Yvan Boulerice et l’image de l’art

ENTREVUE D’YVAN BOULERICE, ÉDITEUR DE MATÉRIEL POUR L’ÉDUCATION ARTISTIQUE

par Daniel Charest

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Daniel Charest

Professeur à l'école des arts visuels et médiatiques, UQAM

Biographie

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« La situation de l’édition scolaire en éducation artistique au Québec et ailleurs »

D.C. Comment entrevoyez-vous l’avenir du travail d’éditeur de matériel scolaire et, plus particulièrement, en éducation artistique?

Je suis assez pessimiste quant à l’ensemble de la problématique de la publication d’outils pédagogiques dans le milieu scolaire. Pessimiste parce que, dans les années 1970-1980, on pensait qu’on se dirigeait vers une percée spectaculaire alors que ce fut plutôt la décroissance à partir des années 1990, du moins en ce qui a trait à mon travail d’éditeur en éducation artistique.

Actuellement, le monde de l’édition n’est plus dans la continuité mais dans la rupture avec ses activités traditionnelles. Il y a quelques jours, Apple lançait la dernière phase d’un plan stratégique visant à rendre disponibles, sur iPad, les publications des grands éditeurs scolaires. Dans la même lancée, Apple s’inscrit dans un processus d’autoédition qui permet au grand public, notamment aux enseignants, de développer leurs propres publications. Pour Apple, c’est une solution gagnante. Néanmoins, selon moi, cette ouverture amène une perte de contrôle sur les contenus, en termes de rigueur et de qualité pédagogique. Dans cette approche monopolistique, il n’y a pas de zone de confort économique pour des éditeurs qui, comme moi, misent sur le développement d’un contenu spécifique pour de petites clientèles, telles que le milieu scolaire québécois. Difficile alors de demeurer optimiste quant aux enjeux actuels.

Aujourd’hui, je dois donc me poser une grande question dans ma vie professionnelle : « Comment continuer de répondre aux besoins du milieu en enseignement des arts? Que faire dans les prochaines années? » Les grandes collections de L’image de l’art, soit les mallettes, les guides pédagogiques et les manuels de l’élève, rencontrent davantage des succès d’estime que des succès financiers au Québec. Le système d’approbation gouvernemental exige que les maisons d’édition produisent du matériel didactique incluant des manuels scolaires, mais il n’incite personne à se le procurer… Dans les bagarres budgétaires actuelles, c’est facile pour les commissions scolaires et les directions d’école de dire qu’il n’y a pas de financement pour l’enseignement des arts. La Loi sur l’instruction publique stipule pourtant que « l’élève a droit à la gratuité des manuels scolaires et du matériel didactique requis pour l’enseignement des programmes d’étude » et qu’il doit disposer « personnellement du manuel choisi, en application de l’article 96.15, pour chaque matière obligatoire et à option pour laquelle il reçoit un enseignement ». Cependant, le ministère de l’Éducation ne vérifie pas ce qui se passe dans le milieu scolaire.

Malgré cette situation peu encourageante, j’ai décidé de poursuivre l’édition de matériel scolaire, même si cette décision n’est pas celle d’un entrepreneur averti.

D.C. Mais ne sommes-nous pas, actuellement au Québec, dans un renouveau pédagogique qui précise que l’enseignement des arts est obligatoire au primaire et au secondaire? Dans ce contexte, comment les éditions L’image de l’art peuvent-elles aider les enseignants?

Malheureusement, le discours ministériel ne s’arrime pas à la pratique; la Loi sur l’instruction publique relative au matériel didactique n’est pas mise en application. Dans le milieu, il n’y a pas de budget pour l’enseignement des arts. Comble de désinformation, une directrice des services éducatifs d’une commission scolaire nous a un jour affirmé qu’il n’existait pas de matériel de base en enseignement des arts plastiques. De plus, les enseignants n’ont pas de recours quand un cadre ou une direction d’école leur assure qu’il n’y a pas de budget dévolu à cet enseignement. Cette attitude témoigne de l’absence de volonté, de la part d’un bon nombre de dirigeants, d’offrir un support pédagogique pour l’éducation artistique dans les écoles. En ce sens, il semble qu’il y ait un recul au Québec par rapport aux visées initiales du renouveau pédagogique.

