PROJET « 33 TOURS À JOUR » :

TIRER PROFIT DE L’INTÉRÊT DES ÉLÈVES POUR LA CULTURE POP VINTAGE

par Maude Houle-Robitaille

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Maude Houle-Robitaille

Houle-Robitaille

Biographie

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    Étant finissante à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) au Baccalauréat en arts visuels et médiatiques, profil enseignement, le projet dont je traite dans cet article a été réalisé dans le cadre de mon stage IV. À travers mon parcours universitaire, j’ai eu la chance de faire, en 2018, mon stage I à la Polyvalente Sainte-Thérèse et mon stage II à l’école primaire Sainte-Bernadette-Soubirous. Mon stage III, quant à lui, s’est déroulé à l’école secondaire du Harfang à Sainte-Anne-des-Plaines en 2021. Pour conclure ma formation, j’ai opté pour le niveau secondaire, dans le cadre de ce stage réalisé sous la supervision de la professeure de l’UQAM Adriana de Oliveira, à la même école où a eu lieu mon stage I. Sur le terrain, j’ai eu la chance d’être accompagnée par Évelyne Mireault, une enseignante merveilleuse et passionnée, proche de ses élèves et ayant un dynamisme et une bonne humeur contagieuse. Celle-ci m’a accueillie à bras ouverts et m’a permis de vivre une expérience formatrice qui confirmera mon choix de carrière en tant qu’enseignante en arts plastiques au niveau secondaire. À travers ces quelque 50 jours de stage, qui s’est déroulé des mois de janvier à avril 2022, j’ai pu conduire un projet de recherche pédagogique très instructif, ayant donné d’intéressants résultats. Cette situation d’apprentissage et d’évaluation, intitulée 33 tours à jour, a été, selon moi, signifiante pour les élèves qui y ont participé.

    Projet de recherche pédagogique [1]
    Le projet fut conduit auprès de groupes d’élèves de secondaire 3, 4 et 5, inscrits en option « Design ». Il a été réalisé sur une durée de dix cours échelonnés entre le 23 février et le 5 avril 2022. Les projets accomplis dans le cadre des cours de cette option, créée par mon enseignante formatrice en 2013, introduisent les élèves au monde des œuvres graphiques, aux images ayant une nature utilitaire, décorative et impliquant les élèves dans les projets de l’école, tels que les murales et les maisons hantées. Le projet pédagogique que j’ai conçu et réalisé s’inscrit dans l’orientation de cette option, soit celle du design graphique. Cette option s’échelonne sur quatre cours d’une durée d’une heure quinze minutes répartis dans un cycle de neuf jours.

    Mon projet de recherche pédagogique repose sur la conception d’une pochette de disque en vinyle 33 tours où l’élève est convié à inventer le groupe de musique, le genre musical et cinq à dix titres de chansons à inscrire au verso de la pochette. On comprend alors le sens du titre, soit 33 tours à jour, de ce projet composé de deux parties. La première est liée à la confection de la pochette en tant que telle, et la deuxième du disque en carton (en guise de « vinyle »), pour lequel l’élève produit l’étiquette apparaissant en son centre. Les principaux éléments à travailler relevaient de la composition (recourir à deux à trois plans) et de la création de trois typographies différentes à travers toutes les surfaces produites. La compétence disciplinaire en arts plastiques du programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) est bien sûr celle de « créer des images médiatiques » et le domaine général de formation est celui des « Médias » (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). L’objectif pédagogique du projet était de faire découvrir aux élèves le métier de designer graphique, leur faire redécouvrir l’ancêtre du disque CD, soit le microsillon en vinyle, ainsi que de leur permettre d’être créatifs en inventant un groupe musical ainsi que son identité visuelle. Pour faire leur réalisation, les élèves ont eu la possibilité d’utiliser une grande gamme de médiums. Les principales techniques artistiques qu’ils avaient la possibilité d’explorer étaient celles de la peinture (acrylique et aquarelle), du collage (à partir de magazines, de journaux ou de feuilles imprimées), du dessin (crayon de bois, feutre et encre) et finalement du pastel gras et sec.

    Ce projet axé sur la création d’images médiatiques au sens large s’est amorcé par la venue en classe d’une designer graphique, puis par la réalisation de deux exercices de base lors du premier cours. Marie-Soleil Morin, diplômée du cégep Marie-Victorin en design graphique et travaillant pour la compagnie Tanit – Les laboratoires MZL, nous a consacré de son temps en offrant aux élèves un « cours particulier » où elle a présenté les composantes de son travail ainsi que ses études, soit la formation qu’elle a suivie pour y arriver. La question mobilisatrice du projet a été introduite au moment de sa présentation : « Qu’est-ce que le design graphique selon vous? ». Suivie des sous-questions menant au projet : « À quoi sert-il? », « Quels objets de votre quotidien nécessitent le travail d’un designer graphique selon vous? », « Un groupe de musique en a-t-il besoin? ».

