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AUTOPORTRAIT DE PRATICIEN EN ART ET DE FUTUR ENSEIGNANT

Si je remonte dans ma petite enfance, l’Art a toujours eu une place prépondérante dans ma vie. Je ne suis pas issue d’un milieu artistique, mais j’ai eu la chance de bénéficier très tôt dans mon parcours scolaire d’un enseignement artistique de qualité.


J’ai effectué mes études en France. Par conséquent, j’ai intégré une école dès l’âge de trois ans. Or cette dernière avait la particularité d’appliquer la pédagogie Freinet : la création, l’autonomie, et la coopération étaient au cœur des apprentissages. L’enseignement des arts et plus particulièrement le dessin libre était valorisé : il assurait une cohérence entre les disciplines plus traditionnelles. Le décloisonnement entre les matières ainsi que la démarche d’apprentissage par un processus d’essais erreurs a durablement influencé mon rapport aux arts ainsi que ma démarche de création.

Aujourd’hui encore ma démarche artistique se caractérise par un processus de création qui prend la forme d’un tâtonnement expérimental :je travaille beaucoup par répétition. En effet, j’explore souvent un thème, une idée, ou un matériau en jouant avec les paramètres. Généralement, je procède en apportant des micros variations : j’aime exploiter toutes les spécificités des matériaux. C’est pourquoi la série est souvent récurrente dans mes travaux. Pour moi, le contact physique avec la matière est essentiel : c’est en manipulant les matériaux que je vois émerger des réponses à mes questionnements. Par conséquent, je privilégie des techniques qui favorisent ce rapport étroit. Mes moyens d’expression de prédilection sont la peinture et le dessin. Cependant, je peux avoir recours au modelage à l’occasion. Dans ce cas, j’apprécie particulièrement l’argile et le papier mâché. Il m’arrive également de manière plus sporadique d’utiliser la photographie. J’utilise alors le procédé du photogramme pour mener mes recherches. Depuis près de dix ans, ma démarche de création s’articule autour de la question de la matérialité de l’œuvre.

«Ma démarche trouve son fondement
dans le rapport que j’entretiens
avec le paradigme contemporain»

 

Cette réflexion s’exprime en deux temps. C’est pourquoi on peut distinguer dans ma production deux catégories distinctes d’images. Dans la première catégorie (photo 1 et 2), je m’interroge sur les matériaux eux-mêmes : la couleur, le mouvement ainsi que le format sont mes fils conducteurs. Mes images abstraites ne cherchent pas à représenter ou à exprimer quelque chose : elles sont un prétexte pour faire vivre au spectateur une expérience esthétique qui trouve son fondement non pas dans le sentiment de l’artiste, mais dans celui du spectateur. Cette posture a été théorisée par les artistes de l’Action Painting dont Jackson Pollock incarne la figure de proue (photo 5). Cependant, j’essaye de m’affranchir de leur démarche en déplaçant le champ d’expérience de l’artiste au spectateur. Ma deuxième catégorie d’image (photo 3) est plus figurative. Elle reflète mon intérêt pour l’illustration. C’est un genre que j’affectionne, car il lie écrit et image. En effet, je conteste le rapport entre ces deux notions. Pour moi, l’image n’est pas assujettie au texte. Elle est porteuse de sens et entretient un rapport d’altérité avec ce dernier. Ce modèle de dualité non dualiste on le retrouve dans l’iconographie médiévale (J.BASHET, L’iconographie médiévale, 2008.). Cette influence est présente dans la construction du sens de mon image. Contrairement aux apparences, la lecture n’en est pas aisée. Je ne recours pas à la logique pour représenter une idée. À la manière des artistes du moyen-âge (photo 5), j’utilise un langage symbolique ainsi que l’analogie pour susciter des valeurs imaginatives chez le spectateur. J’utilise les sens de ce dernier pour le faire accéder à une expérience esthétique.

Ma démarche trouve son fondement dans le rapport que j’entretiens avec le paradigme contemporain. En effet, je ne me reconnais pas dans cet Art en mutation, extradisciplinaire qui joue avec les limites du champ de l’Art. Selon ce paradigme, l’artiste n’est plus un créateur d’objet, mais de concepts. Par conséquent, l’accès aux œuvres ne se fait plus de soi : c’est le discours qui l’entoure qui est porteur de sens. Pour moi, cette conception de l’Art crée une distance entre le spectateur et l’œuvre : elle contribue à véhiculer une image de l’Art actuel fait pour et par des spécialistes. Or de mon point de vue, Art et Vie sont indissociables. Il est donc nécessaire de désacraliser l’Art en lui redonnant une place dans le quotidien et en recherchant un rapport plus authentique à l’œuvre. C’est la finalité que je tente d’atteindre en redonnant une matérialité à l’œuvre et en revendiquant un rapport sensible à cette dernière. 

