UN VA-ET-VIENT ENTRE l’art et son enseignement

par Mélanie Desourdy

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Mélanie Desourdy

Enseignante en arts plastiques à l'école secondaire St-Laurent, artiste, étudiante à la Maîtrise en création des arts visuels et médiatiques à l’UQAM

Biographie

Autres publications de cet auteur

    L’imagination est plus importante que le savoir (Albert Einstein)

    Alors que plusieurs abandonnent leur pratique artistique pour se consacrer totalement à l’enseignement des arts, soit par manque de temps, d’énergie, d’inspiration ou d’espace (il faut un atelier où le matériau est disponible rapidement), je continue de créer et exposer tout en enseignant les arts plastiques au secondaire. Car oui, peindre requiert de la préparation. Ce n’est pas, comme la littérature, un art où l’on n’a besoin que d’un ordinateur ou de papiers et d’un crayon, mais bien, dans le cas de la peinture, de l’eau et ses godets, des palettes, de la peinture, des pinceaux et une surface et tout ça, pour ma part, dans un endroit à l’abri d’un bébé de 10 mois qui se déplace à 4 pattes… Alors que plusieurs choisissent d’enseigner les arts et d’abandonner l’art pour eux-mêmes, j’ai persisté. Et j’expose, depuis 15 ans, à chaque année. Et j’envoie des dossiers et je vais voir des expositions, qui m’inspirent souvent des projets avec les élèves et alimentent ma pratique artistique. J’essaie aussi de voyager pour être au courant de ce qui se fait ailleurs dans le monde; cette année je suis allée à Venise, pour la Biennale. Alors, comment fais-je? Je priorise ma création et me trouve du temps. Il faut choisir entre… peindre et faire le ménage (oh le beau choix… ), peindre et aller courir, peindre et regarder un film collé contre son amoureux, entre peindre et procrastiner devant Facebook, etc. C’est un choix, qui justifie le manque de farniente dans ma vie, ces moments où l’on prend beaucoup de temps pour faire très peu de choses, où l’on paresse, mais si ce moment à me retrouver dans l’atelier est plus satisfaisant que tout le reste, je n’ai pas à me sentir coupable et je suis la seule pour juger du bien que ce choix me fait.

    Cet hiver, j’ai produit, dans le cadre du Festival Art souterrain dont le thème était La sécurité dans notre société, une installation où le spectateur se retrouvait dans ma cuisine, (dé)placée dans la Gare Centrale. Lorsqu’il ouvrait la porte du réfrigérateur, il entrait dans mon intimité alimentaire et celle de ma famille : la totalité des factures d’épicerie des deux dernières années pendait et se répandait dans le frigo, accompagnée de statistiques. En ouvrant la porte du congélateur, le spectateur se retrouvait devant un miroir qui lui renvoyait sa propre image: il devenait un genre de Big Brother… En rendant public mon frigo, je me réappropriais mes informations personnelles, recueillies par les géants de l’industrie…

    Mais comment ai-je eu cette idée de conserver toutes ces factures d’épicerie? Grâce à l’enseignement! Empruntant un projet sur l’identité élaboré par ma collègue (Julie Parenteau merci!), projet inspiré par l’artiste Tracey Emin, j’ai dû m’interroger sur ma propre identité avant de le faire vivre aux élèves. Ayant grandi et ensuite travaillé dans une épicerie, celle de mes parents, mon rapport à la nourriture, à la caissière, à l’emballeur et à la facture était teinté de ces souvenirs. Ce mince morceau de papier représentait à lui seul une panoplie d’émotions; tout un pan de mon histoire familiale. De l’emballeur (mon premier kick), à la descente de l’escalier s’il manquait un ingrédient pour le souper, au fait de prendre la nourriture sans la payer, sous le regard médusé des employés… De même qu’aux samedis soirs, quand mes parents balançaient les caisses, où mes sœurs et moi nous promenions avec des paniers que nous remplissions de nourriture. Nos jeux se déroulaient dans ce contexte. Par la suite, j’y ai travaillé, alors agée de 10 à 17 ans. C’est donc en m’interrogeant sur mon identité que j’en suis venue à conserver mes factures d’épiceries pendant presque 3 ans… Évidemment, mon identité ne se résume pas qu’à une facture d’épicerie, mais disons que celles-ci étaient faciles à conserver et à accumuler… ce qui a fini par me servir!

