Élyse Mathieu
Conseillère pédagogique en arts plastiques Commission scolaire de Montréal (CSDM)
Biographie
Autres publications de cet auteur
Introduction
Pendant trois ans, six enseignants(es) ont participé à un programme de formation et de recherche collaborative initié par Mona Trudel, professeure à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM. L’objectif était de favoriser l’élaboration de nouveaux modes de pratiques en contexte scolaire pluriculturel en offrant du soutien aux spécialistes en arts plastiques dans le développement de projets d’art qui conjuguent art actuel et cultures des élèves. Ce programme de formation et de recherche a été financé par le Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MEESR) dans le cadre du Programme de soutien à la formation continue du personnel scolaire . L’intention qui a motivé notre engagement dans ce programme de formation était de soutenir les enseignants spécialistes dans le développement de pratiques pédagogiques inclusives et interculturelles. Au terme de ce long processus, nous sommes fiers(ères) de partager avec vous les avenues pédagogiques, artistiques et culturelles empruntées par les enseignants(es) pour enrichir leur pratique et faire de leur classe un espace qui valorise le dialogue interculturel avec et entre les élèves.
La Commission scolaire de Montréal (CSDM) et la diversité ethnoculturelle
La CSDM compte plus de 70 000 élèves au préscolaire/primaire et secondaire, et la diversité ethnoculturelle caractérise l’ensemble de ses établissements. En effet, plus du quart des élèves sont nés à l’extérieur du Québec et plus de la moitié maitrisent au moins une autre langue que le français. Dans 9 écoles sur 10, on compte 10 langues parlées ou plus parmi les élèves. C’est dans un souci de prise en compte de la diversité ethnoculturelle que la CSDM s’est dotée d’une Politique interculturelle, dont voici la deuxième orientation :
S’appuyer sur l’équipe école ainsi qu’un personnel formé dans le domaine interculturel et reflétant la composition de la population scolaire, pour l’intégration des élèves de toutes origines ainsi que pour l’éducation à la citoyenneté démocratique et pluraliste de l’ensemble des élèves jeunes et adultes.
Ainsi, la CSDM mise sur le développement d’une compétence interculturelle du personnel scolaire, compétence qui est au cœur du programme de formation et de recherche collaborative auquel ont participé les six enseignants(es).
Aperçu du programme de formation et de recherche
Le programme s’articule autour de quatre volets :
- le volet recherche vise à générer de nouvelles connaissances sur la formation des enseignants spécialistes en arts plastiques au regard de la diversité ethnoculturelle du milieu scolaire montréalais ;
- le volet de formation vise à ce que les enseignants(es) s’approprient certaines orientations privilégiées dans le Programme de formation de l’école québécoise (2001-2002) concernant la planification de situations pédagogiques favorisant, chez les élèves, des apprentissages signifiants, actuels et culturellement enrichissants. Ce volet sera accompagné d’une évaluation des retombées du programme de formation sur les enseignants (es) (apprentissages réalisés);
- le troisième volet mise sur l’engagement des enseignants dans l’élaboration et la réalisation de projets d’art qui conjuguent art actuel et cultures des élèves ;
- le dernier volet est consacré au transfert des connaissances par la création et l’animation d’une communauté de pratique.
Au cours de la première année du programme de formation, nous avons invité les enseignants(es) à prendre conscience de la complexité de leur propre identité culturelle comme tremplin pour mieux apprécier celle de leurs élèves. Ce point de départ nous a permis d’aborder certains éléments qui ont un impact dans le monde contemporain de l’éducation :
- l’histoire de la diversité culturelle québécoise;
- les chocs culturels et la communication interculturelle;
- le rôle de l’école dans les relations interculturelles;
- les métissages et l’identité nationale des élèves issus des communautés culturelles ;
- la rencontre avec l’art actuel comme déclencheur pour réfléchir sur nous-mêmes et le monde qui nous entoure ;
- la création entre l’art, les intérêts et l’expérience personnelle des élèves à l’extérieur des murs de la classe.
Au cours de la deuxième année, les enseignants(es) ont conçu et réalisé un projet d’art relié à leur contexte scolaire et en fonction d’objectifs professionnels qu’ils/elles s’étaient fixés. Ce projet devait favoriser un dialogue interculturel entre les élèves et l’enseignant(e) et entre les élèves eux-mêmes, et se référer à des pratiques artistiques actuelles susceptibles d’avoir des résonances pour les élèves. C’est de cette partie de la formation dont il sera question dans les lignes qui suivent.
Présentation de la démarche de création pédagogique des enseignants(es)
La diversité culturelle qui caractérise le paysage scolaire montréalais est particulièrement propice à un questionnement relatif à l’identité, à la culture et au métissage. Cet article présente six projets pédagogiques d’élèves de niveaux primaire et secondaire autour de questions telles que : Qui es-tu ? D’où viens-tu ? De quelles langues es-tu ? Quel est ton héritage culturel ? Quels ingrédients définissent ton identité culturelle ?