Mon engagement dans l’enseignement est relativement récent. Il s’explique par le lien très particulier que j’entretiens avec l’École. Contrairement à beaucoup de mes collègues, je n’ai pas toujours eu une vision positive de celle-ci. Longtemps, j’ai été cette élève qu’on désigne par le doux euphémisme « d’en difficulté ».  Il peut sembler étrange qu’un cancre se transforme en enseignant : ce n’est pas la norme. Je peux pourtant fournir une explication fort simple à ce fait : j’ai appris à aimer l’École. Or ce constat soulève une question qui selon moi est déterminante pour tout enseignant en devenir : comment peut-on faire aimer l’école à un mauvais élève? En effet, c’est dans cette capacité à donner le goût d’apprendre à des élèves hors normes qu’on reconnait un bon enseignant. La réponse est simple :  c’est en croyant en l’élève, en lui redonnant confiance en ses capacités qu’on peut espérer l’extirper de sa condition d’élève médiocre.

Si mon parcours est atypique, il me permet cependant de poser un regard différent sur la profession et les élèves. J’ai gardé une facilité à pouvoir me mettre à la place de ces élèves différents. Lors de mon stage deux j’ai enseigné dans une classe langage à des élèves dysphasiques. J’ai pu constater à cette occasion que j’étais capable d’anticiper leurs difficultés : je sais partir de leurs forces pour les aider à surmonter leurs faiblesses. Je n’abaisse jamais mon niveau d’exigence. Je n’ignore pas que cette attitude loin d’aider les élèves contribue à les enfermer dans l’échec. C’est pourquoi je fonde ma pratique pédagogique sur la maitrise en profondeur de ma matière. Cette volonté d’expertise s’est incarnée chez moi dans mon cheminement académique. Après un baccalauréat spécialisé en littérature, j’ai complété tour à tour une licence d’arts plastiques puis d’histoire de l’art. J’ai souhaité ensuite poursuivre ce parcours en effectuant une maitrise en muséologie. En tant qu’enseignant d’Art il me semble indispensable de ne pas négliger les fondements théoriques de notre discipline. En effet, on ne peut comprendre l’art actuel que si on a acquis de solides connaissances en esthétique et en histoire de l’art. À ce titre, l’enseignant d’art occupe un rôle déterminant. C’est un passeur de culture. En familiarisant les élèves avec les concepts sous-jacents dans la création artistique, il redonne du sens aux œuvres. Enseigner les arts ne se limite pas à transmettre un savoir-faire. C’est également apprendre un savoir-être. En effet, à travers la compétence apprécier, l’élève apprend à élaborer sa pensée en se confrontant aux autres dans une approche discursive.  Peu à peu, il remet en cause ses modèles et ses valeurs, ce qui lui permet de s’ouvrir à la différence et de mieux s’adapter à monde en mutation. De plus, en développant la compétence apprécier chez les élèves, on les encourage à poser un regard critique sur leur environnement et sur les images qui les entourent. Cette capacité est devenue indispensable aujourd’hui : dans une société où les médias sont omniprésents, nous devons apprendre aux jeunes à développer une attitude critique vis-à-vis de ces derniers et de leur usage.

C’est pourquoi, pour mon futur rôle d’enseignante d’art, je souhaite me perfectionner dans la dimension médiatique de notre profession. En effet, les nouvelles technologies permettent de rendre plus interactif le rapport aux œuvres. De plus, il me semble essentiel de former les jeunes à un usage plus éthique de ces nouvelles technologies. En conséquence, je souhaite développer mes compétences dans des logiciels tels que Photoshop ou encore en montage vidéo afin de mieux les intégrer dans mon enseignement et d’outiller les élèves.


photo 1


photo 2


photo 3


Photo 4
Jackson Pollock (1912-1956) , Number 3, 1951, ink on Japanese paper

 

Éduquer le regard :

L’objectif du présent article est celui d’élucider et faire un éclairage sur les connaissances concernant les expériences esthétiques. Nous débutons en soulignant les éléments relatifs à la pertinence d’une éducation esthétique. Ensuite, nous proposons un tour d’horizon des modélisations récentes de l’expérience esthétique au travers leurs phases et composantes essentielles. Nous abordons des questions qui touchent à leur développement chez les élèves et à des stratégies qui peuvent être mises en place pour favoriser le développement de la compétence. Enfin, nous abordons des questions qui touchent l’évaluation auprès des élèves. Nous concluons en soulignant l’importance de développer la compétence en contexte éducatif.

