Regard sur une expérience en transmission de l’art dans un contexte autochtone
Troisième partie // Vers un programme d’art autochtone pour les jeunes - Bilan de l’expérimentation du projet pilote Uashat
Catherine Bouchard
Assistante de recherche
Biographie
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Le présent article est le dernier d’une série de trois portant sur la réalisation d’un projet pilote destiné aux jeunes de la communauté d’Uashat Mak Mani-Utenam. Ce dernier s’est terminé notamment par la réalisation d’audioguides disponibles sur le site TRASS[1]. Pour faire suite aux précédents articles dont le premier faisait état des phases de la préparation du projet et le deuxième, des actions menées sur le terrain, celui-ci dresse le bilan de l’expérience. De plus, cet article annonce des retombées au projet : l’élaboration d’un guide d’enseignement en arts plastiques destiné aux enseignants des communautés autochtones et allochtones du Québec.
LE CONTEXTE
À notre sens, ce projet en enseignement des arts visuels a permis de grandes réalisations, bien plus grandes encore que celles affichées sur les murs car, outre le fait de rencontrer des artistes et de se familiariser avec leur démarche artistique, les jeunes ont été amenés à vivre une expérience des plus positives, de la visite des lieux culturels (collecte de données) à la création (projet d’arts plastiques), jusqu’à l’appréciation venant des membres influents de leur communauté. En partant d’une expérience plastique personnelle aboutissant à une œuvre collective, c’est un sentiment de fierté généralisée qui s’est manifesté. Celui-ci devient palpable lorsque l’on visionne les images vidéographiques enregistrées lors du dévoilement des œuvres devant les élèves. Or, au-delà de la conviction d’avoir atteint notre objectif, soit celui de rehausser l’estime que les jeunes ont d’eux-mêmes et leur sentiment d’appartenance envers leur communauté, il importe de revenir sur l’expérience en énonçant les aspects les plus révélateurs du projet, aspects dont nous tiendrons compte dans l’élaboration prochaine d’un guide.
RETOUR RÉFLEXIF
Une valorisation de l’œuvre mettant en valeur la personnalité
En valorisant les œuvres des jeunes par le souci accordé autant à leur présentation qu’à leur accrochage permanent dans des endroits stratégiques de la communauté, c’est la personnalité de leur créateur qui s’en trouve mise en lumière. Il s’agissait, pour plusieurs d’entre eux, d’une suite de premières : première visite au musée ou dans un studio de musique, première expérimentation des procédés utilisés et première œuvre collective. Cependant, pour nous assurer d’un résultat probant, nous avons dû veiller à mettre en place un projet directement lié aux intérêts et préoccupations des élèves. C’est pour cette raison que la démarche pédagogique a débuté par une tempête d’idées où les élèves ont choisi eux-mêmes les éléments culturels qui les touchaient.
Une démarche adaptable à la structure scolaire autochtone permettant une insertion dans le milieu
Les contraintes liées aux horaires scolaires peuvent rendre difficile la réalisation d’un tel projet, nécessitant des sorties à l’extérieur et plusieurs étapes de réalisation dans un court laps de temps. Toutefois, avec la bonne volonté des directions et des enseignants impliqués, nous avons pu libérer des périodes afin de faire vivre le projet aux élèves. Le manque de locaux spécifiquement adaptés aux arts plastiques a également été contourné en faisant travailler les jeunes du primaire dans des salles du musée situé non loin de l’école et ceux du secondaire, dans la bibliothèque.
Un apprentissage basé sur la transmission orale respectant la façon de faire des autochtones
Lors de la conceptualisation du projet avec nos partenaires autochtones responsables des secteurs de l’éducation et de la culture du Conseil de bande d’Uashat Mak Mani-Utenam, nous nous étions penchés sur les valeurs et les manières de faire des peuples des Premières Nations en matière de transmission de l’apprentissage afin de déterminer celles que nous voulions préserver. Nous avions ciblé le principe de l’oralité comme moyen privilégié. L’oralité correspond à l’état d’une civilisation dans laquelle la culture est en grande partie orale et non consignée par des textes. Elle constitue une approche utilisée de manière ancestrale par les peuples des Premières Nations comme principe d’apprentissage naturel et intégré aux modes de pensée de ces communautés. Dans le champ de l’art actuel, elle se manifeste notamment grâce à ses métamorphoses, c’est-à-dire le chant, la poésie, l’art d’action, etc. C’est de cette manière que Shauit, Ernest Aness Dominique, Anne-Marie André et Lauréat Moreau ont utilisé ce principe pour que la narration devienne un outil d’apprentissage agissant.
Le dépôt des balados sur le site TRASS et l’attribution d’un code QR permettant de rendre accessible la démarche des élèves
Le choix des balados n’est pas un hasard puisque nous travaillions avec des élèves autochtones, pour qui, répétons-le, la transmission orale est un fait culturel. La mise en ligne des audioguides sur le site TRASS[2] ajoute une dimension supplémentaire à leur travail puisque ceux-ci sont désormais accessibles en tout temps, peu importe où nous nous situons. D’ailleurs, des enseignants en arts nous ont affirmé les utiliser en classe pour aborder cette culture. Au-delà du caractère accrocheur et « branchés » des audioguides, ceux-ci dépeignent fidèlement une réalité puisqu’ils ont été conçus à partir des intérêts des jeunes. En outre, leurs réalisations poursuivent un autre but : celui de laisser leur trace dans un projet québécois allochtone. En effet, ne serait-il pas grandement temps qu’au Québec, il y ait un espace de cohabitation entre deux peuples vivant côte à côte et qui souvent s’ignorent? C’est l’un des défis que nous souhaitons relever en élaborant le projet de la réalisation d’un guide en enseignement des arts qui vraisemblablement portera le titre suivant : Rendre visible l’invisible : Pour un enseignement des arts visuels en contextes autochtones. Une perspective liant considérations théoriques et utilisation pratique.