    La présentation de Marie-Soleil Morin a ensuite été suivie de considérations théoriques sur le design graphique, sur la typographie ainsi que sur les plans d’une image. Finalement, le cours a été conclu avec la réalisation de deux exercices portant sur la typographie et les plans dans le but de préparer les élèves au projet en tant que tel. Ils avaient à leur disposition tous les matériaux alloués pour la création de la pochette de vinyle et devaient créer une image en trois plans sur une feuille de 8,5 x 11 pouces. Par la suite, les adolescents étaient conviés à inventer le nom d’un groupe de musique et à créer l’étiquette en forme de rond située au centre du disque en vinyle, en utilisant deux typographies différentes pour le texte devant y apparaître. L’ensemble du cours, incluant l’intervention de la designer professionnelle, a été filmé puis diffusé aux trois autres groupes afin que les élèves vivent le même point de départ pour le projet.

    La situation d’apprentissage et d’évaluation a ensuite été proprement présentée à la première moitié du cours suivant. Une discussion sur l’origine des vinyles a eu lieu avec les élèves et des artistes de la typographie, tels que Christopher Wool, Alex Trochut, Craig Ward, Stefan Sagmeister et Wim Crouwel, leur ont été présentés pour enrichir le tout. Les élèves ont par la suite eu trois cours dédiés aux croquis et aux démonstrations de médiums et de supports. Ils avaient alors le choix entre différents cartons selon les médiums choisis. Les cinq cours suivants ont été consacrés à la réalisation de la pochette. Le projet s’est terminé par un demi-cours consacré à l’appréciation esthétique de leur propre travail (compétence disciplinaire 3, PFEQ), à la coévaluation et à l’affichage des projets dans le couloir des arts de la polyvalente Sainte-Thérèse. Tout au long du projet, la présentation de la designer graphique, la théorie partagée, les étapes de réalisation du projet et les images d’inspiration ont été rendues accessibles aux élèves par la plateforme Google Classroom.

    Résultats
    Globalement, les résultats finaux sont très satisfaisants, les projets sont diversifiés, personnels et originaux. Beaucoup de médiums et de techniques ont été explorés par les élèves. Certains ont même peint de vrais vinyles, me montrant ainsi la qualité de leur engagement dans ce projet. J’ai pu y voir des élèves allumés, ouverts d’esprit et produisant une création artistique liée au design graphique à partir de leurs intérêts. Le fait d’avoir tissé des liens étroits avec leur culture informelle semble les avoir amenés à s’appliquer et à être davantage motivés dans la réalisation de chaque étape.


    Réalisations d’élèves

     

    La contribution d’une designer graphique, pour commencer concrètement le projet, a été l’élément qui a su particulièrement piquer l’intérêt des jeunes. Si j’avais à refaire ce projet, je crois fortement que cette visite serait nécessaire de reconduire cette activité qui s’est avérée très enrichissante pour les élèves. Car même conduite dans un contexte de cours d’arts plastiques obligatoire, une telle visite est susceptible de favoriser l’engagement et d’accrocher même les élèves récalcitrants à cette matière. Cependant, le fait que ce projet comporte plusieurs étapes, dont l’enchaînement logique et structuré est nécessaire pour sa bonne réalisation, peut représenter un défi. Les documents didactiques clairs, élaborés pour soutenir ce projet, et où les apprentissages sont « découpés », ont été d’une grande aide. De plus, la diffusion de ceux-ci, par l’entremise de la plateforme Google Classroom, a été un élément clé dans la réussite de cette situation d’apprentissage et d’évaluation. Sur le plan des choses à changer, il serait pertinent d’ajouter, aux critères d’évaluation, la présence de la langue française. La culture des jeunes étant en partie américanisée, elle est très axée sur la présence de la langue anglaise. En effet, j’ai remarqué qu’une grande majorité des titres figurant sur les pochettes étaient entièrement en anglais, ayant personnellement oublié ce précieux critère.

    Grâce à la réalisation de ce projet, les élèves connaissent maintenant l’apport d’un designer graphique dans leur quotidien. Ils savent, de plus, comment utiliser une plus grande quantité de médiums artistiques et d’outils différents. Ils ont aussi découvert comment transmettre un message, en recourant au texte et à l’image, et bien choisir la typographie à utiliser selon le public cible, en tenant compte du genre musical du groupe inventé.