Pertinence et rôle de l’éducation esthétique 

Pour Noddings (2003), l’éducation devrait aller au-delà du simple transfert de connaissances pour aussi encourager l’épanouissement et le bonheur. Les activités d’expérience esthétique, comme celle consistant à apprécier une œuvre d’art, sous-tendent la troisième compétence disciplinaire en arts plastiques du Programme de formation de l’école québécoise au primaire (PFÉQ, 2006). Elles offrent aux élèves la possibilité de vivre des émotions en situations contrôlées, d’être touchés et, en même temps, de vivre des expériences académiques (Dorn, 1999; Noddings, 2003; Parsons et Blocker, 1993; Swanger, 1990; UNESCO, 2006). 

L’éducation esthétique encourage les élèves à multiplier les perspectives sur le monde (Greene, 1994), à écouter, à échanger leurs points de vue et à parler de leurs expériences de tous les jours. Au Québec, les quatre arts soutenus par le PFÉQ, soit les arts plastiques, la musique, la danse et l’art dramatique visent, entre autres, cette éducation esthétique. Pour Smith (2005), le principal objectif d’une telle éducation se définit à travers les apprentissages dans les arts et sur les arts, incluant le développement d’une forme d’alphabétisation esthétique. Burton (1994) précise que les élèves sont invités à transformer leur expérience humaine en expressions artistiques et à trouver du sens dans leur créativité et celle des autres. Ils apprennent à apprécier et à se construire une conscience des arts. De plus, en encourageant l’appréciation et la sensibilité esthétique, l’éducation visera le développement de traits de personnalités liés à la créativité, à l’imagination et à l’expressivité amenant aussi la confiance en soi, la persévérance et la pensée critique (Aghaosa, 2015; Burton, 1994; Greene, Kisida et Bowen, 2013; Spuzic et al., 2016).

Exposer les élèves à des œuvres et à des exercices d’appréciation esthétique présuppose l’idée que nous possédons quelques connaissances sur les expériences esthétiques et leur développement chez les enfants.

Les composantes de l’expérience esthétique, le modèle de Leder 

De nombreux auteurs proposent des modélisations de l’expérience esthétique en contexte muséal chez les adultes (Chatterjee et Vartanian, 2014; Cupchik, 1995; Leder, Markey et Pelowski, 2015; Locher, 2015; Pelowski, 2015; Silvia et Nusbaum, 2011). 

Dans cet article, nous proposons le modèle de Leder et al. (2015), car la proposition de ces chercheurs est axée spécifiquement sur l’expérience esthétique en arts visuels et est possiblement une des propositions les plus étudiées dans le domaine de l’esthétique empirique. Afin de bien saisir l’expérience esthétique présentée dans le modèle de Leder et al. (2015), nous devons souligner la spécificité des deux phases présentes, soit la perception esthétique et l’appréciation esthétique. Quoique les deux phases interagissent et se juxtaposent entre elles dans le modèle, elles ne sont pas de même nature. La perception esthétique est une réaction d’abord spontanée et rapide, alors que l’appréciation esthétique sera plutôt réfléchie, délibérée et plus longue. Ces deux phases de l’expérience esthétique interagissent toutes les deux dans un univers et une évaluation affective continue, globale et complexe se dynamisant en trois grands éléments distincts : 1) le contexte de l’observation; 2) l’élève observateur et 3) l’œuvre observée. 

Le contexte de l’observation

Le contexte réfère aux lieux dans lesquels l’expérience esthétique peut se dérouler par exemple, les contextes scolaires. Il fait aussi appel au type d’activité dans lequel l’appréciation s’insère. Ceci dit, les enseignants peuvent promouvoir les expériences esthétiques lors de sorties scolaires, dans les contextes muséaux ou observer des œuvres d’art en salle de classe. Ces différents contextes invitent à l’élaboration d’une variété de modalités d’évaluation puisque les enseignants peuvent aussi proposer des activités d’appréciation en groupe ou individuellement, deux approches bien distinctes. De plus, selon les contextes, les enseignants peuvent devenir les animateurs ou facilitateurs d’activités impliquant des expériences esthétiques.

