Animer avec l’outil image

par Lyne Legault

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Lyne Legault

Professeure en sciences éducatives

Biographie

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    Cet article traite de l’utilisation de l’objet-image pour faciliter la réflexion en groupe.  Comment faire pour connaître  la perception d’un grand nombre d’individus en moins de trente minutes ?

    Mise en situation

    Imaginez cette mise en scène : c’est la rentrée scolaire à la fin du mois d’août. Les membres du personnel enseignant de deux écoles d’une petite communauté s’affairent à préparer leur salle de classe, les concierges s’occupent de l’entretien de l’école, les directeurs d’établissement sont préoccupés par le manque de personnel, les membres aguerris du personnel accueillent les nouveaux et leur font visiter leur école respective. Quelques minutes avant l’heure du dîner, les directeurs d’établissement annoncent à l’aide du système interphone que tout le personnel des deux écoles devra se présenter au gymnase de la plus grande école, dès 13 heures. Entretemps, plus de 70 chaises sont disposées en demi-cercle dans le gymnase, un microphone et un écran/projecteur/ordinateur sont branchés et fonctionnels. Des tables longues longent deux murs parallèles de la salle; des centaines d’images les recouvrent. Sur chaque chaise reposent un trombone et une feuille de papier vierge.

    L’outil de travail de réflexion privilégié par les intervenantes prend la forme d’images. Celles-ci sont des découpures d’images de toutes sortes prises dans des revues, magazines, mensuels divers.  Ces découpures peuvent parfois contenir un ou des mots imprimés, car imbriqués sur l’image. Une attention particulière est accordée au moment des coupures afin d’éliminer tout contexte de l’illustration. Les images disponibles, fonctionnelles et statiques, peuvent évoquer une variété d’événements, d’objets, de paysages, de visages, des canons de la beauté, des graphiques, bref, tout ce que l’on retrouve dans le monde de l’imprimerie et de la publicité. Les images peuvent avoir été créées dans un but artistique ou d’expression libre.

    L’intention consiste à recueillir la perception de « leur vision de l’école » et pour ce faire, tous les participants sont invités, dans un premier temps, à choisir une ou des images étalées en vrac sur de grandes tables et, de retour à leur place, ils sont conviés à rédiger un texte pour accompagner et exprimer par écrit leur sélection d’images et leurs pensées.

    Qu’est-ce que la perception ?

    À l’instar du message publicitaire dont les partisans croient aux qualités esthético-perceptives du message (Saint-Hilaire, 1997), l’image stimule le système perceptif du récepteur et peut émouvoir ce dernier par ses qualités esthétiques.  La phase de réception des stimulations sensorielles, dans ce cas-ci, la vue et ce qui se dégage de l’illustration, permet à celui qui regarde, le regardeur, de porter une attention particulière à la tâche demandée, d’identifier et de sélectionner ce qui correspond le mieux à la commande qui est de définir un concept abstrait et personnel,  la vision de l’école. Regarder une image devient un processus activateur spécifique qui aide à développer ou à déclencher le message potentiel intériorisé.  Le vécu, les connaissances antérieures du regardeur surgissent au dépouillement des images qui lui sont proposées librement.  Une association se produit entre le stimulus visuel et le message qui en découle.  Le regardeur, engagé dans sa tâche, semble être attiré par une forme visuelle et celle-ci détermine son choix d’images.

    La prise de l’information dépend de l’attention portée aux stimuli.  Levine (2003) parle de l’attention de la façon suivante « … qu’inconsciemment, mais avec une vertueuse persistance, l’attention inspecte tous les candidats à l’admission au cerveau, filtre et rejette ce qu’elle juge inintéressant, accueille dans le champ de la conscience un nombre restreint de stimuli triés sur le volet, puis invite les éléments les plus pertinents et les plus informatifs parmi ces choix à pénétrer suffisamment profondément pour être compris ou mémorisés, ou encore pour être utilisés immédiatement ». (p. 86)

    La perception consiste à organiser toutes les informations prises au cours de la phase de sélection de l’image et à en constituer un sens détaillé sous forme sémantique, le regardeur y associe le code linguistique.  L’activité perceptive dans l’utilisation de l’image dépend du registre de traitement de cette image.  Il y a la perception visuelle qui permet d’en saisir les caractéristiques spatiales.  En effet, le registre de traitement peut se retrouver au niveau de la description de l’image : ce qui se situe à gauche, à droite, l’intensité, la netteté des traits, la richesse en détails, la clarté, la vivacité que l’on retrouve dans l’image. Le regardeur porte une attention sélective à l’image; « la sélectivité est une propriété inhérente de l’attention humaine » (Denis, p. 159).

