Lier les générations par la cocréation: un projet pour briser l’isolement et enseigner autrement
Nous sommes quatre étudiantes ambitieuses, inscrites au baccalauréat en enseignement des arts visuels et médiatiques à l’UQAM. Le nouveau cours de Cocréation pédagogique en fablabs, offert par le professeur Martin Lalonde à l’UQAM à l’été 2020 dans un contexte particulier de confinement (Masson, 2020), nous a permis de développer un projet qui nous tient à coeur, et qui a fait éclater nos perceptions de l’enseignement en général.
Nous avons développé le Projet Hologramme en quatre semaines intensives, en grande partie en télétravail (voir Laurendeau et al., 2020). Ce dernier a été pour nous une révélation sous de multiples aspects: les possibilités en pédagogie autres que ce que l’on peut apprendre dans le cadre du programme d’éducation québécois, notre rôle en tant que futures enseignantes, les nouvelles avenues qui se déploient lorsque des enseignants se mettent à travailler en cocréation, ou encore la découverte de ce qu’est le mouvement des fablabs et sa philosophie.
Notre projet s’est dessiné graduellement, guidé par l’envie que nous avions depuis un certain temps de travailler ensemble, et par la volonté de créer un projet éducatif complet, prêt à être exécuté en classe, et répondant à une problématique de terrain réelle.
L’objectif premier du Projet Hologramme est de créer un lien entre les générations. Une rencontre entre les jeunes et les personnes âgées, rencontre qui prend une plus grande importance en cette période de confinement. En créant un lien intergénérationnel, nous favorisons également un lien entre les enseignants, les élèves du secondaire, et le milieu des fablabs (dont il sera question un peu plus loin). Notre idée initiale était celle de sortir les personnes âgées de leur isolement en proposant aux jeunes de reconnecter avec leurs grands-parents. L’expérience commence avec un échange de lettres par correspondance, puis se poursuit avec la fabrication d’une « boite à hologramme », pour laquelle les élèves créent du contenu vidéo personnalisé, que ce soit un diaporama accompagné de musique, une performance, un stop-motion, une animation 2D ou tout autre type de production vidéo. Les élèves doivent partager un message, évoquer un souvenir ou, simplement, faire du bien à la personne âgée qui recevra cette boîte animée.
Nous avons donc pu observer, avec notre projet, la rencontre entre deux générations, soit celle de jeunes ayant entre 12 et 14 ans, et celle de personnes âgées (ici plus spécifiquement de femmes âgées entre 65 et 75 ans). Cet aspect apporte une dimension nouvelle en ce qui a trait à la transmission de la culture et au rapport au passé. En correspondant avec une personne qui a vécu la révolution sexuelle, les mouvements hippies ou encore, au Québec, l’expo 67 et le changement de rapport à la langue et à la religion, les élèves du secondaire ont grandement à apprendre. Le fait de devoir réfléchir à ce qui ferait plaisir à une personne en particulier, en se basant sur ses goûts et ses souvenirs, crée un rapport intime avec des fragments culturels bien uniques.
La cocréation, c’est l’idée de réaliser un projet en commun en se nourrissant d’échanges soutenus durant le processus créatif. C’est le fait d’allier les compétences en prônant la non-hiérarchisation des participants et des différents champs d’expertise. Il faut partager et être ouvert à la réalité des autres en allant au-delà des initiatives personnelles et en fusionnant les démarches. Il est important de noter qu’en réalisant des projets de cocréation, l’isolement disparait. En travaillant ensemble dans des espaces de travail collaboratif (contrairement au travail individuel), les créateurs peuvent socialiser et développer des affinités, et peuvent ainsi collaborer plus naturellement.
Nous avons tenté d’adopter en tout temps une approche cocréative, malgré les embûches que la situation de confinement nous a imposées. La constance de chaque coéquipière était ici la clé, afin d’apprivoiser de façon progressive la complexité du projet et favoriser l’évolution fluide de ce dernier. Nous avons mis nos idées en commun et avons maintenu des échanges actifs tout au long de la création. En identifiant les forces de chacune, nous avons divisé le travail également en prenant soin de garder une influence réciproque constante.
