In memoriam
Monsieur Joyal,
Il faisait un chaud matin d’hiver, avec ciel bleu sur neige fondante. J’ai décidé de faire un pèlerinage dans ce Saint-Jérôme que vous affectionniez tant, en imaginant vos propres trajets.
Tout d’abord, face à moi, de l’autre côté du parc Labelle, toute belle dans son habit argenté, fine et imposante tout à la fois, la flèche de la cathédrale que vous avez dessinée maintes fois. À gauche, la colonnade de l’ancien palais de justice, construit en pierres taillées du même gris que celles de l’église, devenu musée d’art et où vous avez enseigné le dessin, la peinture et l’aquarelle pendant une trentaine d’années. Au centre, parmi les arbres, le curé Labelle sur son socle, index pointé vers le nord, monument également représenté par vous à plusieurs reprises. Derrière moi, la magnifique maison Trudel, devenue maison funéraire où il était dans l’ordre des choses que l’on vienne vous voir une dernière fois. Une imposante maison en briques rouges où d’illustres personnages sont passés, depuis plus d’un siècle. Votre dépouille était étendue parmi des fleurs aux teintes chatoyantes. À la demande de votre famille, on avait conservé vos cheveux longs, devenus blancs. À votre demande à vous, on vous avait entouré de dizaines de dessins de vos élèves, tous d’une grande beauté.
De l’immense et splendide galerie, j’ai embrassé d’un regard prolongé la vue qui s’offrait à moi. En arrière-plan, en pierres roses, avec son joli toit et sa flèche vert-de-gris, le couvent devenu cégep. Vous alliez tous les midis vous y asseoir afin de vous rapprocher des jeunes que vous désiriez mieux saisir, mieux comprendre. Puis, je me suis dirigée vers le sud par la rue Labelle. À ma gauche, l’ineffable Maison Prévost, conservée elle aussi par un couple amoureux du patrimoine. Plus loin, la rivière, celle dont le tracé impose celui de nos vies de Jérômiens. À quelques mètres, le vieux moulin, si beau. Enfin, votre maison. Blanche centenaire, lisérée de bleu tendre. Devant, les vestiges des plates-bandes fleuries que vous aimiez passionnément et que vous vous plaisiez, aux dires de vos enfants, à maintenir un peu en friche. Rien là d’étonnant! Et rien d’étonnant non plus qu’un peintre aime les fleurs, tant pour elles-mêmes, leurs teintes et leur beauté que pour leur agencement. Un autre peintre a fait de même à Giverny.
À l’avant, une spacieuse galerie. Au fond, deux abris, de beaux cèdres, un drôle de petit arbre arborant de délicates dentelles végétales séchées à ses branches; propriété de campagne en la cité, à votre image. Je me suis attardée : votre âme était venue flotter sur les lieux. Je sais que vous aimiez profondément votre ville.
Monsieur Joyal, j’aimerais ajouter ceci avant de clore cet entretien: si un René Lévesque nous a rendu la fierté d’être Québécois, un André Joyal a fait de même pour les Jérômiens. Saint-Jérôme a eu son fantôme bienfaisant, qui allait, long et mince, cheveux sur les épaules, sac au dos, parfois à pied, parfois à bicyclette, vers ses cafés, le long de sa rivière. À la question posée à l’un de vos enfants: « Aurait-il signé le Refus global ? » on m’a répondu: « Il n’a pas eu besoin de le signer! Sa vie entière en fut un! »
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