L’élève observateur

Les élèves observateurs peuvent varier en âge et dans leurs habiletés verbales ou expressives. Dans les cas du préscolaire et du primaire, il s’agit de jeunes âgés de 4 à 12 ans. C’est à eux que les enseignants peuvent proposer de vivre des expériences esthétiques. Nous pouvons présumer que les jeunes du préscolaire et du primaire sont aux premiers stades du développement de leurs expériences esthétiques. Leur âge, leur expérience et leur vécu auront une incidence sur ces dernières. Il est donc essentiel de tenir compte des caractéristiques et des habiletés des élèves-observateurs lorsque nous faisons la sélection des images à apprécier.

L’œuvre observée

La sélection et le choix des œuvres abordées en salle de classe, ou le choix des sorties scolaires (expositions) revient entièrement aux enseignants. Mendonça et Savoie (2018) offrent aux enseignants des indications et une suggestion paramétrée pour le choix des œuvres observées en salle de classe. Le choix des œuvres est d’une importance particulière, puisque ce sont les œuvres d’art qui provoquent les réactions esthétiques chez les élèves.

L’expérience esthétique : phases et éléments

La perception esthétique : réactions esthétiques 

La perception esthétique est une réaction d’abord spontanée et rapide que nous pouvons nommer réactions esthétiques. Elles se manifestent chez les élèves sous forme d’exclamation. Elles émergent à la première vue de l’œuvre. Les réactions esthétiques sont automatisées et elles peuvent différer selon le contexte, les élèves et les œuvres. Les réactions esthétiques peuvent être de nature positive, négative ou encore, certains élèves resteront plutôt indifférents à certaines images. Les réactions esthétiques précèdent et alimentent le jugement esthétique.

L’appréciation esthétique : le jugement esthétique 

L’appréciation esthétique sera plutôt réfléchie, délibérée et plus longue. Le jugement esthétique en est une composante, car pendant la phase de l’appréciation esthétique les élèves prennent une décision sur l’objet observé tout en mettant à profit leurs connaissances. Ils peuvent classifier, évaluer ou interpréter l’œuvre d’art. Le jugement esthétique fait appel à ce qui est ressenti et observé (PFÉQ, 2006). C’est à cette étape que les élèves peuvent exercer leur pensée critique envers l’objet d’art tout en faisant appel à leurs habilités expressives. Cette phase de l’expérience esthétique se prête davantage à l’évaluation en contexte scolaire, contrairement à la phase de la perception esthétique où l’élève exprime une réaction instantanée, sans nécessairement chercher à l’expliquer. 

Le développement du jugement esthétique chez l’enfant 

Le développement du jugement esthétique chez les jeunes a aussi fait l’objet de nombreuses recherches (Housen, 1983, 1992, 2001a, 2001b, 2002; Parsons, 1976; Rosenstiel, Morison, Silverman et Gardner, 1978; Schabmann et al., 2015). Housen (1992) propose une modélisation axée sur les connaissances en art des observateurs sans tenir compte de leur âge, alors que Parsons (1976) théorise et suggère un modèle à quatre niveaux de développement. À chaque niveau, les élèves passent de stades considérés comme étant plutôt idiosyncratiques, égocentriques et affectifs, vers des stades davantage conceptuels et complexes. En ce sens, Mendonça, Savoie et Émond (2019) font ressortir de ces modèles existants, la capacité d’empathie sous-entendue chez l’enfant, pour qu’il y ait jugement esthétique, ce dernier suivant les habiletés relatives à l’imagination et à la capacité à prendre en considération les points de vue d’autrui. Ces habilités se complexifient avec la croissance des individus et font partie de leurs capacités métacognitives.