Il est indéniable que nous bénéficierions énormément de notre expérience de travail de cocréation dans notre carrière en enseignement. Allier des compétences différentes, des visions différentes, dans le but d’atteindre un objectif commun et des résultats incroyablement riches devrait être à la portée de tout enseignant. Que nous pensions aux différentes expériences, aux différentes matières et aux différents modes de travail qui habitent les enseignants du primaire et du secondaire; la cocréation entre actrices d’une même équipe-école ou entre actrices de divers milieux ne peut qu’être favorable au milieu éducatif.
Les fablabs sont des organisations qui opèrent des ateliers de fabrication numérique. Même si chaque fablab est unique, ce type d’organisation peut réunir des techniciens, des artistes, des programmeurs ou simplement, comme c’est le cas la plupart du temps, des citoyens qui désirent apprendre et partager leurs connaissances. Les usagers ont accès à des outils, à des logiciels libres et à des tutoriels de machinerie. Les fablabs agissent comme des laboratoires guidés par un engagement social, dans lesquels l’échange de connaissances, le travail collaboratif et l’accessibilité sont mis de l’avant afin de créer des projets novateurs. Ils permettent aussi à la communauté de réaliser des projets de nature citoyenne, durant lesquels les usagers sont encouragés à partager leurs connaissances avec les autres participants. Afin de soutenir leur mission de développement culturel et d’autonomie sociale, l’objectif des fablabs est la démocratisation de la technologie et des savoir-faire (Fablab Québec, s.d.; fabfoundation, 2020).
En débutant notre cours d’été, nous n’avions aucune idée de ce qu’est l’environnement particulier d’un fablab. C’est en rencontrant les collaborateurs de ce cours, les intervenants de l’équipe des services éducatifs de la BAnQ et du Square (BAnQ, s.d.; Fondation de BAnQ et Banque Nationale, s.d.), Mathieu Thuot-Dubé et Mathieu Laporte, que nous avons commencé à comprendre qu’est-ce qu’un fablab, et comment cette philosophie de partage et d’apprentissage par le faire nous rejoint.
Dans un fablab, il n’y a pas de limites, pas de barrières, pas de frontières. Tout est possible, ou presque. On apprend par essai-erreur, on développe des compétences en essayant les outils pour la première fois, et on défriche des voies inexplorées. C’est un peu ce que nous avons vécu nous-mêmes, avec la création du Projet Hologramme. Nous avons essayé des outils nouveaux, avons réfléchi à des solutions inventives à des problématiques sociales concrètes, et nous nous sommes appuyées l’une sur l’autre, avec nos compétences respectives, pour créer. La philosophie du fablab a teinté notre projet, et va sans aucun doute teinter notre façon d’enseigner dans le futur.
Nous provenons toutes de milieux différents, et avons parfois même un syndrome d’imposteur en étant inscrites en enseignement des arts, parce qu’il nous manque certaines compétences. La découverte de la philosophie du fablab nous a amenées à réaliser que le rôle de l’enseignant tel qu’on le voit traditionnellement n’est pas le plus approprié pour le développement de nouvelles compétences en lien avec les technologies. Le fablab nous a permis de constater que l’enseignant peut jouer un rôle de guide et médiateur dans un projet d’apprentissage, et non un rôle autoritaire qui implique qu’il est le détenteur et le transmetteur de la connaissance. L’enseignant peut découvrir avec ses élèves et apprendre avec eux. Il peut même apprendre de ses élèves, et ces derniers peuvent s’apprendre mutuellement.
Nous voyons de plus en plus d’articles, de témoignages et d’exemples concernant cette réflexion et cette remise en question du rôle traditionnel de l’enseignant. D’un autre côté, plusieurs enseignants se sentent démunis, voire handicapés, face aux nouvelles technologies qui apparaissent de manière exponentielle dans les classes. Ils sont quelquefois intimidés face à leurs élèves. L’évolution des connaissances technologiques des élèves est très rapide et ce n’est pas rare qu’ils en connaissent davantage que leur enseignant. Le fossé qui sépare l’enseignant de ses élèves est parfois important.