    Un autre registre de traitement réside dans l’interprétation de l’image, une activité subjective, appuyée par des mots.  L’image communique un message particulier au regardeur de par le sentiment éprouvé en sa présence.  Selon Paivio (1971) : l’image n’est pas le lieu, mais l’un des lieux, de la signification.  Cité dans Denis, page 104.

    Qu’est-ce que l’image?

    Le mot image vient du latin « imogo, imaginis » qui signifie, parmi les divers sens proposés « qui prend la place de » selon Cossette (1984). Nous pouvons avancer que les images présentées sous forme de surface plane et sur support de papier, statique, prennent la forme d’objets.   Ces représentations peuvent être touchées et manipulées; ce sont des objets-images (Tisseron, 1999). Or, cela n’exclut pas l’image mentale et le sens qui se créent lorsque le regardeur prête une attention particulière à l’image statique en cherchant à représenter un concept.

    Les objets-images sont des outils de communication que les individus utilisent pour penser et communiquer tel que le ferait la communication langagière. « L’image est un système de signes, au même titre que la langue parlée ou écrite; c’est un code utilisant des signes visuels dont la signification est motivée par la ressemblance du signe avec son référent » (Saint-Hilaire, 1997, p. 24).  Le référent est le réel dont il est question lorsqu’on utilise un signe.  L’image visuelle d’un objet ne reflète pas toute la connaissance attachée à cet objet, mais seulement les connaissances relatives à son aspect figuratif (Denis, 1989).  L’image risque d’être perçue comme étant représentative d’une réalité ou encore comme une allégorie du réel, mais c’est avant tout un outil de communication, un code visuel.  « L’image fonctionnelle est une image conçue selon un code, conscient ou intuitif, et portée sur un support physique dans l’intention de communiquer une information déterminée. » (Cossette, 1982. p.64).

    Le concept de « vision de l’école », de prime abord, prend le participant au dépourvu, car dans l’arborescence complexe des sens possibles, des avenues à explorer et à exprimer, comment accordera-t-il une importance à une pensée plutôt qu’à une autre ?  La mise en éveil d’une actualisation conceptuelle et la recherche d’une image figurative ou fonctionnelle soutiennent et alimentent la réflexion du participant.  Balayer du regard les images disposées sur les tables, être attiré par une image plutôt qu’une autre, la sélectionner ou la mettre de côté, trouver une résonance entre l’image et la pensée exigent une instanciation cognitive particulière, spatiotemporelle.

    La valeur de l’image est tributaire de la richesse du concept y correspondant et de son interprétation, d’où son utilité comme processus de réflexion.  La relation entre l’individu et l’objet est un processus d’interactions entre l’individu et l’objet.  Il y a une opération interne ou psychique qui se produit au cours de cet acte (Blandin, 2002).

    Utiliser l’objet-image pourrait être un processus activateur qui aide à développer ou à faire revenir à la surface l’intention que le participant cherche à exprimer.  Par exemple : celui-ci a comme intention d’illustrer ce message : ma vision de l’école est « là où on travaille bien ensemble ».  Dans les minutes qui suivent, le participant part à la quête de la représentation visuelle de ce message sous une forme figurative la plus proche possible de sa volonté.  Il est plausible qu’une illustration puisse faire surgir le message qui n’avait pas encore été formulé de façon claire au niveau de la conscience du participant.  Une intention indéfinie prend forme peu à peu en dépouillant un inventaire d’images disponibles.  Une fois que le sujet a trouvé l’image qui résonne ou qui l’interpelle, l’objet-image prend tout son sens.  Et ce sens se distingue souvent de l’intention première du participant, l’amenant à saisir une partie inconsciente du message.

