LES MANGAS EN CLASSE D’ART
Dans mon parcours scolaire au secondaire, j’ai eu la chance de suivre un programme de concentration en arts plastiques. À chaque début d’année, je me souviens très bien que l’on passait en revue nos cahiers de traces dont la structure était préparée par nos enseignantes. Cet outil, qui servait à documenter nos recherches et réflexions artistiques, contenait une section dédiée aux différents langages plastiques, aux règles de proportion et aux représentations à éviter. Ces « interdits », en quelque sorte, comprenaient certains symboles comme le soleil schématique avec ses rayons, la fleur composée de ronds et l’imagerie des mangas avec leurs grands yeux et leurs cheveux hérissés. Introduite tôt à cette approche, je comprenais que je devais préconiser des représentations basées sur l’examen de la réalité.
Au cours de mon premier stage d’observation au secondaire, dans le cadre de ma formation en enseignement des arts visuels et médiatiques à l’UQAM, j’ai pris connaissance que ces restrictions n’étaient pas la norme dans les classes d’arts plastiques, même que les travaux des élèves comprenaient souvent des éléments de la culture populaire. Un de ces élèves m’a même raconté que s’il ne pouvait pas faire de mangas, il perdrait alors toute motivation dans ses cours d’arts plastiques! Où dois-je me positionner, en tant que future enseignante en art, entre la formation en art qui m’a permis de devenir la créatrice que je suis aujourd’hui et la réalité de ces jeunes qui tiennent à leurs représentations liées à leur culture propre?
Dans cet article, je tenterai premièrement de décrire la mise en pratique de la discipline des arts plastiques, du présent programme de formation de l’école québécoise (PFEQ; Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport,2006), et des paradigmes qui s’y rattachent. Deuxièmement, je traiterai de ce sujet sous l’angle de la décolonisation de l’éducation des arts comme objectif, et ce, par l’entremise des mangas et en montrant comment l’élargissement des pratiques artistiques à l’école peut contribuer à l’atteinte de ce but. Troisièmement, j’accentuerai mon propos sur les manières par lesquelles la représentation de mangas peut servir d’enseignement pertinent quant aux représentations graphiques riches et émergentes des élèves. Quatrièmement, je donnerai des pistes de solutions afin d’appliquer ces notions en classe afin de pousser l’élève à explorer de tels types de représentation dans un contexte pédagogique acceptable.
Mes enseignantes au secondaire défendaient l’idée que nous ne pouvions pas représenter de mangas dans nos productions en parlant de l’importance du critère de l’authenticité dans l’évaluation des créations visuelles en cours d’arts plastiques. Ce critère stipule qu’il doit y avoir expressivité et absence de clichés dans l’œuvre de l’enfant ou de l’adolescent. Or, cette notion découle de la Renaissance en art où l’artiste perçu comme « divin » (idéalisé) se devait de toujours créer du neuf (Panofsky, 1984). Cette notion se poursuivit jusqu’à la période de la modernité au 18e siècle, où l’authenticité, l’originalité et l’invention constituaient les caractéristiques du génie moderne en art. Quelle pression énorme que de demander à nos élèves de se comparer à cette longue tradition d’innovation au sein de l’histoire de l’art, en plus de les déconnecter de l’époque actuelle! En effet, le programme de formation des élèves semble peu tenir compte de la transgression effectuée par les artistes du pop art face à l’orthodoxie artistique moderniste (Lemerise, 1998). En effet, depuis les années 1960, il est pratique courante pour un artiste de se réapproprier les codes de la culture de masse et ceux du design.
En plus de l’approche d’appropriation des codes liés à la culture de masse plutôt absente du PFEQ, l’académisme a lui aussi été bien présent dans l’histoire de l’éducation artistique. Comme durant l’époque du classicisme, ce modèle a consisté à enseigner l’art du beau en recourant aux proportions du corps humain et au dessin d’observation (moyens que l’art des mangas ne respecte pas). Ce type de pédagogie a pris son origine en 1872 avec Walter Smith dont l’enseignement était basé « sur l’idée que l’art est une imitation de la nature » (Efland, 1995, p. 25). Puisque, dans la perspective actuelle, l’art repose en partie sur la tradition, je crois que ces modèles ont encore une place dans les cours d’arts plastiques. Réfléchir à leur contribution nous aide à comprendre comment nous en sommes arrivés à l’époque postmoderne. Précisons toutefois que le problème réside dans la hiérarchisation des modèles (et des genres) et dans la manière par laquelle les enseignants catégorisent les symboles et les repères culturels propres aux jeunes, tout en les jugeant comme étant pauvres. Gardons à l’esprit que l’élève est lui aussi médiateur de culture, il peut jouer ce rôle envers nous : enseignants en art. Si nous nous retrouvons devant une classe, c’est parce qu’en tant qu’enseignant nous aimons apprendre, et puisque la devise du PFEQ est de placer l’élève au centre de ses apprentissages, la moindre des choses serait de nous intéresser à nos jeunes. Nous reviendrons sur le sujet de la place de la culture visuelle de l’élève vers la fin du texte.