Avec ces difficultés et le matériel numérique souvent désuet dans les écoles, une ressource comme un fablab permet d’épauler les enseignants désirant trouver des projets qui touchent de près les jeunes, autant par les thèmes abordés que par les médiums utilisés. Les enseignants et élèves peuvent parfaire ensemble leurs connaissances dans les divers domaines technologiques et contribuer selon leurs forces respectives. L’utilisation des logiciels gratuits est avantageuse, car les élèves peuvent poursuivre leur travail créatif au-delà de la classe d’art s’ils ont le matériel disponible à la maison. Il est primordial que les jeunes de tous âges développent leur regard critique sur l’utilisation des médias de masse, et nous osons espérer qu’un telle pédagogie les amènera à se démarquer de manière créative et à produire du contenu unique sur les plateformes web.
Le Projet Hologramme nous a donc amenées à repenser l’enseignement par les initiatives du « team teaching », de l’enseignement collaboratif, et de la pédagogie par projets qu’il implique. Les projets basés sur des principes de non-hiérarchie et de collaboration comme ceux des écoles alternatives ou celui des Cercles d’auteurs, à la Commission scolaire des Hautes-Rivières (Cercles d’auteurs, 2020) nous démontrent de façon concrète que le rôle de l’enseignant est appelé à changer, et c’est pour le mieux. Aborder la pédagogie dans les fablabs nous pousse à tester ces nouvelles avenues.
Il est intéressant de se questionner sur la bonne façon d’enseigner la mécanique du fablab et l’approche par projet en tant que tel. Le format pédagogique du fablab s’apparente beaucoup à la pédagogie des écoles alternatives. Nous croyons que cette façon d’apprendre par projet est bénéfique pour l’élève entre autres, car elle propose autre chose que la simple expérience scolaire inflexible de l’école dite régulière. Tout comme au fablab, le programme pédagogique de l’école alternative utilise le modèle d’apprentissage par projet. Celui-ci sollicite non seulement la créativité de l’élève, mais l’engage aussi dans un parcours où il est maître de ses propres décisions. Il permet à l’élève d’exploiter des thèmes qui lui sont d’intérêt et lui permet de parfaire ses connaissances dans une matière qu’il connait déjà ou d’explorer de nouveaux sujets. Ainsi, l’approche par projet contribue au développement des compétences transversales et permet à l’élève de s’approprier la démarche d’apprentissage. Il s’implique lui-même dans une recherche et une réalisation personnelles, et ce, de façon autonome. Il acquiert des connaissances par l’expérience, la manipulation et l’action.
La pédagogie du projet n’est pas une activité supplémentaire au curriculum, mais bien la base de ce système. En plus de contribuer aux apprentissages individuels de l’élève, le développement d’un projet suscite la collaboration et la socialisation des apprenants qui utilisent une intelligence collective. Au fablab, c’est en cocréant et en utilisant les forces de chacun que les élèves apprennent. Les élèves qui travaillent en groupe développent des aptitudes collaboratives et non compétitives, en plus de cultiver un sentiment d’appartenance à un groupe. Ils se nourrissent des aptitudes et des découvertes des autres et développent des compétences d’ordres personnel et social.
