Regard sur une expérience en transmission de l’art dans un contexte autochtone

par Diane Laurier

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Diane Laurier

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Biographie

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Première partie  : la préparation

Cet article est le premier d’une série de trois portant sur l’expérience de la mise sur pied d’activités artistiques destinées aux jeunes de la communauté d’Uashat Mak Mani-Utenam (ITUM). Ultérieurement, ces activités seront intégrées à un programme pilote d’art et de culture autochtone adressé aux jeunes des communautés partenaires du projet de recherche  : « La création et la concertation comme leviers de développement des individus et des communautés autochtones[i] ».

Devant l’intérêt général que suscite la question autochtone, avec toutes les incompréhensions basées sur des représentations confuses où se côtoient le folklore et les jugements de valeur à l’emporte-pièce, c’est en toute liberté et par une démarche narrative que je livre ici ma compréhension des choses.

Le contexte

En 2010, j’ai rejoint les activités du groupe Design et culture matérielle[ii] (Kaine et al., 2010), qui œuvre depuis trois décennies à l’élaboration de stratégies créatrices comme vecteur de mieux-être pour les peuples des Premières Nations. La création s’étend à d’autres domaines disciplinaires que celui initial du design de l’objet pour y inclure le cinéma et les arts visuels comme disciplines d’investigation des pratiques créatrices. Le postulat de base du projet de recherche est que le degré avec lequel les communautés autochtones sont engagées dans les pratiques collectives de réhabilitation et de transmission de leur culture est déterminant pour leur niveau de qualité de vie. En ce sens, il importe de miser sur les forces vives des communautés ainsi que sur leur capacité d’innover et de considérer l’individu comme acteur de son propre développement, de même que celui de sa communauté. Les objectifs que renferme ce projet de recherche sont de trois ordres : « favoriser le développement créatif des individus, la prise en charge du développement par la communauté et la valorisation des cultures autochtones » (Kaine et al., p. 34).

Mon mandat

Au bout des cinq années prévues pour la réalisation de ce programme de recherche, l’idée est qu’un programme d’enseignement créatif intergénérationnel visant le mieux-être des jeunes puisse voir le jour, ceci en les valorisant par l’expression artistique.

Devant la tâche à accomplir, je dois avouer que je suis prise d’un certain vertige à l’idée du travail colossal et de la responsabilité qui m’incombe. Comment m’y prendre en sachant par expérience que les ressources humaines et financières sont limitées? Il y a en plus cette distance à franchir avant d’arriver chez l’autre, cet être à la culture si différente de la mienne…

Mais œuvrer avec les communautés autochtones, c’est accueillir le nomade qui sommeille en soi. La longue route à parcourir entre le chez-soi à soi et le chez-soi de l’autre provoque le décalage nécessaire rendant possible la modification des perceptions et des repères culturels.

Alternant entre un état de ravissement et un état d’incomplétude, je tergiverse un certain temps avant de me lancer dans l’aventure. La première étape, celle de la préparation à la réalisation des activités artistiques, est celle où la réflexion, la consultation et la concertation sont hautement sollicitées. La seconde sera celle de l’action et la troisième, celle de l’évaluation. Chacune d’elles fera l’objet d’un témoignage au sein de la présente revue[iii].

La réflexion a commencé par une introspection afin de me remémorer les actions antérieures menées auprès des communautés autochtones.

Le premier contact

En fait, mon intérêt pour l’enseignement des arts plastiques dans un contexte autochtone débute bien avant ce projet de recherche. À la fin des années 80, alors que je suis fraîchement sortie de mes études à la maîtrise, l’occasion m’est donnée d’enseigner aux titulaires de deux communautés autochtones.

Dès que je pose le pied dans la réserve, je perds mes points de repère. Cette première rencontre avec l’autre me fait découvrir un monde qui m’était, jusqu’alors, inconnu. De la consternation à la curiosité, en passant par la fascination, mes apprentissages les plus déterminants sont liés à la conception du temps et aux importantes différences qui peuvent exister entre nos codes distinctifs de communication.

La préparation

Octobre 2010. En vue de réaliser le projet, je débute par l’étude de ce qui a été écrit sur l’art autochtone, sur les modes d’apprentissage holistique (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2007) et sur les processus de transmission chez les peuples des Premières Nations. Je me remémore également mon expérience en enseignement des arts dans un contexte autochtone avec le projet Expression de la culture matérielle par le biais d’une banque de données interactives à vocation éducative[iv]. Tout y passe : les difficultés, les défis, les réussites et les échecs.

La première rencontre avec nos partenaires de l’Alliance de recherche universités-communautés m’éclaire sur les actions à privilégier, mais surtout sur la manière dont elles doivent être menées.

Ici, il s’agit de travailler en concertation avec les ressources présentes dans les communautés et de créer des liens entre les établissements, par exemple l’école et le musée. Travailler en concertation, c’est mener le projet avec l’autre, qu’il soit enseignant, intervenant, élève ou directeur. Aussi, c’est viser de façon ultime l’autonomisation des êtres; cela demande de déléguer et de faire confiance. Finalement, être une « Blanche » au pays des « Rouges », c’est sortir de sa zone de confort et accepter le rôle d’étrangère. La solution réside dans le changement de mentalité et l’ouverture à l’expérience de l’autre. Si « comprendre, c’est perdre un peu de soi et prendre un peu de l’autre[v] », j’accepte d’inscrire ma démarche dans cette perspective.