Dans le but de mieux connaître leurs élèves et de donner davantage de sens à leurs apprentissages, les enseignantes ont exploré diverses avenues pédagogiques qui allient pratiques artistiques actuelles, éducation interculturelle et cultures des jeunes. La réflexion des enseignants a été nourrie par des échanges sur la culture, l’identité culturelle, l’immigration et différents enjeux culturels, sociaux et politiques soulevés par des artistes d’aujourd’hui. De ce laboratoire de recherche pédagogique sont nés des projets singuliers qui concourent à ouvrir le domaine de l’enseignement des arts au champ des possibles.
Les projets qui ont été exposés au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) en avril 2015 constituent une source inestimable d’informations au sujet des valeurs, du sentiment d’identification culturelle et des aspirations des jeunes qui se retrouvent aujourd’hui dans nos classes.
Pour Emmanuelle Allard, de l’école primaire Sainte-Bernadette-Soubirous, l’idée de favoriser le dialogue interculturel avec et entre ses élèves afin de mieux se connaître était au cœur de ses préoccupations. Au tournant de leur vie scolaire au primaire, Emmanuelle souhaitait amener ses élèves à réfléchir à qui ils sont, d’où ils viennent et qui ils veulent devenir, le tout sous l’angle de la culture et de l’identité. Elle a invité ses élèves à réfléchir aux questions suivantes : Quel est ton héritage culturel ? Quelle est ton identité culturelle actuelle ? Qui seras-tu dans l’avenir en regard de ton identité culturelle ?
C’est à travers une série d’autoreprésentations photographiques que les élèves devaient illustrer leur héritage et leur vie actuelle, et se projeter dans l’avenir. Discussions sur les concepts de culture et d’identité culturelle, présentation de référents artistiques variés, atelier d’initiation à la photographie, visite de l’artiste Nathalie Bujold, ces échanges divers ont nourri les semaines de création et ont fait du projet, Nos identités culturelles : une série d’autoreprésentations photographiques, un territoire riche de découverte et d’ouverture sur les autres.
Dans le projet Forêt identitaire, les élèves du 2e cycle de l’école primaire Saint-Gabriel-Lalemant ont exploré les liens entre leur nature et leur culture, en répondant aux questions suivantes : Qui es-tu ? D’où viens-tu ? De qui viens-tu ? Qui deviendras-tu ? Ils se sont interrogés sur leur identité par le biais de leur filiation et de leur héritage culturel. Dans cette « forêt identitaire », chaque arbre laisse paraître autant ses racines (le passé, d’où l’on vient), son tronc (le présent, qui l’on est) que ses branches (le futur, où l’on se projette). Les réseaux racinaires symbolisent et révèlent l’histoire de chacun, résultat de rencontres fortuites et d’une évolution que des générations successives ont pu se transmettre.
Pour Catherine Ayotte, enseignante, la rencontre et le dialogue avec l’autre, dans toute sa diversité et son unicité, ont contribué grandement à une nouvelle approche d’enseigner et a su enrichir l’écosystème social de sa classe.
La proposition de création du projet L’horizon vertical a invité les élèves du 2e cycle du secondaire de l’Académie Dunton à explorer l’apport de leur culture verticale et horizontale, concept associé à Amin Maalouf. Sous la direction d’Amélie Bernard, enseignante spécialiste, les élèves ont cherché à répondre à la question : Comment représenter visuellement la multiplicité des facettes de notre identité culturelle sous formes de couches successives s’inspirant de la forme que sont les boîtes-vitrines ? Un questionnaire à remplir, en équipes et individuellement, a alimenté le dialogue entre les élèves pour nourrir leur dynamique de création.
Les propriétés des matériaux, les couleurs utilisées et le positionnement des couches sont autant de symboles pour marquer l’importance de chacun des éléments choisis par les élèves et donner ainsi du sens aux contenus proposés. L’idée même de boîtes-vitrines rappelle les boîtes dans lesquelles on garde des souvenirs qui nous sont chers, ou encore un livre de voyage dans lequel on collige des moments qu’on veut garder précieusement comme le travail de l’artiste Kelly Campbell Berry.
Les élèves de l’école primaire Saint-Étienne ont exploré dans une réalisation individuelle et collective, le phénomène du métissage culturel au moyen de la technique du tressage photographique, empruntée à l’artiste d’origine vietnamienne Dinh Q Lê. La thématique proposée aux élèves du 3e cycle fait écho une nouvelle fois à Amin Maalouf (1998) qui souligne que nous sommes tous porteurs de deux héritages. La réflexion des élèves traitait sur la question suivante : L’identité culturelle est faite de plusieurs ingrédients. Comment définis-tu la tienne ?
Dialogues et discussions animés par Michel Dupriez, enseignant, ont permis de mieux définir en classe la trame et le fil de ces deux héritages. Dans ce projet intitulé Mes tissages culturels, les élèves choisissaient des éléments signifiants de leur propre culture qu’ils souhaitaient partager avec leur entourage. Dans ce projet, le phénomène du métissage culturel fut abordé comme un facteur d’intégration, d’ouverture et de valorisation de la diversité au sein de la société actuelle.