La dévalorisation des mangas découle de l’eurocentrisme[1] encore présent dans l’éducation artistique en Occident. Les enseignants oublient que les mangas sont un genre légitime faisant partie des arts des domaines de l’estampe et de l’impression, techniques étant intégrées au programme de formation. Les enseignants en art qui souscrivent à une vision moderniste de l’enseignement des arts ont tendance à ne reconnaître auprès de cette forme d’art aucun lien avec l’éducation et aucune valeur artistique (Wilson, 2005). Le manga fait pourtant partie intégrante de l’histoire de l’art avec les gravures de Hokusai, le père du manga. Les Hokusai manga (1814) sont un inventaire de croquis de l’artiste comprenant les mêmes petits personnages que l’artiste nippon dessinait dans diverses poses. Issues de la même époque que plusieurs œuvres de Hokusai, se retrouvent les peintures « orientalistes » (18e siècle) de Delacroix et d’Ingres qui nous sont enseignées jusqu’aux bancs des universités.
Pour sortir de cette vision eurocentriste de l’art, il serait avantageux pour enseignants et futurs enseignants de suivre des cours spécialisés en art ethnoculturel afin d’être mieux informés. Toutefois, « les cours universitaires portant sur ce sujet ont souvent tendance à se limiter à l’étude des artefacts culturels de minorités visibles ou de groupes ethnoculturels » (Jim, 2018, p. 100). Les pratiques en art contemporain ne faisant pas partie du corpus présenté, les futurs enseignants d’art se retrouvent dans une impasse, d’où l’importance d’une formation continue des maîtres où l’élève en est le cœur. L’élargissement de l’enseignement de ces pratiques dans la formation des enseignants où les mangas seraient intégrés et la décentralisation de l’éducation artistique comportent de nombreux avantages en contribuant à l’ouverture aux autres cultures et à l’expression créatrice des élèves. Je crois que tout doit commencer par la curiosité de l’enseignant. Dans le cadre de la formation continue, il aurait avantage à cibler les formes d’expressions artistiques de cultures différentes de la sienne afin de favoriser une plus grande ouverture chez les élèves. Cette ouverture chez l’enseignant pourra être partagée et transmise aux élèves.
Dans un contexte de mondialisation toujours croissante, l’éducation aux arts et à la culture doit permettre une meilleure compréhension interculturelle. L’art est un moyen de mieux se comprendre pour ensuite intégrer l’expérience des autres. Ainsi, une meilleure connaissance des différentes cultures du monde permettrait de briser le mur de la xénophobie. La classe d’art doit être un lieu où le jeune peut partager sa culture avec les autres et créer une meilleure compréhension au regard de questions liées à la race, à la culture ou aux variables socioéconomiques (Arts Education Partnership, 2004) et ainsi développer l’empathie et la tolérance des élèves. Le professeur Homi Bhabha propose la théorie de l’hybridité où un troisième site culturel serait créé dans l’échange interculturel (Nasrullah, 2016). De nouvelles formes identitaires transculturelles peuvent alors se créer où l’élève apprend à vivre l’ambivalence plutôt que l’opposition à l’autre. En Norvège, un projet pilote amené par le chercheur Kjell Skyllstad fut mis sur pied dans plusieurs écoles afin d’encourager la compréhension interculturelle et interethnique. Des artistes et professeurs de musique provenant des communautés immigrantes étaient invités dans plusieurs écoles dans le cadre d’un programme d’éducation musicale interethnique. L’hypothèse de départ du projet était que des préjugés se forment sur des bases émotionnelles et irrationnelles plutôt qu’intellectuelles, et que la musique était conséquemment un moyen approprié pour combattre les préjugés raciaux en faisant connaître aux élèves les traditions musicales d’autres communautés. Une évaluation du programme avait démontré que les élèves ayant participé avaient de meilleures relations sociales en général et des comportements moins négatifs envers les immigrants en particulier. Dans le cadre d’un programme similaire, l’ouverture aux autres cultures pourrait passer par l’éducation aux mangas afin de présenter les traditions artistiques des communautés asiatiques et mieux contrer le racisme qu’elles vivent. En effet, les attaques racistes envers ces communautés ont été accentuées par la pandémie de COVID-19. Un regroupement d’organisations communautaires recensait 1150 cas d’incidents racistes anti-asiatiques entre le 10 mars 2020 et le 28 février 2021 à travers le pays (Radio-Canada, 2021).