    Apport pour les élèves, le milieu et ma pratique éducative
    La musique populaire étant présente dans le quotidien des élèves en tout temps, même au local d’arts plastiques, elle constitue alors un centre d’intérêt important pour les jeunes, faisant partie de leur culture. Ce projet a donc permis à beaucoup d’entre eux d’exprimer ce qui leur tient à cœur. De plus, le style « vintage » étant à la mode actuellement chez les jeunes, cela a participé à l’engouement pour les vinyles et a créé une plus grande ouverture de la part des élèves. Comme mentionné plus haut, certains élèves ont même peint, dessiné ou collé par-dessus de vrais vinyles achetés ou empruntés à leur entourage.

    Les multiples réalisations du projet étant affichées dans le couloir des arts plastiques de la polyvalente, emplacement à la vue des quelque 2000 élèves de l’école, cela a permis à mes élèves de recevoir une certaine reconnaissance pour leurs efforts tout en les rendant fiers d’eux-mêmes. Le projet a aussi attiré l’attention d’élèves non inscrits au programme de « Design » et leur a peut-être donné le goût de choisir éventuellement cette option. J’ai également eu la chance d’entendre d’intéressantes discussions entre les élèves et le personnel de l’école au sujet du projet 33 tours à jour. Les réalisations découlant de ce projet ont en quelque sorte pu établir une connexion entre différentes générations grâce au retour en popularité de ces objets « vintage ».

    Ma pratique éducative a également été impactée positivement par ce projet de recherche pédagogique. J’ai pu y voir des créations d’élèves personnelles et très différentes les unes des autres. Ayant d’ailleurs fait l’essai de deux autres situations d’apprentissage et d’évaluation avec ces groupes, j’ai remarqué une différence marquante entre les réalisations du projet de vinyle et ceux des autres projets. Toujours dans le cadre de mon stage IV, j’ai fait l’essai d’un projet de mandalas pyrogravés sur plaquettes de bois circulaires, ainsi qu’un projet de dessin d’observation de rubans manipulés. Chaque fin de projet a été ponctuée par une appréciation écrite de la part des élèves. Le projet de pyrogravure et de dessin d’observation étant des activités plus techniques, les critiques récurrentes des élèves étaient axées sur la difficulté des procédés utilisés et sur le manque de liberté de création. Même s’ils ont tout de même majoritairement apprécié ces derniers projets, celui portant sur le disque vinyle sort vainqueur de ce travail d’appréciation final. En effet, les élèves semblent avoir aimé l’aspect libre du projet. J’en suis alors venue à la conclusion que plus il y a de place à la créativité dans un projet, plus l’élève s’y engagera. Par conséquent, je vise à ce que mes situations d’apprentissage et d’évaluation futures soient moins techniques et plus enclines à faire appel à la créativité des élèves.

    Note

    [1]Précisons que, dans le cadre du projet de recherche pédagogique, les étudiant.e.s du stage IV choisissent l’une des trois options suivantes :
    1. Collaborer avec un artiste dont la pratique peut toucher toutes les formes d’art – du graffiti à la performance en passant par le graphisme et la peinture à l’huile – et ce, dans l’esprit de l’intégration de la dimension culturelle à l’école (Ministère de l’Éducation du Québec, 2003).
    1. Collaborer avec une personne intervenante dans la communauté, tout en tissant des liens entre elle et des problématiques pouvant avoir des résonances pour les élèves tels la quête identitaire, le métissage, l’intégration des jeunes issus de l’immigration, l’écologie, l’itinérance, l’entraide ou la paix dans le monde.
    1. S’associer à la Galerie de l’UQAM pour contribuer, sur les plans pédagogique et artistique, au projet L’art cultive.
    Dans les trois cas de figure, le projet doit être étroitement lié aux besoins et aux caractéristiques des élèves ainsi qu’aux ressources et aux préoccupations particulières du milieu. De plus, il doit se conformer aux règles sanitaires en vigueur (relatives à la pandémie de la COVID-19).
    Extrait du plan de cours du AVM4951 Stage d’enseignement des arts plastiques au secondaire : intégration professionnelle.

     

    Références

    Ministère de l’éducation du Québec (2003). L’intégration de la dimension culturelle à l’école. Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/formation_jeunes/IntegrationDimensionCulturelleEcole_DocRefPersEns.pdf
    Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2007). Programme de formation de l’école québécoise : enseignement secondaire. Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/enseignants/pfeq/secondaire/domaine-des-arts/arts-plastiques/

    Citer cet article :
    Houle-Robitaille, M. (2022).  Projet « 33 tours à jour »: comment tirer profit de l’intérêt des élèves pour la culture pop vintage?. Vision (revue de l’Association québécoise des enseignantes et enseignants spécialisés en arts plastiques ) nº 82, juin.
    Tous droits réservés © AQESAP

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