Septembre 2011. Nous rencontrons nos partenaires innus d’Uashat Mak-Maliotenam, une communauté située à Sept-Îles. Le comité restreint qui vise la mise sur pied du projet pilote d’arts et de culture à initier dans les écoles est composé de : Yvette Michel,  directrice de l’éducation au secteur administratif de l’ITUM; Évelyne St-Onge, conseillère au conseil de bande et représentante des secteurs du développement communautaire, de l’éducation et de la culture au secteur politique; Denis Bellemare, codirecteur de l’ARUC, et moi-même (M. Bellemare et moi sommes tous les deux professeurs au Département des arts et lettres de l’UQAC).

Nos premières discussions se situent en amont de la conception du projet pilote et touchent une question fondamentale : de quelles cultures parlons-nous lorsqu’il est question des cultures autochtones?

Au-delà de l’identification des éléments constitutifs de ces cultures, le débat se situe entre une culture traditionnelle qui se perd et une culture novatrice actuelle qui s’émancipe. Dans le cas de la culture traditionnelle, on fait allusion à la langue qui est de moins en moins parlée par les enfants, à la confection d’objets issus de la culture matérielle comme les raquettes ou les mocassins, aux mœurs et coutumes liées au rapport privilégié entretenu avec la terre (par exemple en allant séjourner périodiquement dans les bois pour chasser et pêcher), etc. Dans le cas des cultures novatrices et actuelles, il est question de l’engouement pour l’émergence de nombreux artisans concepteurs de nouveaux objets, d’artistes en arts visuels, d’auteurs-compositeurs-interprètes, de cinéastes, de danseurs, de poètes, etc. Ceux-ci puisent à même leurs réservoirs culturels ancestraux pour renouveler le genre et faire renaître leurs cultures sous une forme métamorphosée. Les cultures deviennent vivantes, ressuscitées, réincarnées. Parce qu’ils s’inscrivent dans le « ici et le maintenant », ces artistes deviennent des modèles et sont porteurs d’espoir. Que privilégier, alors? Faire la promotion de cultures où l’autochtone puise ses racines ou celles où il affirme son identité par des créations innovantes?

Toutefois, je crois comprendre que derrière ce débat, il s’en cache un autre, encore plus déchirant: celui où les territoires de l’éducation et de la culture s’affrontent. Choisir la culture, c’est se marginaliser pour reprendre contact avec l’essentiel : la terre, les modes de vie nomades, des conceptions du monde où le caractère symbolique de la vie se manifeste en toute chose.

Comment faire? Comment s’y prendre? Après ces rencontres, j’assiste au colloque de l’Association québécoise des éducatrices et éducateurs spécialisés en arts plastiques (AQUÉSAP). Je cherche un moyen pour que les jeunes autochtones puissent transmettre des éléments de leur culture et pour qu’ils puissent créer en se basant sur ces mêmes éléments. J’assiste à une présentation d’Andrée-Caroline Boucher et d’Yves Lemay, tous les deux conseillers pédagogiques du Service national du Récit dans le domaine des arts. Il s’agit du projet TRASS, un site qui propose aux élèves de créer en réseau partout au Québec par la réalisation de balados (pour de plus amples renseignements, consultez le site trass.qc.ca). Lors d’une rencontre subséquente, je présente le site aux membres du comité restreint qui acceptent avec enthousiasme l’idée.

Ensemble, nous développons un plan de travail au sein duquel nous insérons une activité de sensibilisation aux techniques et procédés en arts plastiques employés par les élèves du primaire et du secondaire. Les deux femmes autochtones qui m’accompagneront dans la réalisation du projet, Anne-Marie André, enseignante de la langue innue à la retraite, et Évelyne St-Onge, ne les connaissent pas. Lorsque je leur parle des journées offertes par la maison Brault & Bouthillier, une entreprise montréalaise de fournitures scolaires comportant une importante section de matériel d’arts plastiques, elles sont séduites à l’idée d’y assister. Là, entre les gestes posés et la manipulation du matériel, la parole naît, fluide et naturellement agissante. Anne-Marie me raconte à plusieurs reprises des légendes innues. Plusieurs bribes de phrases énoncées çà et là révèlent toute la richesse d’une pensée symbolique opérante au quotidien. Si la parole se fait souveraine, l’image l’est aussi. L’application avec laquelle elles inscrivent toutes les deux des gestes dans la matière dépasse le jeu : l’image naissante n’est pas gratuite ou accidentelle; elle fait référence à leur histoire, à leurs coutumes et à leurs mœurs.

Bientôt, je me rendrai à Uashat pour collaborer à la réalisation de balados faits par les élèves. Le prochain article témoignera cette partie de l’aventure.

[i] Ce projet de recherche est subventionné par le programme de recherche Alliances de recherche universités–communautés (ARUC, 2010) relevant du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).

[ii] Le groupe de recherche Design et culture matérielle (DCM) œuvre depuis 1992 auprès des peuples minoritaires en perte d’identité. Formé de chercheurs de l’Université du Québec à Chicoutimi et de l’Université de Montréal, il tente de concevoir des stratégies novatrices liant développement individuel et développement communautaire afin de favoriser le développement créatif des individus, la prise en charge du développement par la communauté et la valorisation des cultures autochtones. (Kaine, De Conninck et Bellemare (2010). (6)

[iii] Bien que le projet pilote d’arts et de culture autochtones concerne l’ensemble des communautés partenaires du projet de recherche, seules les actions menées dans la communauté d’Uashat Mak-Maliotenam feront l’objet des trois articles.

[iv] Ce projet de recherche a eu lieu de 2008 à 2009. Il a été financé par Patrimoine canadien : Fonds des partenariats.

[v] Ces paroles ont été énoncées  par Pierre Paillé, professeur à l’Université de Sherbrooke.

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