Archigraphik Éducation

PAR Marie-Pier Viens
Enseignement
Archigraphik Éducation
par : Marie-Pier Viens
1 novembre 2012

Archigraphik est le nom d’un atelier urbain impliquant plus d’une trentaine d’élèves du secondaire de différentes écoles privées de Montréal organisé en collaboration avec KANVA1. L’objectif de départ était d’offrir aux jeunes un moyen d’expression, de reconnaître leur besoin de s’affirmer individuellement et collectivement, et de leur donner l’occasion d’interagir avec le patrimoine construit de la ville en mettant à leur disposition un espace public où ils pourraient «laisser leur marque».

L’intervention a eu lieu le 30 juin 2011 au 3545, rue Saint-Jacques, une ancienne fonderie qui fait l’objet d’une conversion en lofts résidentiels par KANVA.

La parole est donnée à deux des enseignantes en arts plastiques impliquées dans le projet.

L’école est finie. Pourquoi avez-vous organisé une intervention artistique alors que les élèves se réjouissent d’avoir terminé l’année scolaire ?

MPV: L’occasion de faire ce projet hors du commun nous avait été donnée vers la fin de l’année scolaire. Dans le tourbillon des examens et des bulletins de juin, nous savions qu’il nous fallait attendre la fin des classes pour soutirer le maximum d’implication de la part de nos élèves. Il n’a pas été difficile d’intéresser les jeunes les plus mordus d’art, car ils sentaient bien que ce que nous proposions s’apparentait davantage à une réelle œuvre d’art qu’à un projet pédagogique régulier : ils n’avaient aucune contrainte, ils n’étaient pas évalués. Nos élèves artistes étaient donc des passionnés de dessin, de pochoir, de sculpture et d’expériences diverses, ce qui a donné lieu à un véritable déversement de créativité.

D’où l’idée du projet vous est-elle venue? Pourquoi cette collaboration entre enseignantes du secteur privé ?

NC : Ce projet original nous a été proposé par Marie-Claude Bergeron, enseignante en arts plastiques au collège Notre-Dame à Montréal. Elle a elle-même été sollicitée par Rami Babawi, architecte et co-fondateur de KANVA, dont la pratique multidisciplinaire est axée sur les interventions contemporaines en milieu urbain.

Étant sensible à la relation du jeune et de son intervention créative en milieu in-situ, j’ai vu dans cette collaboration une occasion non seulement d’impliquer mes élèves les plus «allumés», mais aussi d’assister à la création d’une œuvre collective conçue par des amies enseignantes et par nos élèves à toutes.

MPV: Il faut dire que cette collaboration n’est pas rare entre les enseignantes d’arts de nos trois collèges. Plus que des collègues, nous sommes devenues des amies dans la vie de tous les jours. À la sortie du baccalauréat, nous avons rapidement ressenti le besoin de nous inspirer les unes des autres et nous avons souvent profité des rencontres telles que le Congrès de l’AQÉSAP pour échanger nos idées et projets.

Une expérience collective nous permettait donc de nous réunir afin de créer une œuvre plus grande que nature. De cette façon, nous avions la possibilité de créer avec nos élèves, en plus d’échanger d’artiste à artiste. Le projet n’en a été que plus inspirant.

En quoi cette expérimentation graphique consiste-t-elle ?

MPV : Le local qui nous était réservé était en cours de démolition : des murs arrachés, des ouvertures sans cadre de fenêtre, un contenant rempli d’équipements divers laissés à jeter. Chacune des enseignantes avait contribué pour le matériel d’art et les élèves avaient accès à de la peinture acrylique noire et blanche, à des canettes de peinture sous pression ainsi qu’à des impressions photographiques d’archives provenant du quartier Sud-Ouest. Outre l’offre d’espace et de matériel qui leur était faite, aucune indication n’a été donnée aux élèves en ce qui a trait à leur participation artistique. Ils avaient, pour ainsi dire, le champ complètement libre.

Tout au long de l’expérimentation, les élèves ont intégré leur travail à l’architecture offerte ainsi qu’au travail de leurs collègues. Ils ont collé, dessiné, peint et assemblé sans relâche jusqu’à l’obtention d’une murale éclectique en trois dimensions.

Cette intervention étant plus ou moins traditionnelle, qu’est-ce qui fait son originalité ?

NC : «Capter l’éphémère», tel était l’enjeu primordial de cette démonstration collective. L’ensemble des participants a été convié à s’exécuter dans un espace architectural fermé et a dû composer avec la contrainte du temps. Dès le lendemain, les bulldozers s’en sont pris au lieu pour faire place à de futurs lofts résidentiels.

Dans une perspective de «re-construction» du lieu, Rami Babawi avait pour objectif avec Archigraphik d’organiser une exposition de photographies d’interventions graphiques captées sur l’instant et exposées dans le hall des nouveaux lofts Irène lorsque la conversion serait terminée (2012). Aujourd’hui, l’ensemble du bâtiment est reconstruit. L’exposition est prévue pour cet automne.

Aussi, je crois qu’il y a un intérêt tout particulier à s’impliquer dans un projet «artistico-éducatif» en sachant que, tous, nous allons marquer l’histoire de ce patrimoine du quartier et surprendre le quotidien des citoyens sur leur propre territoire d’habitation.

Pourquoi le titre «ArchigraphiK» ?

NC : Il s’agit d’un «style» qui se veut un mélange de techniques traditionnelles et contemporaines, ce qui donne à l’ensemble une saveur créative toute particulière.

