L’anamorphose

PAR Aimé Zayed
Collaboration
L’anamorphose
par : Aimé Zayed
1 juin 2012
Premiers essais

Dès l’apparition des premières représentations picturales, artisans et artistes furent confrontés à la difficulté d’imaginer et concevoir la troisième dimension sur une surface plane.

À la Renaissance, Masaccio adapte les règles de la perspective euclidienne à la peinture. Il la projette ainsi dans un espace infini et illusoire. Cette avancé donnera naissance à une pléthore de jeux plastiques tels que : l’arcimboldesque, l’anamorphose et le trompe-l’œil.

Dans ce texte, il sera surtout question des premières explorations de l’anamorphose, des voies que ces investigations ont empruntées et des possibles prospectives sur l’art contemporain.

Mais tout d’abord qu’est que l’anamorphose ? Selon la définition traditionnelle, l’anamorphose serait une déformation réversible d’une image qui se ferait à l’aide d’un système optique (tel un miroir courbe) ou un procédé mathématique.

L’anamorphose est définie par Jurgis Baltrusaitis comme «une projection des formes hors d’elles-mêmes et leur dislocation de manière qu’elles se redressent lorsqu’elles sont vues d’un point déterminé»[1]

Aujourd’hui, l’anamorphose reste une représentation déformée d’un objet mais son apparence normale peut être rétablie lorsqu’on regarde l’image sous un certain angle ou lorsqu’on se déplace dans son espace de présentation afin de saisir l’ensemble de l’œuvre.

Au moyen-âge, les artistes qui voulaient représenter l’espace tridimensionnel y allaient de manière approximative. Ils n’avaient pas encore recours au système perspectiviste ou à la géométrie euclidienne afin d’élaborer une vision cohérente de la profondeur.

C’est à la fin du XIVème et au début du XVème siècle que Filippo Brunelleschi reformule le principe de la perspective et prépare, par le fait même les approches des artiste tels que : Andrea Mantegna, Piero Della Francesca et Masaccio. Pour Brunelleschi, il demeure primordial que toute représentation soit définie voire déterminée à partir d’un point de vue unique. C’est ce point de vue qui est au centre de l’anamorphose.

Une peinture anamorphosique

C’est sans aucun doute, la peinture de Hans Holbein le Jeune; Les ambassadeurs, peinte en 1533 qui marque l’apothéose du genre. En effet, dans le tableau de Holbein, il existe deux manières de découvrir l’anamorphose mais, pour mieux apprécier ces découvertes, il faut, en tout premier lieu, évoquer la destination que Jean de Dinteville (l’acquéreur) réservait à cette peinture.

En fait, il aurait prémédité toute une mise en scène, histoire de mettre en valeur les secrets de cette peinture. Le tableau était destiné à « décorer » une grande pièce conviviale de son château de Polizy.

Toutefois, afin de dévoiler son mystère, l’installation devait répondre à deux impératifs extrêmement précis :

La peinture devait se situer près du sol, presqu’au ras ; Il devait y avoir une issue ou une porte du côté droit du mur où était accroché le tableau.

 

C’est en s’engageant dans cette issue, puis en se retournant que le spectateur découvrait alors, grâce au rétrécissement visuel, un immense crâne.

L’anamorphose du crâne ou de la vanité, laisse un message percutant au spectateur. Rien n’est plus fort que la mort. Tous les hommes, même les plus érudits seront un jour confrontés à la mort.

La perspective classique ne produit que des illusions. Ici la perspective particulière et insolite avec ses distorsions étonnantes engage le regard dans un jeu avec la mort. Le face à face avec ces érudits dévoile peu à peu l’immense fragilité de l’existence et dénonce la vanité du monde moderne.

La mort est omniprésente dans le tableau. Deux autres symboles soulignent sa présence : le crucifix et la corde du luth cassée.

Mais l’anamorphose pouvait aussi délivrer son secret autrement. C’est en se positionnant face à l’œuvre grâce à l’utilisation d’un objet en verre cylindrique. En regardant à travers un tube en verre on voit apparaître clairement un crâne. L’opération marche également avec le pied d’un verre ! Jean de Dinteville a-t-il proposé un “toast” à ses invités devant la toile ? En levant les verres près du tableau un spectacle saisissant surgissait.

Une autre façon de rappeler la devise des Dinteville “Memento mori» c’est à dire, “souviens-toi de la mort”.

L’anamorphose cachée de Michelangelo Buonarroti

Une des plus belles fresques de la chapelle Sixtine peinte par Michelangelo Buonarroti est sans aucun doute La création d’Adam, elle représente Dieu, entouré de chérubins, donnant la vie à Adam grâce à un effleurement digital d’un index à l’autre. Cette fresque cache toutefois une anamorphose très particulière !

Michelangelo Buonarroti, La Création d’Adam, fresque de la chapelle Sixitine, 1508-12

Il faut se rappeler que lorsqu’il peint le plafond de la chapelle Sixtine, Michelangelo Buonarroti est soumis à certains diktats du pape sixte IV, toutefois grâce à son génie, il réussira à passer outre toutes les dispositions cléricales et mettra en scène ses propres conceptions en adoptant la doctrine néo-platonicienne qui conçoit l’homme comme le créateur d’une pensée profondément intérieure.

Cette pensée l’a-t-elle menée à croire à un dieu qui siégerait en chacun de nous et qui serait alors le moteur de la création artistique ?

La question se pose et voici une interprétation visuelle d’une réponse possible.

Conclusion

Ainsi, l’anamorphose existe bel et bien depuis plusieurs décennies. Elle a permis à maints artistes d’incarner une vision particulière de la réalité ; tantôt déformée mais reconstruite grâce au déplacement kinesthésique du regardeur et tantôt, cachée mais découverte grâce à l’acuité visuelle et mnésique de ce même regardeur.

Dans le prochain numéro, nous verrons ensemble les variations contemporaines de l’anamorphose.

Bibliographie

Baltrusaitis, Jurgis, Anamorphoses ou Magie artificielle des effets merveilleux, Olivier Perrin, 1969 (1959).

Zwingenberger, Jeanette, Hans Holbein le Jeune, L’ombre de la mort, Parkstone éd., Londres 1999.

[1] Jurgis Baltrusaitis, Anamorphoses ou Magie artificielle des effets merveilleux, Olivier Perrin, 1969, (1959), p. 5.

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