POUR LA SUITE : LES PORTEURS D’ESPOIR
Ce projet pilote démontre l’importance que peut avoir la parole d’un artiste chez un jeune. Comme la vie de l’élève, celle de l’artiste est elle aussi parsemée d’embuches, d’épreuves et de journées plus difficiles. Mais il continue, persévère et le travail acharné procure tôt ou tard des résultats. Ainsi, l’artiste s’adresse au jeune dans ses propres mots et devient pour lui une preuve tangible de réussite – donc, un porteur d’espoir –, fait d’autant plus intéressant que nous sommes en présence d’un peuple pour lequel la transmission orale revêt une importance primordiale.
Le guide sur lequel nous travaillons présentement et qui s’adresse aux enseignants du primaire et du secondaire vise donc la transmission des arts autochtones puisqu’à ce jour, aucun outil pédagogique n’a encore été conçu en ce sens. En plus d’une partie théorique, le guide comporte 10 capsules pédagogiques vidéographiques enregistrées sur DVD; chacune d’elles présente un artiste autochtone, porteur d’espoir, et son travail. Par la suite, des situations d’apprentissage, en lien avec les artistes, seront jointes au guide. Les artistes deviennent de la sorte une inspiration aussi bien par leur travail que par leur parcours et leur message.
Ces artistes ont été sélectionnés pour leur démarche créatrice significative, possédant un fort potentiel d’identification auprès de la clientèle scolaire et susceptible, par le fait même, de rejoindre les intérêts des jeunes autochtones. Leur pratique artistique s’inscrit, soit dans le mouvement de l’art contemporain, soit dans un processus de réappropriation des codes, coutumes, savoirs, techniques ou gestes propres aux cultures autochtones. Ainsi, la production de ces artistes se trouve teintée d’un caractère singulier tout en étant respectueuse de leur origine. Ces porteurs d’espoir constituent donc un modèle positif et inspirant, tant artistiquement qu’humainement, pour les jeunes, tout en contribuant à l’essor des arts autochtones.
Pour élargir l’éventail des artistes présentés, nous avons également porté une attention particulière à leur représentativité selon des critères relatifs au genre, au type de travail artistique et à la nation.
Au final, nous espérons que le visionnement des capsules fera comprendre aux jeunes le sens que ces artistes, créateurs et artisans attribuent à leur forme d’art et qu’il sollicitera suffisamment leur imaginaire pour qu’à leur tour, ils réalisent des œuvres artistiques significatives. Nous souhaitons que, déployant leurs capacités expressives, ils opèrent, du même souffle, une influence sur leur propre destinée.
Ce guide, s’il est certes destiné aux enseignants autochtones, est également conçu pour l’ensemble des enseignants allochtones spécialisés en arts plastiques dont certains nous ont révélé se sentir mal à l’aise de parler à leurs élèves d’un art qu’ils ne connaissent pas. Afin de pallier quelque peu le manque d’outils pédagogiques concernant les arts actuels autochtones, ils pourront faire visionner les capsules pédagogiques à leurs élèves et faire vivre les situations d’enseignement proposées s’ils le souhaitent, ou encore, ils pourront les utiliser en tant que mise en situation pour développer leurs propres situations d’enseignement. Pour notre part, les situations proposées au sein de ce guide seront également expérimentées auprès des jeunes allochtones du primaire et du secondaire de la région du Saguenay-Lac-St-Jean.
La culture autochtone représente encore aujourd’hui une richesse méconnue, parfois incomprise, et trop souvent ignorée par l’ensemble des Québécois, comme le démontre son absence dans les connaissances issues de la Progression des apprentissages en arts plastiques au primaire tout comme dans celles issues du Programme de formation de l’école québécoise au secondaire. Pourtant, à une autre époque et dans un autre guide[3], on lui faisait une place importante en amenant l’élève à se familiariser avec certains aspects des cultures autochtones. Avec la publication de ce guide, nous souhaitons poser un geste constructif pour la transmission des arts autochtones afin de contribuer à enrichir une mémoire collective et, de la sorte, alimenter un devenir citoyen porteur d’un imaginaire fécond.
N.B. Le lecteur aura remarqué que l’ensemble des réalisations plastiques présentées ici provient de travaux d’élèves ilnus de la communauté de Mastheuiatsh, élèves de l’enseignante spécialisée Josée Roberston, l’une des auteures du guide à paraître.
[1] Partie 1 à cette adresse : http://www.baladoweb.qc.ca/spip.php?article815&menu=
Partie 2 à cette adresse : http://www.baladoweb.qc.ca/spip.php?article816&menu=
[2] Partie 1 à cette adresse : http://www.baladoweb.qc.ca/spip.php?article815&menu=
Partie 2 à cette adresse : http://www.baladoweb.qc.ca/spip.php?article816&menu=
[3] Gouvernement du Québec, Guide pédagogique, Secondaire. Arts plastiques, Tome II, Québec, Direction générale du développement pédagogique, Ministère de l’éducation, 1985.
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