Le Projet Hologramme nous a permis de développer un projet au goût du jour qui exploite les nouvelles technologies, tout en faisant le pont intergénérationnel et culturel entre les aînés et les adolescents. Cette cocréation nous a permis de mettre en lumière l’importance du travail d’équipe, en alliant nos forces et connaissances, pour offrir un projet « clé en main » constructif et éducatif pouvant être exploité par les enseignants désirant mettre sur pied un projet en fablab ou instaurer des pratiques plus alternatives en classe. Ce genre d’initiatives, encore largement sous-exploitées dans les écoles, seraient d’abord un bon moyen de diminuer le fossé technologique pouvant exister entre l’enseignant et ses élèves. Elles pourraient ensuite, en étant davantage explorées en milieu scolaire, constituer une très bonne porte d’entrée vers des pratiques enseignantes davantage flexibles où l’élève est mis de l’avant. Finalement, des expériences comme celle vécue avec le Projet Hologramme représentent une approche novatrice pour sensibiliser, promouvoir et favoriser une utilisation éthique des nouvelles technologies tout en mettant le travail collaboratif de l’avant. En mettant en commun les forces de chacun, il est possible mettre en place des projets différents et novateurs. Jeunes et âgés, enseignants et élèves, scientifiques et artistes, nous gagnons tous à cocréer, à collaborer, à évoluer sans limites ni frontières… comme dans un fablab.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). (s.d.). BanQ Éducation. https://education.banq.qc.ca/
Cercles d’auteurs. (2020). Les cercles d’auteurs. https://www.cerclesdauteurs.com/
Fablabs Québec. (s.d.). La charte des Fablabs. Dans Fablabs Québec. https://fablabs.quebec/?page_id=10
Fabfoundation. (2020). Getting started with Fab labs. Dans fabfoundation.
https://fabfoundation.org/getting-started/
Fondation de BanQ et Banque Nationale. (s.d.). Le Square. https://square.banq.qc.ca/
Laurendeau, E., Lapointe, L., Guerra Cruz,
Graphies – Cinéma d’animation au cœur de l’apprentissage de l’écriture
Dans un premier article paru dans Vision (Cinéma d’animation : au cœur du processus d’apprentissage de l’écriture), le projet Graphies a été décrit et son contexte de réalisation a été spécifié. Réalisé dans quatre écoles primaires avec des élèves de première année et quatre artistes professionnelles et deux pédagogues en art, il s’agit d’un projet d’éducation artistique qui explorait le cinéma d’animation à travers le processus d’apprentissage de l’écriture des élèves. Dans ce deuxième article, nous allons entrevoir comment le cinéma d’animation est un art qui fait appel à l’interdisciplinarité, c’est-à-dire à des croisements avec les arts plastiques. Nous verrons également que les lettres et les mots peuvent devenir matière plastique pour la création du mouvement.
Dans chacune des écoles, le projet était arrimé à la pratique de l’artiste impliquée, cependant les contenus d’apprentissage tournaient tous autour de l’écriture et du potentiel plastique des lettres pour créer le mouvement. L’expressivité des lettres à ce stade du développement graphique permet des possibilités de création de mouvements fascinants tant pour les élèves que pour les artistes. De plus, les lettres et les mots sont des éléments signifiants de leur cheminement scolaire et omniprésents dans l’environnement des enfants et dans la culture visuelle. Dès 1975, Max Kläger dans Letters Type and Pictures – Teaching Alphabets Through Art[1] parlait de la pertinence d’enseigner l’art visuel à travers les lettres et de permettre aux enfants de s’approprier autant la sémiotique des lettres agencées en mots que l’expressivité de leur graphie ou leur typographie. «[…] there are many ways in which the calligraphic and typographic sensibility of children may be awakened or sustained. […] Typography’s rich potential for encouraging creative thinking and learning process in school is clear.» (p.10) Lorsque les enfants commencent à écrire, ils tracent les lettres comme des motifs, des figures et les intègrent naturellement dans leurs dessins. Tout aussi naturellement, ils peuvent intégrer cette «sensibilité calligraphique et typographique» dans leurs expériences scolaires et esthétiques.
Les enfants ont joué avec le potentiel esthétique de la lettre, s’attachant davantage à sa fonction graphique et expressive qu’à sa fonction sémiotique. Par exemple, Catherine Lisi-Daoust, en préparant des pièces de carton découpé s’apparentant à la fois à des lettres et à des formes abstraites, jouait sur l’ambigüité de la fonction de la lettre. La lettre était ici prise par les enfants à la fois comme un symbole (pour écrire un mot) et comme une figure, un volume, une forme pour la composition d’un dessin. Se faisant, un espace de composition a été créé avec des pièces détachées qui peuvent se mouvoir dans l’espace à la fois comme des agencements sémiotiques (essayer d’écrire un mot) et des agencements esthétiques (créer une composition visuelle). Les pièces de carton étaient déplacées dans l’espace de la feuille et captées en photo par le logiciel Stop Motion Studio pour créer unGIF animé. Dans le même sens, dans le projet de Marie Valade, afin de créer un folioscope ou une animation avec praxinoscope, l’élève devait choisir une lettre qu’il allait métamorphoser. Cet élément graphique était le point de départ expressif pour stimuler l’apprentissage de la construction d’un mouvement. La lettre ne demeurait donc pas attachée à son sens, mais se métamorphosait en toutes sortes de lignes, de points, de motifs.