    Cette image, porteuse de sens, s’interprète par le code linguistique.  En effet, la structure sémantique du langage permet d’appuyer le concept ou l’idée activée au moment de la recherche d’une réponse encore imprécise ou émergente lors de la demande ou la tâche faite dans l’immédiat.  Dans le deuxième volet de l’animation de l’activité, chaque individu est invité à élaborer ou à formuler sa pensée par écrit afin de préciser le sens qui se dégage de l’image choisie. Les mots, les phrases, les métaphores sont d’autres moyens qui donnent un sens au message. L’image permet de construire et de dégager le sens que le sujet cherche à exprimer et à définir.

    Analyses

    L’emploi d’un objet tel qu’une découpure illustrée, est la forme prise par l’action d’animation et de recherche dont la finalité est d’obtenir des connaissances.  Blandin (2002) amène le concept de l’objet médiateur ; l’objet occupe une place dans les relations entre les humains, ainsi qu’entre les humains et le monde.  L’objet utilisé devient un instrument qui permet l’assimilation de l’expérience humaine, qui agit comme fonction de mémoire externe et facilite le déroulement de l’action.

    La finalité de l’utilisation de l’objet-image réside dans l’analyse et la synthèse que l’on dégage des produits de partage et de réflexion des participants. Nous nous retrouvons avec deux éléments : une illustration et un texte.  L’analyse des phrases ou énoncés en isolation, sans les associer avec l’image, permet de repérer des réflexions qui se recoupent, d’autres qui semblent plus singulières.   L’étude d’une image, sans y associer l’énoncé l’accompagnant, représente une tâche plus complexe au niveau de l’analyse et de la catégorisation.

    L’analyse des données portant sur la vision de l’école du milieu visé a permis de cerner 5 grands thèmes ou catégories de perception soit : le niveau de collaboration entre les intervenants; la présence de la culture et la nature à l’école; l’école un lieu d’apprentissage; l’école au service des élèves et de voir à leur avenir; les craintes et les mécontentements dans le milieu scolaire.

    En effet, le compte des mots se décline de la façon suivante :

    101 mots se rapportent à l’apprentissage; 366 traitent de la collaboration entre les professionnels de l’éducation de tous niveaux; 403 mots touchent les élèves ou les jeunes; 510 sont en relation avec la culture et la nature et 584 font état des craintes et du mécontentement.

    L’image a servi d’objet de médiation entre la pensée et l’écrit dans les perceptions identifiées et dans la réflexion qui a suivi. L’image a agi aussi comme contenant de la vision de l’école. Le constat est clair : l’image comme outil d’animation et d’analyse est disponible dans tous les environnements; elle reflète les langages de chaque personne dans un contexte ludique et convivial, en plus d’être efficiente dans l’atteinte de certains objectifs.

    Dans le souci de pouvoir répondre à vos questions ou afin de recevoir vos commentaires, vous pouvez communiquer par courriel avec l’une ou l’autre des auteures (prénom.nom uqat.ca)

    Références

    Blandin, B. (2002). La construction du social par les objets. Paris : Presses universitaires de France.

    Cossette, C. (1984). Les images démaquillées. Éditions Riguil Internationales, Cap-Rouge.

    Denis, M. (1989). Image et cognition. Presses Universitaires de France. Paris.

    Levine, M. (2003). À chacun sa façon d’apprendre. Éditions Ada, Inc., Varennes.

    Paivio, A. (1979). Imagery and Verbal Processes. Lawrence Erlbaum Associates, Inc. New Jersey.

    Saint-Hilaire, L. (1997). Comment faire des images qui parlent. Les Éditions Transcontinental. Québec.

    Saint-Hilaire, L. (2005). Comment faire des images qui vendent. Les Éditions Transcontinental. Québec.

    Sternberg, R.J. (2007). Manuel de psychologie cognitive- Du laboratoire à la vie quotidienne. DeBoeck, Bruxelles.

    Tisseron, S. (1995). Psychanalyse de l’Image. De l’imago aux images virtuelles. Dunod. Paris.

    Tisseron, S. (1999).  Comment l’esprit vient aux objets. Aubier. Paris.

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