Regard sur une expérience en transmission de l’art dans un contexte autochtone

DEUXIÈME PARTIE // L’action sur le terrain : la création d’audioguides à Uashat Mak Mani-Utenam.

par Diane Laurier

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Diane Laurier

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Biographie

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Cet article est le deuxième d’une série de trois portant sur la mise sur pied d’activités culturelles et artistiques destinées aux jeunes de la communauté d’Uashat Mak Mani-Utenam. Si le premier article (Laurier, 2012) témoignait de la préparation des activités, le second relate les événements entourant l’action sur le terrain, alors que le troisième sera consacré à l’évaluation de l’expérience.

Le contexte

Depuis plus d’une vingtaine d’années, l’enseignement des arts plastiques dans des contextes communautaires représente un champ d’intérêt m’ayant amenée à mettre en œuvre des projets qui, pour la plupart, prennent la forme de rencontres entre un groupe d’élèves et un groupe issu d’une collectivité donnée (Laurier, 2008). C’est assurément cet intérêt qui m’a motivé à rejoindre le groupe de recherche Design et culture matérielle1 (Kaine et al., 2010) à titre de cochercheuse du projet La création et la concertation comme leviers de développement des individus et des communautés autochtones2.

Je m’intéresse particulièrement au développement de l’estime de soi et du sentiment d’appartenance chez les jeunes issus de communautés autochtones. Il s’agit, dans le contexte d’un travail en enseignement des arts, d’augmenter les chances de résultats positifs tangibles auprès d’élèves qui, selon le Réseau de recherche en santé des populations du Québec (2008), sont aux prises avec de nombreuses difficultés d’ordre psychosocial.

L’action

Mon récit commence la veille du départ pour Sept-Îles.

Voilà. Tout est prêt pour passer à l’étape de la réalisation sur le terrain des activités artistiques qui mèneront à la production d’audioguides déposés sur le site Trass (trass.qc.ca) initié par le Service national du RÉCIT, domaine des arts. Les deux groupes d’élèves participant au projet sont issus de la cinquième année primaire de l’école Johnny Pilot et de la première secondaire de l’école Manikanetish. En plus de vivre une expérience les amenant à découvrir ou à approfondir un aspect de leur culture, à entrer en contact avec des artistes de leur communauté, à créer une œuvre d’art collective et, finalement, à s’initier à la création de balados, ils feront connaître leur environnement culturel immédiat et leur création à toute personne désireuse de les apprécier partout au Québec.

À la veille du départ, j’appelle Diane Savard pour régler les derniers préparatifs du voyage. Diane est une spécialiste en arts fraichement retraitée qui possède une riche expérience en enseignement et partage le même engagement que moi envers la cause autochtone. Elle a accepté d’être ma complice bénévole pour tout le temps que durera l’aventure – soit du 19 mars au 5 avril 2012 – et je sais à l’avance que, sans elle, il me serait très difficile de réaliser ce projet.

En outre, le défi est grand, car nous n’avons pas droit à l’erreur. Lorsque la finalité est de rehausser l’estime des élèves par la création d’œuvres dont ils seront fiers, il n’est pas question de faire naître un sentiment d’échec chez eux. Aussi chaque étape exigera-t-elle une réalisation minutieuse et une efficience de tous les instants. Dormir peu. Être efficace. S’adapter rapidement. Avoir une volonté à toute épreuve. Voilà les mots d’ordre pour les prochaines semaines.

Semaine 1

Cette première semaine est importante, puisqu’il s’agit d’établir un lien de confiance avec les élèves, de leur présenter en quoi consiste la création de balados et de leur faire vivre une rencontre avec des artistes, que j’appelle des « porteurs d’espoir » en raison du modèle de réussite qu’ils représentent pour les jeunes. Non seulement ces artistes portent fièrement leur identité autochtone, mais c’est notamment grâce à cette identité qu’ils ont développé leur spécificité, leur sens artistique ainsi qu’une forme de reconnaissance.

Le groupe de jeunes du primaire rencontre Ernest Dominique, artiste peintre ayant mis sur pied la maison Agara (www.agara.ca). C’est avec une générosité et une sincérité désarmantes qu’il accueille les enfants et leur raconte son histoire – entre autres, comment la peinture lui a, à plusieurs égards, sauvé la vie. Puis, l’artiste et les jeunes visitent le Musée Shaputuan où le coordonnateur les entretient du rôle d’un lieu de transmission de la culture et de l’importance de préserver la langue innue, langue qui, fait étonnant, n’est plus parlée par les élèves. Au retour, ceux-ci font ressortir les aspects de leur visite les ayant le plus marqués : 1) l’anecdote d’Ernest Dominique qui, dans son enfance, se précipitait sur les sacs bruns d’épicerie afin de les utiliser comme support pour dessiner ; 2) la toile représentant une meute de petits loups qu’ils ont particulièrement appréciée. C’est donc avec ces éléments que je conçois l’activité, soit la réalisation d’une meute de loups sur du papier kraft, combinant les techniques du dessin d’observation, de la peinture à la gouache liquide, du collage de papiers découpés ou déchirés et de l’assemblage d’objets naturels.