    Il était important pour moi de faire une installation interactive, où les gens devaient ouvrir des portes pour découvrir des traces électroniques et des traces de mon alimentation elle-même. Ils devaient essuyer leurs pieds sur le tapis avant d’entrer et s’asseoir à la table ensuite. De même, puisque chez moi, ainsi que dans mes tableaux, on retrouve beaucoup de couleurs, l’espace devait refléter ma réalité et je voulais produire une installation hautement colorée.

    Cette œuvre interactive traitait également de l’intime et du privé, intégré à un lieu public : ma cuisine dans la gare, les factures dans le frigo qui lui est placé dans la cuisine… Avant de produire l’installation, j’y pensais constamment; j’avais en tête tous les paramètres (conserver des boîtes de conserve ou faire imprimer du vinyle adhésif, acheter des tasses et un tapis, etc.), car le processus de création pour une installation diffère de celui relié à la peinture selon moi. Cette approche conceptuelle se distinguait de ma créativité habituelle, celle-là très spontanée et immédiate.

    En peinture, mes tableaux peuvent vivre en solo, diptyque ou polyptyque, ce sont des tableaux physiques qui, juxtaposés, créent des suites. À l’intérieur de chacun : des tableautins. Ceux-ci se titillent : des carrés de différentes tailles se juxtaposent et se répondent l’un l’autre. Des oppositions entre aplats et dégradés, abstractions et vagues figurations. Des formes colorées qui s’imbriquent les unes aux autres tel un casse-tête ou qui se regardent comme on entre dans un labyrinthe, pour en ressortir seulement quand on a trouvé la bonne combinaison. Dans mon art, je veux que les gens s’approchent et s’arrêtent. Qu’ils prennent le temps de regarder pour voir toutes les zones telles que je les aie conçues… Je voudrais absorber le public pour qu’il comprenne et puisse voir mon processus, et toutes les décisions prises lors de mon acte créatif.

    Je désire également créer des tableaux qu’on peut manipuler. La participation du public rend l’art ludique et interactif. Je souhaite que le public puisse y trouver son compte, que le tableau puisse être reconstruit, avec la sensibilité du spectateur. Dès lors je questionne celui-ci, qui doit s’attarder à l’œuvre et ainsi porter un regard qui modifiera sa perception du tableau. En variant mes formats, leur échelle, leur position dans l’espace, leur hauteur, j’interpelle le spectateur. Celui-ci devra s’approcher, reculer, se pencher, se déplacer ou toucher aux œuvres pour pouvoir pleinement apprécier mon art.

    Pour ma part, le plaisir de voir la création surgir d’un rien, et qui devient un tout, est plus fort que … tout. Que ce soit en enseignement, lorsque les élèves entrent dans le processus de création et qu’ils voient le résultat apparaître ; quand je les questionne pour les stimuler artistiquement, pour qu’ainsi les idées surviennent dans leur tête, ou simplement quand je redeviens artiste… Cet instant, ces instants, me comblent. Avec le recul, j’ai réalisé que plusieurs liens unissaient mes projets d’arts et mes idées de projets pour les élèves.

    L’année dernière, histoire de récupérer et réutiliser les dizaines de contenants de 2 litres de lait que le personnel de notre cafétéria jette chaque semaine, j’avais proposé aux élèves d’imaginer et de concrétiser de petits lieux qui prendraient forment dans une boîte de lait ou de mouchoirs. La boîte devait avoir une porte par où on entrait dans un univers unique. Que la boîte ou la porte soit horizontale, verticale, du côté profond ou élevé… il s’agissait d’ouvrir la porte vers une intimité, de montrer ce qu’on veut garder caché. Une autre année, c’était un rouleau de gros papier collant transparent que l’on aurait jeté au recyclage qui devenait une mini boîte dans laquelle se cachait un secret ou une passion peut-être inconnue des autres… En 2011, ce sont des villes qui se fondaient ensemble pour en devenir une seule : inexistante dans la vraie vie, mais ancrée dans l’imaginaire de chacun des élèves. L’accumulation, la répétition, le souvenir, le collage, la couleur, la précision sont autant de caractéristiques qui reviennent dans mes projets personnels et dans les travaux de mes élèves… Nos projets en enseignement des arts finissent souvent par avoir une teinte, un peu comme un “Trade mark”. Il s’agit de projets qui se ressemblent un peu, qui ont nos valeurs, nos techniques ou matériaux fétiches. Mais c’est d’abord et avant tout notre façon d’enseigner ou de voir la création qui prime. Mon plaisir à enseigner transige par la conception et l’élaboration de projets pour les jeunes. Je crois également qu’il est important de renouveler nos projets ou notre niveau d’enseignement : enseigner à des 2e ou des 5e secondaire est très différent. Je mourrais d’ennui à refaire le même projet année après année…