L’ouverture à l’art des mangas enrichirait l’intelligence graphique des élèves. Cette proposition vient de recherches effectuées par Brent Wilson alors qu’il s’intéressait à l’enseignement artistique au Japon. Tandis que les enfants américains et canadiens âgés de cinq ans dessinent des figures humaines en forme de têtard, les enfants japonais du même âge ont déjà maîtrisé la base du style des mangas et produisent de meilleurs[2] (Wilson, 2005).
Personnages féminins inspirés des mangas, élèves de la maternelle à la 6e année, présentés en ordre chronologique, de gauche à droite et de haut en bas, région d’Osaka, 1989.
Image tirée de l’ouvrage de Moniques Richard (2005), p. X.
Cependant, ce n’est pas dans les écoles japonaises que les enfants apprennent à s’approprier ce style. Wilson a découvert que les élèves japonais apprenaient à maîtriser un autre style de dessin, un autre langage graphique, soit le dessin académique de leurs manuels scolaires basé sur l’observation. Comme l’indiquent Wolf et Perry (1998), l’intelligence graphique est de se créer un répertoire de langages visuels et de savoir quand y faire appel au moment voulu. Or, les enfants japonais deviennent autant à l’aise dans ce qui leur est demandé par leurs enseignants que dans le style manga qu’ils développent en marge de l’école. Ils utilisent l’un ou l’autre des types de langage selon le besoin du moment et de ce qui leur semble le plus approprié. Par exemple, en contexte de production de bandes dessinées. Les jeunes nippons peuvent ainsi puiser dans plusieurs langages visuels et démontrent une meilleure intelligence graphique que les enfants n’ayant pas le style manga dans leur répertoire. Or, qu’importe le style, plus l’on dessine, meilleurs nous devenons. Puisque les mangas sont plus proches des intérêts de ces enfants, ils en dessinent plus. Ils peuvent dessiner six histoires durant le temps requis pour réaliser un dessin académique, plus éloigné de leurs centres d’intérêt. De plus, tout comme l’art académique, les mangas suivent des conventions qui se sont développées au cours de l’histoire. L’iconographie des mangas sert à exprimer les émotions des personnages. Par exemple, la goutte de sueur signifiant que le personnage transpire. Une fois que les rudiments du code des mangas sont maîtrisés, les jeunes peuvent les « étirer » et les modifier lors de nouvelles explorations créatrices. Wilson soutient que cette réappropriation est synonyme de créativité et que les mangas permettent aux enfants de développer leur habileté narrative. En outre, il ajoute ceci : « Oui, le code des mangas est un peu contraignant, mais je pense qu’il offre en même temps beaucoup plus de possibilités que les codes scolaires qui sont bien souvent déconnectés de la vie des enfants » (Wilson, 2005, p. 191).
En tant « qu’étrangère » (ou non japonaise), je crois que l’éducation artistique que les jeunes acquièrent dans les mangas est dix fois plus importante que celle venant de l’école, simplement parce que celle-ci les touche dans leur propre vie et parce que les sujets les concernent (Wilson, 2005).
La liberté qu’offre paradoxalement le style manga permet au jeune de mieux se connaître. Personnellement, j’ai toujours trouvé que le dessin qui m’était enseigné à l’école ne m’apprenait pas à développer un style graphique personnel puisque l’on créait souvent à la manière des maîtres occidentaux et en s’appuyant sur la réalité observée. Cependant, je crois que c’est le mélange des habiletés apprises en classe et de celles qui découlent du répertoire acquis dans les pratiques culturelles informelles qui permet aux élèves de créer de merveilleux dessins. Le mariage de ces deux mondes doit être encouragé puisqu’ils sont tout aussi riches l’un que l’autre! L’emprunt venant de la culture populaire et de l’art de masse fait partie intégrante des processus d’apprentissage (Duncum, 1988; Smith, 1985; Wilson et Wilson, 1982). C’est pourquoi il faudrait permettre aux élèves de s’approprier l’imagerie de la culture de masse et d’en faire une lecture critique dans les cours d’arts plastiques.