Les premières expériences d’écriture, souvent avant la période scolaire, poussent les enfants à l’utiliser comme un dessin et lui donner des formes d’animaux ou de bonshommes. «Letters tend to be experienced as structures possessing animistic and magical qualities.» (Kläger, p. 9). Cette démarche est proche de l’animation. L’enfant joue intuitivement avec le potentiel de métamorphose de la lettre. C’est ainsi que dans les projets d’Éléonore Goldberg, de Marie Valade et de Carol-Ann Belzil-Normand, les lettres sont devenues des personnages. Dans le cas de Belzil-Normand, ce sont les cures-pipes qui ont modulé une lettre-personnage qui performait dans un décor de jungle et dont les membres étaient articulés. Avec Goldberg et Valade, les lettres apparaissaient, bougeaient, sautaient, dansaient dans l’espace de la feuille, cela leur donnait un aspect vivant, animé, qu’il soit de l’ordre de l’animal ou de l’humain. Donner un caractère vivant à la lettre permettait aux enfants de comprendre les étapes de la construction du mouvement. La lettre devenait ainsi un matériau de création. Le Centre Pompidou consacre un dossier entier sur son site Internet à la lettre dans l’art (http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Lettre_image/). Il y est indiqué que la lettre devient pour les artistes contemporains une matière brute : «Les artistes, par leur culture visuelle et leur pouvoir d’interroger ou de montrer le monde, ouvrent de nouveaux espaces où ils n’habillent plus la lettre, mais la prennent telle qu’elle est, comme un matériau plastique.»
Dans Graphies, le potentiel de métamorphose des lettres a été déployé à travers la matérialité des arts plastiques. D’une part, les matériaux spécifiques à cette discipline contiennent une malléabilité favorable à la manipulation propre au mouvement en animation. D’autre part, les techniques du dessin ou de la peinture construisent un mouvement qui peut être fluide, saccadé, hachuré, effacé, accidentel. Le plasticien Patrick Barrès dans son livre Le cinéma d’animation : Un cinéma d’expériences plastiques (2007) explique que le cinéma d’animation contemporain se lie intrinsèquement aux arts plastiques. «Le film libère des vibrations, des scintillements, des oscillations qui traduisent la fulgurance des traits et le jeté des touches de couleurs, le tremblement des contours, le libre jeu du dessin qui ne cherchent pas nécessairement […] à gagner les bords et à composer une image mais à instruire de ses marques, de ses repentirs. » (p. 73) La fragilité et le caractère parfois accidentel ou maladroit des traits des enfants qui commencent à tracer leurs lettres contiennent des potentialités expressives qui se prêtent très bien à la construction du mouvement.
Dans le projet avec Éléonore Goldberg, les élèves ont utilisé plusieurs matériaux différents pour dessiner ou peindre : fusain, aquarelle, pastel, feutre. Centrée sur l’animation par le dessin, Goldberg leur a fait travailler les potentiels de l’effacement des matériaux. Une lettre était dessinée une première fois sur une feuille, puis effacée, puis redessinée un peu plus loin sur la feuille, et ainsi de suite, tout en transformant la forme de la lettre d’un dessin à l’autre. Les traces laissées par le fusain contribuaient à créer l’impression du mouvement et ajoutaient au caractère expressif de l’animation. Dans le cas de l’aquarelle, bien que ce matériau ne soit pas effaçable, les lignes et les volumes réalisés avec ce médium sont malléables, transformables : on peut les grossir, les changer de couleurs, effacer un volume en y ajoutant une autre couleur. Toute cette flexibilité plastique permise par les matériaux facilite la compréhension de la construction du mouvement et permet une créativité qui s’intègre naturellement à l’animation.