    Selon moi, l’élève doit toujours avoir plusieurs options devant lui. Pourtant, il peut démontrer sa créativité s’il est confronté à plusieurs contraintes et qu’il doit trouver une solution pour les intégrer ou les contourner… or, je veux qu’il fasse un choix. Si tous les projets d’un même groupe se ressemblent lors de l’accrochage, je m’imagine avoir failli à ma tâche… Oui, l’élève doit apprendre à maîtriser (le mot est-il justifié au secondaire ?) une technique ainsi qu’un matériau, à apprécier et critiquer des œuvres d’art ou des images, mais l’élaboration de son idée et de toutes ses décisions par rapport à son contenu et au résultat final sont majeures. Car ainsi nous pouvons parler de création. Et s’il y a un élément que l’élève peut et pourra réinvestir dans sa vie courante, immédiate ou future, il s’agit bien de créativité ou de trouver des solutions diverses à des problèmes donnés. Ceci étant dit, le plus important en enseignement est l’être humain qui se trouve devant nous et donc, entrer en contact avec les jeunes pour qu’il se crée un climat de confiance est primordial. Ainsi, les créations pourront être personnelles et audacieuses. Le côté social et interactif de l’humain est l’une des raisons pour lesquelles j’enseigne. Je ne suis pas certaine qu’être à l’atelier en solitaire à l’année longue serait pour moi un gage de bonheur. J’ai besoin des deux pratiques, qui forment mon équilibre.

    L’art a toujours été au cœur de ma vie, il a toujours été ma vie… Il était inconcevable pour moi d’arrêter de peindre, de créer. C’est pourquoi j’ai toujours réussi à lui trouver du temps, à lui faire une place. Enseigner au secondaire demande beaucoup d’énergie, autant physiquement que mentalement. La création, en arts visuels comme dans plusieurs autres champs, est également très exigeante. C’est un investissement de temps, c’est un moment qui t’avale et te transporte, qui demande généralement plus d’une heure devant soi, c’est une immersion… Quand on crée, on est complètement absorbé par notre travail. Quand je suis dans un état créatif pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines (les vacances d’été par exemple) il en résulte que je suis en quelque sorte à deux endroits en même temps : dans ma tête, à continuer l’œuvre et physiquement ailleurs. C’est un peu une absence au monde et une présence constante à notre art, qui nous habite, nous hante. L’art est important et me comble à un point tel que ceux (personnes-éléments-instances) qui m’empêchent de créer deviennent carrément une source de frustration, car mon envie d’être dans l’atelier est plus forte que tout! Être constamment tiraillée entre cette envie d’être dans l’action devant le tableau, ou dans le vrai monde… parce que c’est l’été, le printemps ou la fête…

    Tandis qu’en enseignement, nous sommes complètement dans le moment présent. On doit être là, physiquement et mentalement, être disponible, attentif à l’autre et de bonne humeur ou, du moins, d’humeur égale (pas toujours facile), enthousiaste de partager notre passion, notre nouveau projet, le matériau, alouette. On peut alors difficilement être dans la lune ou absent quand 30 adolescents de 14 ans nous regardent…Bref, l’art et l’enseignement sont chacun prenants physiquement, mentalement et émotionnellement et c’est pourquoi conjuguer l’un et l’autre dans sa vie est parfois ardu, mais ô combien satisfaisant! Pour ces raisons, et parce que je commence une maîtrise en arts visuels – volet création – à l’UQÀM, je suis à 80% de tâche depuis deux ans. Je vous l’accorde, voilà la clé de mon succès : enseigner à temps partiel dans une bonne école. Sur ce, gardez-vous de petits moments, rien que pour vous, pour créer !

    www.melaniedesourdy.com

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