On comprend bien le besoin de construire un sens de la communauté dans les écoles afin que les jeunes se sentent importants chez les chercheurs et enseignants en art. L’éducation véritable et efficace arrive lorsque l’on fait partie d’une communauté qui chérit la bienveillance et l’écoute de l’autre (Intrator, 2003). Connaître son élève apporte joie et récompense et il faut continuer de forger cette relation qui est centrale pour susciter l’engagement du jeune dans son éducation. Les meilleurs enseignants sont ceux qui sont profondément connectés à la vie de leurs élèves. Il faut voir leur monde, l’entendre et le sentir. Brent Wilson a fait l’expérience de la manière par laquelle peut se faire le rapprochement de la culture de l’enseignant d’art et celle de l’élève en classe. Il nomme cette notion de « third-site ». Le troisième site pédagogique se retrouve en marge du contexte formel de l’école où de nouvelles formes de productions signifiantes issues de la culture visuelle sont encouragées. C’est un lieu au-delà de la classe d’art (le second site) et des pratiques culturelles informelles de l’élève (le premier site), un temps en dehors des classes normales où l’adulte et l’élève deviennent égaux et échangent librement. Dans les années 1970, Wilson a étudié comment la vie des élèves peut être changée à travers l’approche d’un troisième site pédagogique. Il a découvert que ce n’était pas l’expérience des classes d’art ordinaires qui changeaient profondément la vie des élèves. Elle était plutôt changée par des facteurs incluant celui de passer du temps supplémentaire à l’école, jouer, parler et manger avec l’enseignant dans des endroits inusuels. L’expérience était enrichie par des sorties dans des musées et par des interactions avec des gens du milieu de l’art.
Ainsi, plutôt que d’interdire des représentations issues de la culture populaire, il serait préférable de travailler en aval, en se demandant si l’élève a pris connaissance du travail d’un artiste en particulier, d’une bande dessinée, d’un manga ou d’un dessin animé en dehors de l’école (comme par exemple le travail de Sai Yamagishi et Yukinobu Tatsu apparaissant ci-dessous).
À gauche: Collégien passionné de gymnastique, Mitsuki Amahara voit son univers vaciller en finale du tournoi des collèges quand il voit la performance de Sakura Dogase. Scène du manga MOON LAND créé par Sai Yamagishi, Shueisha © 2019.
À droite: Ken Takakura est possédé par un fantôme et change d’apparence.
Scène iconique du manga DANDADAN créé par Yukinobu Tatsu, Shueisha © 2021. [3]
Dans ce contexte, nous pouvons proposer à l’élève d’utiliser de nouveaux supports, des crayons spécifiques, d’explorer des actions et des émotions extrêmes pour leurs personnages ainsi qu’un travail sur la narration pour enrichir son travail. L’expérience peut être agrémentée en invitant les élèves à dessiner avec nous. Le résultat consiste alors en un hybride visuel témoignant d’une culture qui va au-delà de celle de l’adulte et de l’élève. Lorsque les deux acteurs abandonnent leurs rôles habituels d’enfant et d’adulte, lorsqu’ils partagent des références populaires et leurs goûts en matière d’art et de cultures visuelles contemporaines, ils ont ensemble l’opportunité de devenir coproducteurs à parts égales de la culture visuelle contemporaine.
Je poursuis ma réflexion autour de ce qui ferait un bon programme scolaire d’art visuel contemporain. Un tel programme serait connecté aux intérêts de l’élève et de l’enseignant afin de poursuivre la pédagogie du troisième lieu. Ainsi, les enfants pourraient, avec l’encouragement et le support des enseignants, construire leur propre culture visuelle, une culture qui est autant influencée par ce qu’ils voient en dehors de l’école que par la culture artistique que l’enseignant partage en classe. Les élèves possèdent l’intelligence de marier les aspects académiques et populaires de l’art. Une fois que nous sommes au courant de cette réalité, veillons à l’entretenir pour encourager l’élève à épanouir sa créativité et à ne pas percevoir l’art comme un dogme évoluant en dehors de sa réalité, d’autant que les mangas ont déjà leur place dans les musées. Plusieurs artistes contemporains explorent ce style : Jean Giraud, Takashi Murakami, Aya Takano, Kazuo Umezu, Junji Ito, Toshitomo Nara et Yoshitoshi Kanemaki, pour n’en nommer que quelques-uns.