Puisque, pour le groupe du secondaire, la musique occupe le premier rang en matière d’intérêt culturel, nous optons pour une visite au studio d’enregistrement Inniun (www.inniun.ca), situé près de l’école. Moïse, le propriétaire du studio, montre aux élèves les rudiments des appareils, tandis que Philippe McKenzie, le premier auteur-compositeur-interprète de la communauté à avoir osé chanter en langue innue, leur raconte son histoire. Enfin, nous leur avons réservé une surprise : la visite du chanteur Shauit, qui jouit d’une forte popularité pour avoir notamment joué avec le rappeur Samian! Shauit confie aux jeunes, attentifs et impressionnés, que c’est son désir de chanter dans sa langue maternelle qui l’a poussé à l’apprendre une fois adulte. Puis, les deux chanteurs leur livrent un ultime message : l’importance de poursuivre leur rêve et de travailler avec persévérance afin de le réaliser. Le lendemain, nous retournons tous au studio pour une séance de photographies où, l’espace d’un instant, chacun devient le membre d’un groupe de musique.

Semaine 2

La semaine deux est consacrée à la création des œuvres plastiques. Chaque élève réalise alors une œuvre individuelle au sein d’une autre, rassembleuse et collective. C’est pour souligner le sentiment d’appartenance à un groupe et la place particulière qu’occupe chacun des élèves dans celui-ci que nous optons pour la réalisation d’une œuvre collective.

Pour les enfants du primaire, l’ensemble de l’activité se déroule au Musée Shaputuan qui, l’espace d’une semaine, s’anime de la présence des enfants. Pour les jeunes du secondaire, nous faisons imprimer les photographies d’eux métamorphosés en musiciens. Sur ces photos, grandeur nature, en noir et blanc, les jeunes s’approprient leur image en y appliquant de la couleur à l’aide de pastel gras, procédé qu’ils ne connaissaient pas. En même temps s’amorce le travail des textes narrant leur expérience et devant se trouver sur les audioguides. Une fois les textes réalisés, les jeunes procèdent à des séances de répétition. Puis, Jean-François, chargé de projet en robotique pour le groupe de recherche, rencontre les jeunes et les aide à la réalisation numérique des audioguides. La fin de semaine nous donne peu de répit : nous terminons les deux réalisations collectives en les mettant en valeur, chaque détail étant investi de toute notre attention.

Semaine 3

Lors de la troisième semaine,  les jeunes sélectionnent les photos prises durant toute la durée du projet. Nous enregistrons la narration accompagnant les photographies. Tous ont une partie de texte à communiquer. Jean-François termine le montage final des balados. Puis vient le moment d’offrir les œuvres aux membres de la communauté.  Jean Saint-Onge, technicien du Musée et aide précieuse de tous les instants, nous assiste dans l’accrochage permanent des œuvres. À l’école primaire, l’œuvre est exposée sur un mur donnant sur l’entrée principale, bien à la vue de tous. Pour le secondaire, l’œuvre aux proportions importantes (7 pieds sur 12) est exposée dans l’entrée du nouvel édifice du Conseil de bande de la communauté. De la sorte, la présence de l’œuvre dans le hall de ce lieu décisionnel rappelle aux élus l’existence des jeunes tout en  ramenant nos actions en transmission de l’art dans la sphère politique.

Le moment qui, pour Diane et moi, est probablement le plus important est celui où nous dévoilons aux élèves les œuvres qu’ils n’ont pas encore vues achevées. Leurs yeux en disent long sur leur émerveillement! À suivre…

KAINE, É., DE CONINCK, P. et BELLEMARE, D., « Pour un développement social durable des individus et des communautés autochtones par la recherche action/création : le design et la création comme leviers de développement », Nouvelles pratiques sociales, vol. 23, no 1, automne 2012, p. 33-52.

LAURIER, D., « Regard sur une expérience en transmission de l’art dans un contexte autochtone », Vision, no 73, 2012, p. 14-18.

LAURIER, D., « Regard sur le sens d’une pratique de l’enseignement des arts engagée dans des contextes communautaires », dans A.-M. Émond, A. Savoie, F. Gagnon-Bourget et P. Gosselin, Actes du colloque sur la recherche en enseignement des arts visuels, (Université de Montréal, 27 mai 2008), Montréal : CRÉA Éditions, 2008, p 45-52

NINACS, W. A., Empowerment et intervention. Développement de la capacité d’agir et de la solidarité, Québec : Presses de l’Université Laval, 2008, 140 p.

RÉSEAU DE RECHERCHE EN SANTÉ DES POPULATIONS DU QUÉBEC, « Jeunesse autochtone et inégalités sociales de santé. Miser sur la jeunesse autochtone aujourd’hui pour des communautés en santé demain », Carnet-synthèse, juillet 2008, p. 1-11.

1 Le groupe de recherche Design et culture matérielle (DCM) œuvre depuis 1992 auprès des peuples minoritaires en perte d’identité. Formé de chercheurs de l’Université du Québec à Chicoutimi et de l’Université de Montréal, il tente de concevoir des stratégies novatrices liant développement individuel et développement communautaire (Kaine, De Conninck et Bellemare, 2010).

2 Ce projet de recherche est subventionné par le programme de recherche Alliances de recherche universités–communautés (ARUC, 2010) relevant du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Nous remercions grandement le Conseil pour son soutien.

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