Dans le projet avec Catherine Lisi-Daoust, les élèves ont dessiné des animaux en mouvement dans le sucre. Les lignes et volumes qui composaient les animaux étaient facilement manipulables en traçant de nouveaux traits et points dans la matière. La même chose a été explorée dans le projet de Valade : dans leur déplacement et métamorphose, des mots en pâte à modeler réussissaient à exprimer des onomatopées rigolotes. Le projet a donc aussi sollicité les contenus d’apprentissage propres aux arts plastiques, intégrant l’interdisciplinarité. Le cinéma d’animation a aussi permis aux enfants de travailler sur l’organisation spatiale et temporelle et de jouer avec la multimodalité (lettres, mots, images fixes, images animées, son).
En croisant usages des technologies, manipulation de la matière et cinéma d’animation, ce projet avait pour intention de stimuler l’imaginaire des élèves et de contribuer au développement de leur littératie visuelle et numérique. L’éducation cinématographique est une avenue signifiante pour permettre aux enfants d’aiguiser leur regard critique à la fois sur la surabondance de productions audiovisuelles commerciales et sur le monde qui les entoure. Vue une accessibilité limitée au cinéma d’auteur pour les jeunes publics, Bouchard (2017) explique l’importance d’un meilleur financement de l’éducation cinématographique à l’école : «La sensibilisation à ce type de films doit impérativement se faire dans un cadre éducatif, et ce, dès le plus jeune âge.» (p. 9). Des programmes comme celui du CALQ qui soutiennent des projets de rencontre entre les cinéastes actuels émergents et les élèves comme Graphies doivent continuer d’exister et être bonifiés.
Le cinéma d’animation a fait de leurs expériences quotidiennes d’apprentissage des espaces d’exploration esthétique qui valorisent l’importance de l’écriture et a permis un usage créatif des technologies numériques. Certains des élèves participants créent maintenant leurs propres folioscopes. Des parents et certains enseignants souhaitent installer l’application Stop Motion Studio sur leur téléphone portable ou tablette à la maison ou à l’école. Des élèves se sont inspirés des animations créées en atelier pour développer de nouvelles situations d’écriture. Ce projet démontre à nouveau l’importance d’intégrer davantage les arts à l’école.
Hyperliens
Vers les films d’animation réalisés par les artistes: http://centreturbine.org/projet/graphies
Dossier «De la lettre à l’image – Un choix d’œuvres dans la collection du musée» (Centre Pompidou, 2012) : http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Lettre_image/
PDF «De la lettre à l’image – Une exposition-atelier» (Centre Pompidou) : http://mediation.centrepompidou.fr/itinerance/fr/03_de_la_lettre.pdf
Barrès, Patrick. (2007). Le cinéma d’animation: un cinéma d’expériences plastiques (L’Harmattan). Paris.
Bouchard, F. 2017. Renouvellement de la politique culturelle québécoise : Le consensus. Ciné-Bulles (Dossier Éducation cinématographique), 35(3), p. 9-11
Klager, M. (1975). Letters type and pictures – Teaching alphabets through art. New York : Van Nostrand Reinhold.
[1] C’est Yves Amyot, pédagogue en art et directeur du centre Turbine, qui avait porté à mon attention le livre de Max Kläger aux premiers moments de conception du projet, nommé dans sa version initiale Cacographie et réalisé pour la première fois avec l’artiste Marie Valade dans une école de Verdun, en 2015.
Compte-rendu de l’InSEA 2017 en Corée du Sud
L’été dernier, 1102 passionnés de l’enseignement des arts, originaires de 42 pays[1], ont participé au 35e congrès mondial de la Société internationale d’éducation par l’art (InSEA[2]) en Corée du Sud. Ce moment privilégié de ressourcement, de diffusion de la recherche et de développement professionnel a permis de porter un regard planétaire sur les enjeux de l’heure dans le domaine. L’événement tenu dans la ville de Daegu (du 7 au 11 août) avait pour thème : Spirit ∞ Art ∞ Digital. (suite…)