Conclusion
En conclusion, plusieurs modèles sont encore pertinents dans les cours d’arts plastiques, mais ils ne devraient jamais brimer la liberté et l’intérêt des élèves. Le PFEQ semble avoir tendance à valoriser une approche plutôt déconnectée des jeunes et des pratiques actuelles en art et ne tient pas suffisamment compte de leur bagage culturel, riche dans sa mise en application. Par manque de formation, plusieurs enseignants catégorisent les cultures populaires comme pauvres sans vraiment réfléchir à leurs origines et à leurs influences, comme le cas des mangas qui découlent de la gravure. Les mangas, entrant dans les arts ethnoculturels, sont un vecteur d’ouverture aux autres cultures. Sensibiliser les élèves aux pratiques qui se font en dehors de l’Occident permet de briser le mur de la xénophobie. De plus, les élèves seront plus ouverts à partager leur propre bagage culturel si l’enseignant ouvre un espace de discussion à ce sujet dans sa classe d’art. Celui-ci prendra alors connaissance de la culture riche et variée de ses élèves. De plus, le style manga est un enrichissement pour le langage visuel des jeunes. Ce style, étant plus facile à réinterpréter, offre une plus grande ouverture créative que les styles académiques classiques enseignés à l’école. Ainsi, je crois que tout style a sa place dans les cours d’arts plastiques. Il est important que l’enseignant ait un répertoire culturel riche afin de permettre à ses élèves de faire des choix, comme celui d’utiliser certains styles graphiques (origine culturelle, historique, etc.). Encore plus important, l’enseignant d’art doit être ouvert à son élève : être curieux et attentif à la manière qu’il s’exprime, s’habille, les macarons placés sur ses effets personnels, etc. Ce sont des objets qui témoignent de la culture informelle de l’élève et qui sont riches de significations pour lui. Par exemple, pourquoi ne pas ouvrir une situation d’apprentissage et d’évaluation autour du cosplay, [4] que l’on peut associer à l’art de la performance? S’intéresser aux origines de ces pratiques informelles avec ses élèves leur montrerait à quel point le monde de l’art n’est pas si loin d’eux. Je crois que plusieurs personnes décrochent de l’art à cause d’une certaine forme d’élitisme ou se laissent rebutées par une vision sacralisée du musée. Rendons-les accessibles en montrant que leurs murs dépassent ceux de l’institution : notre corps peut devenir galerie et territoire d’exposition artistique (p. ex., perçage, tatouage, habillement, etc.). Cet article représente une promesse que je me fais à moi-même : celle de travailler à partir des cultures informelles de mes futurs élèves. Je trouve que cette approche est très motivante et plus proche de ma personnalité. Je ne crois pas que mes références valent plus que celles des jeunes et je crois qu’il faut marier les deux mondes afin de faire évoluer l’art contemporain vers quelque chose de plus accessible. J’aimerais bien pouvoir étudier comment les élèves québécois sont influencés par l’imagerie des mangas. Les mêmes arguments fournis dans cet article pourraient être transposés à d’autres arts culturels. Je crois qu’il manque de la diversité afin d’intéresser les élèves ayant un bagage culturel tellement intéressant et riche! Si on veut régler les problèmes de motivation des jeunes à l’école, on doit les faire sentir connectés et compris par leur milieu.
Notes
[1] Le terme eurocentrisme pourrait aussi se traduire par l’art de l’Occident. Excluant ainsi l’art ethnoculturel, soit l’art venant des cultures proche-orientales, asiatiques ou africaines, par exemple (Jim, 2018). De plus, la mode était d’aller étudier les arts en France jusqu’à encore récemment. Le lien avec l’Europe étant encore très fort.
[2] L’adjectif est utilisé sous les critères du développement graphique qui tend vers le réalisme (Lowenfeld, 1978)
[3] Le cosplay consiste à s’habiller et à agir comme un personnage de film, de bande dessinée, d’émissions animées, etc. Cette pratique se rapproche du travail de l’artiste performeur et enseignant Thierry Marceau.
[4] Ces deux extraits visuels sont tirés de l’article de Valentin Paquet Shihei Lin : l’homme qui murmurait à l’oreille des mangakas! Publié en ligne le 22 octobre 2021 https://www.linternaute.com/livre/mangas/2560538-shihei-lin-l-homme-qui-murmurait-a-l-oreille-des-mangakas/
Références
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Intrator, S. M. (2003). “The kids were on fire”: On the nature of inspired learning and potent teaching. Dans S. M. Intrator (dir.), Tuned in and fired up: How teaching can inspire real learning in the classroom (p. 1-14). Yale University Press.
Jim, A. M. W. (2018). Mise en perspective chiasmique des histoires de l’art global au Canada. Muséologies, 9(1), 97-111. https://doi.org/10.7202/1052630ar
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Citer cet article :
Montreuil, K. (2022). Les mangas en classe d’art. Vision (revue de l’Association québécoise des enseignantes et enseignants spécialisés en arts plastiques ) nº 82, juin.
URL : http://revuevision.ca/les-mangas-en-classe/
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