Cette démonstration collective invite les participants à créer, au sein d’un espace architectural vétuste et dénué de vie, des composantes graphiques ou «murs d’images». Ainsi, chaque parcelle de mur, de sol, de poutre, de gravas et d’objets délaissés est investie. L’ensemble de l’œuvre se présente en différentes catégories d’images dont certaines auront été récoltées au préalable. On peut classer ces images de toutes sortes selon deux types de critères : plastique et thématique, le premier intéressé à la forme (lignes, couleurs, dominantes, noir et blanc, silhouettes, plein et vide, réseaux, transparences, répétitions,  rythmes, écritures, symétrie, etc.), le second axé sur le sujet (mystère, rêve, corps, architecture, patrimoine, curiosités, etc.)

Ces «murs d’images» serviront durant un certain temps, selon les inspirations du moment et de manière évolutive. Les dessins, traces, écritures et mises en scène (parfois de l’ordre de l’installation) serviront à créer des relations, à conclure une action, à trouver des prolongements, à aider à la représentation, et ils pourront être transformés et détournés par les participants.

Finalement, Archigraphik n’en fait pas moins appel à des mises en relation formelles et porteuses de sens qui appartiennent uniquement au champ des arts plastiques.

Qu’a amené aux élèves ce projet?

MPV : Les élèves se sont retrouvés dans un tourbillon créatif, ce qui a semblé d’abord les déstabiliser. Cela leur a pris quelques minutes avant de comprendre l’étendue de ce qu’ils pouvaient faire. Il n’y avait aucun canevas prédéterminé, ils avaient droit à tout : murs, portes, planchers, plafonds, butes de terre, colonnes, objets de toutes sortes. Bien qu’un peu discrets au début, ils ont rapidement pris d’assaut ce grandiose espace.

Le déclic de cette libération physique leur a permis d’aller plus loin dans leur créativité que ce qu’ils auraient fait dans une classe. Ils se sont mis à arpenter les lieux à la recherche d’objets à utiliser et les œuvres qui en ont découlé s’ancraient parfaitement dans l’espace. Je crois que ce projet leur a permis de goûter à un véritable travail d’artiste où l’inspiration provient de l’environnement à occuper.

NC : La démonstration collective, dans un espace voué à la démolition, devient une scène de théâtre où les dimensions de l’apprentissage expérientiel permettent aux jeunes de réfléchir et d’exploiter leurs capacités à créer ensemble afin de proposer des solutions quant aux hasards graphiques et aux thèmes qui surgissent puis qui sont abordés dans les interventions graphiques.

De plus, intervenir dans un futur espace démoli confère au participant une sorte de motivation et d’excitation créatrice, considérée comme une expression naturellement authentique de la culture des jeunes. D’une part, la liberté d’expression les encourage à se perfectionner en leur donnant le droit d’être entendus, de montrer leurs diverses expérimentations. D’autre part, il leur est proposé de s’intégrer à une pratique socioculturelle de transmission (l’enseignant guide l’élève – l’élève guide l’élève) et de s’impliquer dans une intervention esthétique de revalorisation. Ce retour à l’art légitime inspire ainsi les jeunes à la création comme outil d’apprentissage.

Qu’est-ce que cela vous a apporté en tant qu’enseignantes en arts plastiques ?

MPV : Personnellement, cela m’a permis un moment de ressourcement. Bien qu’ayant une volonté de poursuivre une pratique artistique personnelle, je me suis rendu compte, dès le début de ma carrière d’enseignante, que cela allait être un défi de taille. Chacun de mes éclairs de génie allait automatiquement à un futur projet pédagogique et il ne restait rien pour ma pratique personnelle.

Cette journée du 30 juin m’a permis de créer pour mon propre plaisir tout en faisant partie d’un effort collectif. J’ai pu renouer avec le dessin et partager mon savoir d’une toute autre façon. Le lien de confiance avec mes élèves s’est raffermi, les discussions que nous avons eues furent revitalisantes et l’échange fut multilatéral. L’espace s’est transformé en un vaste terrain de jeux dans lequel tout objet est devenu un nouveau médium à exploiter, toute personne devenant une source d’inspiration vivante.

NC : Contrairement à mes collègues, mon intervention artistique dans le lieu de la création collective a été très furtive.

Armée de mon appareil photo, j’étais désignée pour réaliser une sorte de reportage «scientifique» afin de saisir, dans le processus du projet, la signification de ce qui se passait dans le lieu. D’ailleurs, les résultats photographiques m’ont permis de découvrir une journée dans la vie quotidienne de plus de trente adolescents créatifs et de leurs enseignantes et de comprendre les liens entre les inspirations et les interventions graphiques, l’ensemble baignant dans une ambiance générale proactive, généreuse et joyeuse.

Finalement, lorsque l’enseignant se trouve personnellement engagé dans une démarche de croissance, les jeunes reconnaissent cette démarche et la relation avec eux s’en trouve transformée. Il y a, de part et d’autre, une reconnaissance de l’être et donc de l’acte créateur.

Projet Archigraphik Éducation galerie d’images immeuble Irène : http://www.kanva.ca

Équipe Archigraphik Éducation_2011

KANVA1 : Agence d’architecture montréalaise établie à Montréal depuis 2003

Rami Babawi, associé et cofondateur de KANVA, initiateur du projet Archigraphik

Marie-Claude Bergeron, coordonatrice du projet et enseignante en arts plastiques, collège Notre-Dame

Nathalie Claude, enseignante en arts plastiques, collège Regina Assumpta

Marie-Pier Viens, enseignante en arts plastiques, collège Sainte-Anne de Lachine

Véronique Lespérance, enseignante en arts plastiques, collège Notre-Dame

Huguette Roy, conseillère d’arrondissement, district Saint-Paul

Sterling Downey, consultant graffiti et fondateur d’Under Pressure

http://www.underpressure.ca/

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