Lors de ma dissociation du Groupe Beauchemin, j’ai gardé la division Beauchemin International qui m’a amené à travailler sur le continent africain. Là-bas, j’ai des équipes pédagogiques qui donnent de la formation sur la démarche socioconstructivisme et sur le développement des compétences. Elles montrent aussi les façons d’intégrer ces dimensions dans une approche pédagogique s’appuyant sur des situations d’apprentissage signifiantes. En Afrique, je ne touche pas à l’éducation artistique; je publie des guides et des manuels scolaires dans toutes les disciplines calcul. Néanmoins, le nombre d’exemplaires que l’on peut y vendre, même à très bas coût, n’est pas comparable à celui du Québec. Par exemple, pour le Sénégal, si on prend les besoins en  manuels scolaires s’adressant aux élèves de la première année du primaire, le marché est de 850 000 exemplaires et, pour le Congo, il est de quatre millions. Au Québec, en éducation artistique, sans incitation pour l’achat de matériel et, surtout, sans budget accordé par les commissions scolaires et les écoles, l’édition ne peut qu’avoir de la difficulté à survivre.

Quant au rôle que L’image de l’art peut jouer dans ce contexte, c’est une question que j’ai posée à ma fille Magalie, mon associée. Je pense qu’il faut continuer d’appuyer les enseignants; c’est le seul moyen de demeurer fidèle à mon engagement initial de 1983 qui est de supporter le milieu de l’éducation artistique tout en sachant pertinemment que, financièrement, c’est un choix discutable. Un bon gestionnaire élimine d’office les produits non rentables. Pourquoi, dans ce cas, faire du matériel classe pour le secondaire en sachant que les ventes se limitent à quelques centaines de copies? Des collaborateurs ont pu trouver bizarre que je réédite 50 exemplaires à la fois de certains guides. Ces décisions étaient néanmoins fondées sur mon désir d’appuyer le milieu, et non sur celui de rentabiliser l’opération. Actuellement, il faut offrir aux enseignants du secondaire des références sans nécessairement y greffer une démarche pédagogique. Les entrepôts de L’image de l’art offrent 400 planches d’œuvres d’art différentes qui peuvent devenir des références susceptibles de faire naître des projets artistiques inspirants pour les élèves, sans y greffer un guide pour l’enseignant. À court terme, l’objectif devrait sans doute consister à faire la promotion de ce matériel.

D.C. Au Québec, vous vous déplacez en région, dans les écoles, pour rencontrer les enseignants et promouvoir vos publications. Est-ce rentable?

L’ensemble des activités de diffusion et de promotion pour une maison d’édition dans le domaine scolaire doit se situer entre 20 % et 25 % du chiffre d’affaires. En éducation artistique, pour s’inscrire dans l’actuelle continuité, ces coûts grimpent facilement à 50 %, voire plus. À mon avis, ces pourcentages sont intenables.

Pour avoir l’approbation du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport en ce qui a trait au matériel publié, il faut absolument élaborer un guide pour l’enseignant et un manuel pour l’élève. Dans notre cas, nous y ajoutons les trousses de reproductions. Cependant, l’investissement financier le plus important demeure dans la production des guides et des manuels, lesquels devraient, en principe, générer des revenus plus importants. Or, dans les faits, l’enseignant n’achète qu’une trousse, un guide et un manuel de l’élève, alors que chacun des élèves devrait avoir le sien. De plus, malgré les droits de reprographie mis de l’avant par CopyArt, on sait très bien que les enseignants font des photocopies; c’est une pratique courante qui existe depuis toujours. À l’époque de mes premières publications audiovisuelles, alors que j’étais dans un cégep de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, quelqu’un m’a invité à visiter le laboratoire du cégep : cette personne était fière de me montrer son département de reprographie où on copiait par milliers les diapositives d’œuvres d’artistes canadiens que je publiais… Bien entendu, cette réalité a de malheureuses conséquences sur la rentabilité de certains produits d’éducation artistique.

