POUR UNE REDÉFINITION DE L’OEUVRE LUDIQUE.
Le jeu comme savoir-faire est présent dans l’ensemble des sociétés humaines; il accompagne notre venue au monde. Les classes de nos écoles sont truffées d’apprenants-joueurs, qui se spécialisent dès le stade néonatal. Moult artefacts prélevés dans divers sites archéologiques retracent la présence de rites associés à l’univers du ludus dès 5 000 ans av. J-C. La piste selon laquelle le jeu s’inscrit comme trait fondamental du comportement animal n’est donc pas réfutée et il est légitime de croire que certains caractères génétiques seraient liés aux aptitudes et attitudes ludiques.
Le concept du jeu a largement évolué depuis l’époque gréco-romaine. Lorsque nous parlons du jeu, nous faisons surtout référence au terme latin ludus lié à l’idée d’école et d’exercice, mais aussi (ludere) aux choses non sérieuses, d’où découlera le terme ludique.
Le terme ludique actuellement en vogue dans le marché de l’art mais aussi dans la société occidentale nous enchante et nous donne l’espoir de reconnecter avec le paradis perdu de l’enfance, bien que son utilisation soit également galvaudée et sa compréhension limitée.
Un ballon de football est certes ludique puisque relié au spectre du jeu, mais ne s’agit-il pas d’une association simpliste et dénuée de complexité? Pour devenir fondamentalement éveillé sur les implications du terme ludique, ne conviendrait-il pas plutôt d’utiliser ce terme avec parcimonie et dans des contextes exclusivement porteurs de sens?
La redéfinition de l’œuvre d’art dite ludique est donc concernée. Le projet doctoral Évaluation de l’expérience du jeu ludique au sein du processus de création en art contemporain actuel (Université Paris1 – Panthéon-Sorbonne) permet donc d’établir un questionnement sur cette nouvelle esthétique du ludique en facilitant une interactivité et un échange au sein d’une communauté composée de plus de 55 artistes professionnels provenant de plus de 23 pays.
Les premiers résultats expliquent que le concept est lié à des critères plus vastes que ceux suggérés par des définitions antérieures. Des savoir-faire, mais surtout des savoir-être, des attitudes telles la curiosité, le goût pour le défi, la spontanéité, le sens de l’humour, l’initiative ou la recherche du plaisir (Ferland, 2001) y sont intrinsèquement liés. Marijn Van Kreij, artiste néerlandais en art visuel mentionne que le jeu c’est «Un état d’âme qui permet d’être à la fois, non-linéaire, ouvert à l’inattendu; un sentiment d’ouverture en général.[1] »
Des attitudes spécifiques sont donc requises pour la transformation d’une expérience de création classique en une expérience de création ludique. L’œuvre d’art n’évoque donc plus simplement un corps matériel, mais elle en vient à être identifiée comme ludique puisqu’elle est en soi un réel témoignage de l’expérience de création ludique vécue par le créateur.
Ainsi, le jeu comme action n’est qu’un produit, il ne vaut rien; il reste insipide tant qu’il ne découle pas d’un vrai processus, tant que le joueur ne devient pas jeu. La redéfinition de l’œuvre ludique propose donc de croire en ce jeu ludique qui n’est pas action mais attitude et qui donne sens parce qu’il est intensification de l’expérience du vivant. Le jeu vrai jeu ludique, c’est aussi « permettre aux choses de se produire et ne pas avoir à les contrôler. Être animé par les surprises trouvés dans l’imprévisible. [2]»
Nous voulons voir, consommer, digérer des produits visuels ludiques non seulement pour leur esthétique, mais également parce ce que nous nous rappelons que l’enfant qui joue devient ivre sous une excitation physiquement palpable.
Pour en savoir+Brown, S. L., & Vaughan, C. C. (2009). Play : How it shapes the brain, opens the imagination, and invigorates the soul. New York : Avery.
Ferland, F. (2003). Le modèle ludique : Le jeu, l’enfant ayant une déficience physique et l’ergothérapie. Montre´al : Presses de l’Université de Montréal.
Henriot, J. (1989). Sous couleur de jouer : La métaphore ludique. Paris : J. Corti.
Huerre, P., Manson, M., & Senart, S. (2007). Place au jeu! : Jouer pour apprendre à vivre. L’enfance en questions. [Paris] : Nathan.
Huizinga, J. (1951). Homo ludens : Essai sur la fonction social du jeu. [Paris] : Gallimard.
Smith, P. K. (2009). Children and play. Chichester : Blackwell publ.
Bio-biblioAriane Cloutier est née à Québec (Canada). Elle vit et travaille à Paris (France). À la suite d’une formation en enseignement des arts plastiques et en psychologie (Canada), elle entame une spécialisation (Université Aix-Marseille 1) dans le domaine des sciences de l’art. Ses recherches doctorales actuelles au sein du laboratoire ACTE (Université Paris 1) portent sur une analyse holistique et multidimensionnelle du phénomène ludique en art contemporain actuel. Ses centres d’intérêt concernent la neuroesthétique, l’art et la psychologie, les stratégies de création, l’esthétique holistique, le jeu et l’art. Elle est également commissaire d’exposition indépendante.
Communications effectuéesCloutier, A. (2012). Play as a Communication Tool, Analyzing the Work of BAXTER& in Terms of an Aesthetic of the Ludic. Télé-communication présentée à la York University, InterPLAY symposium between creativity & information, Toronto.
Cloutier, A. (2011). Entre détournement et internement : analyse de la démarche géo-performance d’Arnaud Cohen. Communication présentée à l’Université de Franche-Comté, Colloque Dijon-Besançon – Espaces de vie de l’artiste : les internements à l’œuvre, Besançon.
Cloutier, A. (2011, juin & juillet) Triptyque de l’assomption de la vierge d’Adrien Isenbrant, analyse et présentation publique présentée au Musée Cluny, Un dimanche avec les étudiants au Musée Cluny, Paris.
Autres travauxCloutier, A. (2010), « ENTREVUE IAIN Baxter& traduit de l’anglais par Ariane Cloutier, « in IAINBAXTER&raisonnE, item #1833, http://archives.library.yorku.ca/iain_baxterand_raisonne/items/show/1833.
[1] Traduction libre de l’anglais : Play is: « An associative state of being, non-linear, open to the unexpected, a sense of openness in general. » Marijn Van Kreij
[2] Traduction libre de l’anglais : Play is: “To allowing things to happen and not having to control them. To be excited by the surprises found with the unexpected.” Deborah Margo.
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