Les chercheurs s’entendent sur le fait qu’en comparant les réponses des enfants aux différentes œuvres, l’âge devient un facteur déterminant dans la différentiation et dans l’interaction des différentes composantes des modèles proposés (Housen, 1983, 1992, 2000, 2001a, 2001b, 2002; Parsons, 1976; Rosenstiel et al., 1978; Schabmann et al. 2015). Les résultats de recherche soulignent que selon l’âge, le jugement esthétique navigue d’un univers affectif vers un univers cognitif. De plus, avec l’âge, la variation des goûts et des préférences est plus grande. Les chercheurs soulignent l’importance des émotions en bas âges. Ce sont ces trois éléments : 1) navigation de l’affectif vers le cognitif, 2) les émotions en bas âges et 3) une plus grande variation dans les réponses lorsqu’ils sont plus vieux, qui caractérisent le développement du jugement esthétique chez les jeunes. Ces éléments peuvent être pertinents pour parfaire les connaissances des enseignants qui devront évaluer leurs élèves au cours des 3 cycles du primaire. Si l’on souhaite développer le jugement esthétique chez les jeunes, les activités d’appréciation se doivent d’être proposées avec assiduité, être récurrentes et structurées.

Stratégies d’appréciation 

Des stratégies permettent d’organiser, structurer et régulariser les activités d’appréciation. Elles sont cruciales dans le développement, chez les élèves, des habiletés relatives à la pensée critique et à l’attention (Mendonça et Savoie, 2018). Perkins (1994) considère que les observations structurées d’œuvres d’art sont une source de connaissances qui peut se transférer dans d’autres domaines scolaires et ainsi aider les élèves du primaire dans l’ensemble du corpus. L’habitude d’observer soigneusement des œuvres d’art touche à des formes d’intelligence expérientielles et réflexives. En se basant sur les travaux de Feldman (1967, 1970, 1973, 1981), Perkins (1994) suggère l’établissement d’unités ou de stratégies d’enseignement structurées autour des œuvres d’art. Les propositions de stratégies d’appréciation (Feldman 1967, 1970, 1973, 1981; Perkins 1994) se structurent généralement autour de quatre phases, la description, l’analyse formelle, l’interprétation et le jugement qui ensemble permettent aux enseignants d’articuler des moments où les élèves pourront vivre des expériences esthétiques en favorisant l’émergence des phases de la perception esthétique et de l’appréciation esthétique.

La description

La description pourrait ressembler à une forme d’inventaire du contenu de l’œuvre. Il s’agit de l’étape où le regard et l’observation sont mis à profit. Ainsi, les élèves peuvent voir, regarder, décrire et observer. Les travaux de Perkins (1994) se centrent autour de l’observation en la structurant à partir de quatre principes :

1) le temps d’observation qui permet de ralentir le regard et de bien percevoir l’œuvre;

2) les observations élargies qui couvrent l’ensemble des objets dans les œuvres;

3) les observations claires et profondes exécutées avec un esprit analytique et;

4) les observations structurées autour d’un dialogue qui réitère les découvertes à l’aide de questionnements. 

L’étape de la description est primordiale puisqu’elle démarre et nourrit le processus de l’expérience esthétique. Il s’agit ici de travailler simultanément les phases de la perception esthétique et de l’appréciation esthétique que nous avons présentées comme des phases constituantes du modèle de l’expérience esthétique de Leder et al. (2015) où les quatre principes de Perkins (1994) sont activés. De fait, une stratégie d’appréciation pourrait demander aux élèves d’observer en silence, et ce, pendant une minute l’œuvre d’art (Mendonça et Savoie, 2018; Yenawine, 2013). Pendant ce temps, les élèves apprennent à ralentir, à prendre leur temps pour bien observer tous les détails de l’œuvre montrée.

L’analyse formelle 

Lors de l’analyse formelle, la logique de l’organisation des éléments à l’intérieur de l’œuvre est mise de l’avant. Les élèves pourront, par exemple, mettre à profit leurs connaissances relatives au langage plastique ou au vocabulaire disciplinaire. L’analyse formelle peut aussi aborder des aspects relatifs aux techniques de fabrication ou à la composition. Les élèves peuvent se questionner à savoir pourquoi les éléments dans l’œuvre sont disposés de l’une ou de l’autre façon ou encore comment l’artiste a fait pour réussir sa technique. L’analyse formelle peut produire des indices qui guideront les deux phases subséquentes. 