Comment ne pas aborder l’identité sans parler de la langue ou plutôt des langues? C’est principalement sur cet aspect de l’identité que Catherine Grégoire, enseignante, a construit sa proposition de création. Ce fut l’occasion d’inviter les élèves du 2e cycle de l’école secondaire FACE à mettre en valeur les langues parlées par les élèves de l’école à travers une installation visuelle et sonore intitulée De quelles langues es-tu ?. Cette création s’est réalisée en quatre actions simultanées en abordant un dialogue interculturel sur les différentes langues parlées à la maison et à l’école, en créant individuellement une carte-texte valorisant sa langue (ou ses langues), en réalisant collectivement une installation ouverte aux interventions des élèves de l’école et en enregistrant une bande sonore pour entendre les élèves parler leurs langues. Le concept de l’installation comme moyen d’expression fut exploré par une artiste invitée, Héloïse Audy qui a présenté son travail aux élèves.
Les autres élèves de l’école ont été sollicités par des affiches les invitant à venir enregistrer leur voix et à écrire un message dans leur(s) langue(s). Des questions, comme celles-ci, étaient affichées : Dans quelle langue penses-tu ? Dans quelle langue rêves-tu ? Dans quelle langue parles-tu à tes parents ?
Tous unis par le fait de parler français à l’école, des élèves du primaire et du secondaire de l’école ont pu découvrir de nouvelles langues. Plusieurs ont dit avoir ressenti de la fierté de pouvoir parler leur langue et se sont sentis valorisés.
Dans le projet mené par Viviane Latourelle, enseignante à l’école secondaire St-Luc, les élèves ont exploré leurs multiples influences culturelles. L’œuvre réalisée est un triptyque photographique et numérique hybride exprimant l’idée des identités qui se transmettent, se transforment et évoluent. Les questions mobilisatrices ont été proposées aux élèves du 1er cycle : Quelle est ta perception de ce que tu es, en regard de ton bagage culturel ? Parle-moi de ce que tes parents t’ont transmis. Parle-moi aussi de ce qui te définit aujourd’hui. Les jeunes ont été invités à comprendre la démarche de l’artiste chinois Ai Weiwei dont le questionnement sur la culture classique et traditionnelle de son pays d’origine ainsi que sur la culture occidentale contemporaine était propice à une réflexion sur leur propre réalité culturelle. Des discussions en classe ont permis aux élèves d’échanger à ce sujet.
Pour symboliser l’hybridité culturelle dans ce projet intitulé Multi Mélange d’identités hybrides, chaque élève a réalisé trois photographies d’objets : la première image du triptyque représente un élément appartenant à la génération-culture de ses parents, l’image du centre traite des éléments culturels ayant marqué à la fois la génération des parents et de l’élève, alors que la troisième est composée d’un élément appartenant à l’univers dans lequel ce dernier évolue actuellement.
La majorité des enseignants ont fait état à la fin de la formation des progrès réalisés quant à leur capacité à réfléchir au caractère inclusif de leur pratique, comme le mentionne un des enseignants : «L’approche de la pratique des arts par la pédagogie interculturelle me permettra à l’avenir de développer des projets plus rassembleurs, créateurs, et porteurs de sens.» Les enseignants sont les mieux placés pour estimer s’ils ont été à même de réaliser cette union entre la théorie et pratique. La pratique réflexive chez les enseignants fut un outil de choix pour aider ces derniers à décortiquer leurs actions et en mesurer les effets dans leurs pratiques.
En conclusion, nos observations ont mis en relief l’importance pour l’enseignant de développer les aptitudes nécessaires au dialogue interculturel et d’installer celui-ci au cœur de son espace pédagogique, et ainsi se doter d’un levier puissant pour rendre les apprentissages significatifs. La co-construction de situations d’apprentissages avec les enseignants a permis d’exploiter le potentiel de l’art pour créer un dialogue interculturel basé sur l’expérience des élèves.
En collaboration avec Emmanuelle Allard, Catherine Ayotte, Amélie Bernard, Michel Dupriez, Catherine Grégoire et Viviane Latourelle
Enseignant(es) spécialisé(es) en arts plastiques
Commission scolaire de Montréal (CSDM)
Laisser un commentaire
UNE VISION DE L’ART+
UNE VILLE EN PAPIER À L’ÈRE NUMÉRIQUE
Cathy Jolicoeur et Marie-France Bégis
UNE VISION D'ENSEIGNEMENT
PORTRAITS HOLOGRAPHIQUES COMME EXUTOIRE
Véronique Perron et Ethel Laurendeau
UNE VISION DE COLLABORATION
UNE VILLE EN PAPIER À L’ÈRE NUMÉRIQUE
Cathy Jolicoeur et Marie-France Bégis
UNE VISION QUI SE QUESTIONNE
CULTURE DES JEUNES ET ARTS PLASTIQUES À L’ÉCOLE :