.genevievegodin.com

    Notes

    1 Engrenage Noir / LEVIER est un organisme québécois subventionnaire, indépendant et sans but lucratif, qui favorise la valeur de l’engagement de l’artiste et de tous les membres composant un projet artistique d’art communautaire activiste.

    2 Vous trouverez toutes ces informations dans le mémoire « Collaboration entre artistes en arts visuels : développement d’outils pour une dynamique de groupe en contexte professionnel » de Geneviève Godin, qui sera disponible à l’automne à la bibliothèque des arts de l’UQAM

    3 Définition trouvée sur le site www.cnrtl.fr

    Références

    Boutinet, Jean-Pierre. 2005. Anthropologie du projet. France : Presses Universitaires de France. 405 p.

    Chagnon, Johanne et Neumark, Devora (dir), Lachapelle, Louise (collab.). 2011. Célébrer la collaboration : Art communautaire et art activiste humaniste au Québec et ailleurs. Montréal et Calgary, Canada : LUX Éditeur et Detselig Entreprises, 376 p.

    Gingras-Audet, Jeanne-Marie. 1983. Paul Valéry et l’activité créatrice. Congrès 1983 Imaginaire et Créativité (Association québécoise des professeurs de français), p. 139-148 (résumé).

    Gosselin, Pierre, Gingras-Audet, Jeanne-Marie, Murphy, Serge et Potvin, Gérard. 1998. Une représentation de la dynamique de création pour le renouvellement des pratiques en éducation artistique. Revue des sciences de l’éducation, XXIV, 3, p. 647-666.

    Karsenti, Thierry et Savoie-Zajc, Lorraine. 2011. La recherche en éducation : étapes et approches (3e édition). Montréal : ERPI. 356 p.

    Richard, Moniques. 2013. La conduite de projets et sa mise en oeuvre. AVM4001: Création et enseignement des arts, Recueil de textes Hiver 2013 (p. 47-56). COOP UQAM, Université du Québec à Montréal.

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