L’interprétation

C’est lors de la phase de l’interprétation que les élèves rapportent et expriment leur expérience esthétique. Les œuvres d’art touchent aux propos d’un contenu qui exigent une forme d’interprétation. Plus que de simples objets pouvant être observés, les œuvres d’art sont ouvertes à l’interprétation, incitent à la réflexion, à la pensée critique et peuvent toucher à la curiosité ou aux intérêts des élèves. C’est cette caractéristique interprétative qui engage les élèves dans une forme de pensée critique face aux œuvres (Housen, 2002; Yenawine, 2013). Il s’ensuit que l’interprétation devient le concept fondamental dans l’enseignement de l’appréciation esthétique. L’interprétation, touche aussi au sens ou au message transmis. Elle permet aux élèves de discuter, d’inférer, de comparer, de critiquer, de différencier ou de distinguer. Entre autres, ils pourront classifier les œuvres selon leurs connaissances relatives à l’histoire de l’art, leurs référents culturels ou faire des liens entre ce qui est ressenti et observé. L’interprétation permettra ensuite d’établir un jugement qui est correct et juste.

Le jugement

Comme pour le modèle de Leder et al. (2015), dans lequel l’interprétation est comprise dans la phase du jugement esthétique, pour les stratégies d’appréciation, le jugement touche à l’évaluation ou au mérite esthétique de l’œuvre. Les élèves peuvent intégrer, élaborer, évaluer, juger ou argumenter. Le jugement porté sur l’œuvre peut être favorable ou pas. À cette étape, les enseignants devraient encourager les élèves à viser les qualités de l’œuvre et non leurs préférences personnelles (Perkins, 1994). 

Évaluer l’appréciation

Au sein des exercices d’appréciation au primaire, lorsque les enseignants développent la compétence d’apprécier des œuvres d’art, ce qui peut être évalué c’est comment l’élève rapporte son expérience ou les liens qu’il peut établir entre l’œuvre observée et ses connaissances, ses expériences ou son ressenti. L’évaluation se réfère essentiellement aux phases de l’analyse formelle, de l’interprétation et du jugement esthétique. Considérant l’analyse formelle, le critère d’évaluation qui sera pris en compte fera référence à la pertinence du vocabulaire disciplinaire utilisé par l’élève lors de son expérience esthétique. Pour ce qui est de l’interprétation, l’enseignant ciblera les critères d’évaluation où l’élève cherche à établir des liens entre l’œuvre et ce qu’il a ressenti, des liens entre l’œuvre et des traces d’ordre socioculturel. Pour que l’enseignant puisse évaluer le jugement esthétique, il misera sur les critères où il est demandé à l’élève de justifier et motiver ses décisions par rapport à son expérience esthétique. Cette évaluation peut être reliée à deux types d’exercices d’appréciation. Ceux de groupe et les individuels, dépendant des contextes où ont lieu les exercices qui ont pour objectif de faire vivre des expériences esthétiques. Lors des activités de groupe, l’enseignant animateur peut difficilement procéder à l’évaluation de la compétence. Dans ces cas, les évaluations peuvent se faire postérieurement à l’aide d’enregistrements ou sur-le-champ à l’aide des pairs. Les exercices individuels rédigés peuvent, quant à eux, se faire par l’enseignant qui les administre. Dans le cas des activités de groupe, les enseignants devront s’assurer de préserver l’aspect ludique et décontracté des activités. 

Conclusion

Pour Auger (2008), « nous ne saurions trop insister sur l’importance de la démarche active de l’appréciation en éducation. Elle soutient le développement intellectuel, mais surtout le développement émotionnel et sensoriel de l’être humain. » (p.20). Cela dit, évaluer le jugement des élèves en gardant un aspect ludique et amusant dans les activités pose un défi important pour les enseignants. Pour ce faire, l’enseignant peut toujours miser sur les Visual Thinking Strategies (VTS), sans se soucier de l’évaluation de la compétence 3 et ainsi, de manière ludique, développer chez l’élève un regard éduqué (Mendonça et Savoie, 2018). Utiliser des protocoles ou des stratégies réflexives d’appréciation peut être une des manières de faciliter le travail des enseignants tout en suscitant l’intérêt des élèves. Avoir une bonne compréhension de l’expérience esthétique et de son développement chez les élèves peut aussi être un facilitateur pour l’enseignant qui anime ou évalue les exercices d’appréciation. Enfin, la pratique régulière et structurée des activités d’appréciation, en plus de développer la troisième compétence du programme, peut favoriser le développement d’une foule d’autres habiletés qui ont le potentiel de contribuer à la réussite scolaire des élèves autant qu’à l’éducation de leur regard et de leur sens d’observation.

Références

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