D.C. Mais la copie des reproductions demeure plus difficile? Ne pourrait-il pas y avoir des ententes avec les commissions scolaires pour la commande de mallettes de reproductions visant des objectifs bien précis?

C’est une éventualité mais, en principe, chaque commission scolaire réserve des budgets pour l’achat de matériel approuvé par le ministère, soit les guides de l’enseignant et les manuels de l’élève. Les trousses demeurent un matériel complémentaire, elles sont d’ailleurs conçues en lien étroit avec ces documents.

D.C. Y a-t-il un avenir pour l’édition papier?

En fait, le milieu de l’édition est en crise et toutes les maisons d’édition en subissent les contrecoups. Par contre, en Afrique, les manuels scolaires imprimés ont encore leur raison d’être. D’ailleurs, c’est grâce à eux que je gagne ma vie. Malgré une compétition internationale féroce, je réussis à me distinguer. Je mise sur les contenus et sur leur impact pédagogique avant de viser les prix compétitifs, pratique longuement mise en œuvre sur ce continent. Cette approche fait en sorte que les manuels scolaires que je publie sont plus dispendieux que ceux d’autres maisons d’édition, mais je continue et je suis fier de ce que j’apporte. Pour moi, l’Afrique n’est le pas tiers-monde et la pédagogie demeure la même peu importe le continent.

D.C. Si je vous disais que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport est à la recherche d’éditeurs pour la production de matériel didactique en arts, vous réagiriez comment?

Il me semble que le ministère devrait d’abord privilégier le matériel existant qu’il a déjà approuvé et reconnu pour sa qualité. Au primaire, l’actuelle collection de matériel de base, « IMAGO ! », est d’une grande qualité; c’est sur cette ressource que devrait se concentrer le MÉLS. Au secondaire, nous avions commencé à élaborer du matériel avec des reproductions et des guides pédagogiques présentant des situations d’apprentissage et d’évaluation, dans le même esprit que la collection « IMAGO! » au primaire. Nous avons suspendu cette démarche parce que nous sentions que la réponse n’aurait pas été satisfaisante. D’ailleurs, la série « IMAGO! » sera bientôt bonifiée et présentée sur un support numérique incluant une version anglophone pour la rendre plus accessible. Au secondaire, nous avons plutôt ciblé les éléments manquants; je ne peux toutefois pas parler de la formule ni du contenu puisque ce projet est embryonnaire…

D.C. En conclusion, quels sont les défis des éditions L’image de l’art dans le contexte actuel?

Le premier défi demeure économique. Dans l’industrie du manuel scolaire, les éditions L’image de l’art n’auraient pas existé économiquement sans une prise de risque extrême. Au Québec, plusieurs maisons d’édition ont essayé de publier du matériel de base en arts plastiques mais elles ont rapidement abandonné. De mon côté, j’ai tenté de trouver des façons de rentabiliser mon entreprise par le maillage de stratégies et de produits, par exemple, l’exploitation des mêmes reproductions dans différentes trousses au Québec, au Canada anglais, aux États-Unis et en France.

Que faire maintenant d’économiquement viable? Rien n’est assuré. Chose certaine, un défi à relever consiste d’abord à intéresser les jeunes, principalement ceux du secondaire, à la culture et au patrimoine artistique puisque les œuvres traditionnelles sont souvent très éloignées des médias et des intérêts technologiques des élèves. Il faut trouver des stratégies, des façons de les rejoindre en les initiant à l’histoire de l’art. Il faut donc mettre à la disposition des enseignants des images sur des supports variés qui permettent d’atteindre ces objectifs. Est-ce possible? Je laisse à mes collaborateurs le soin de s’attaquer à cette question…

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