VIVRE SON ENSEIGNEMENT COMME UN TRAVAIL DE CRÉATION

Entrevue avec Pierre Gosselin

par Daniel Charest

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Daniel Charest

Professeur à l'école des arts visuels et médiatiques, UQAM

Biographie

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Au début de son parcours, Pierre Gosselin s’est engagé dans une pratique artistique qu’il a poursuivie pendant une dizaine d’années. Parallèlement, il a été chargé de cours à l’UQAC en arts et en enseignement des arts. Son intérêt croissant pour la formation à l’enseignement des arts l’amène plus tard à poursuivre des études doctorales en didactique. Entre temps il devient professeur de didactique des arts à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke où il enseignera pendant dix ans. La Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal lui décerne en 1991 le prix Jeanne-Grégoire pour sa thèse intitulée Un modèle de la dynamique du cours optimal d’arts plastiques au secondaire.

Depuis 1998, il est professeur à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM. Ses travaux de recherche en enseignement des arts l’ont amené à développer une représentation de la dynamique de création qui a servi à définir la démarche artistique dans les programmes d’arts actuels. Il est membre de l’AQESAP depuis plus de 30 ans. Il s’y est impliqué de diverses façons et notamment en tant que membre du Conseil d’orientation. À l’automne 2009, l’AQESAP lui a décerné la médaille de l’association pour sa contribution à la cause de l’enseignement des arts.

Les spécialistes en arts plastiques ont parfois des parcours atypiques. Devient-on prof. d’arts plastiques pour l’art, par vocation, par mission ? Est-ce qu’un enseignant, à la base, est un artiste ou un pédagogue ? Se définit-il plutôt comme artiste-enseignant ou enseignant-artiste ?  Pierre Gosselin nous propose un chemin de pensée.

Pierre Gosselin, professeur à l’UQAM, d’où vous est venue l’idée d’enseigner ?

Quand j’étais jeune, je ne m’imaginais pas que je deviendrais enseignant. En fait, je me destinais davantage à un parcours d’artiste qu’à un parcours d’enseignant. J’ai commencé ma production artistique vers vingt et un ans tout en poursuivant mes études. J’avais des filiations dans le réseau de l’art et, une fois ma maîtrise en arts plastiques complétée, je me destinais à la pratique artistique. Mais j’avais également besoin de lieux d’interaction avec les autres et le cheminement de l’artiste en arts visuels se fait pour une grande part de façon solitaire. Je suis devenu chargé de cours à l’UQAC de 1976 à 1987 d’une part parce qu’il me fallait vivre, mais aussi parce que j’avais besoin d’un rapport aux autres différent de celui que la pratique artistique m’offrait. J’ai commencé par enseigner la sculpture et le dessin et peu à peu, je me suis mis à m’intéresser à la didactique.

Au bout d’un certain temps, la personne qui dirigeait le module des arts m’a demandé de développer un cours de didactique à l’intention des étudiants du baccalauréat en enseignement des arts. C’est à cette époque, vers 1980, que j’ai commencé à fréquenter l’AQESAP, des personnes dynamiques, pleines de ressources et de projets. Je me rappelle la conférence d’ouverture d’une personne exceptionnelle lors d’un congrès dont l’influence fut d’une grande importance et qui allait m’inspirer dans mes travaux. Je parle d’Hélène Gagné, une personne sensible et érudite à la fois et dont la pensée philosophique allait contribuer à l’élaboration des programmes d’enseignement des arts au début des années 1980.

Je crois bien qu’un virage s’est effectué en moi à ce moment-là; je réalisais que ce qui m’intéressait en arts était l’idée de construction, et notamment de construction de soi et cette idée allait concilier l’artiste et le pédagogue en moi.

Parlez-nous de cette idée d’auto-construction par les arts ?

Plusieurs enseignants en arts ont connu cette expérience : la pratique artistique permet de « se ramasser » pour ainsi dire, de se centrer, de se saisir et cela procure un bien-être, bien que cette saisie de soi-même ne soit jamais totale. Plusieurs personnes pensent encore aujourd’hui que le principal bienfait des arts plastiques est de permettre l’expression. Mais la compréhension de l’apport des arts plastiques évolue. On en vient progressivement à comprendre, dans l’esprit du constructivisme notamment, que la pratique des arts ne permet pas seulement de s’exprimer, mais qu’elle permet de se construire, de réaliser son plein potentiel. Paul Valéry est pour une grande part à l’origine de cette idée. Il fait dire à l’architecte Eupalinos (dans Eupalinos ou L’architecte) « Je crois bien qu’à force d’avoir tant construit, j’ai fini par me construire moi-même. » On construit pour se construire. Quand on réalise qu’une discipline permet de se construire, on a comme réflexe de proposer ça à nos élèves pour qu’ils en bénéficient, pour qu’ils connaissent une belle opportunité de se réaliser. Certains enseignants m’ont déjà dit « les arts m’ont sauvé la vie. » Pour plusieurs adolescents, les arts représentent une bouée de sauvetage.

Qu’en est-il du concept de constructivisme dans la réforme en éducation ?

La réforme n’a pas bonne presse. Je pense que c’est surtout parce qu’on l’a imposée abruptement, parce qu’on ne l’a pas amenée en douceur. Il faut regarder le contexte, les paramètres du système d’éducation actuel. C’est assez lourd comme machine. Et pour apporter des changements en profondeur, il faut du temps. Mais l’arrivée du nouveau paradigme dont se réclame la réforme ne devrait pas bouleverser nos pratiques en enseignement des arts plastiques si on en regarde les fondements. Quels sont-ils ces fondements ? Essentiellement, ils sont au nombre de trois : le constructivisme, la pédagogie par projets et l’approche par compétences. L’idée de faire élaborer des représentations aux élèves (constructivisme) plutôt que de leur faire assimiler des connaissances est passée dans les pratiques depuis longtemps en enseignement des arts plastiques. De son côté, la pédagogie par projets n’est pas vraiment nouvelle pour nous également; personnellement, je n’ai jamais vu d’enseignants en arts plastiques enseigner à la leçon, à partir d’un manuel d’exercices par exemple; les enseignants proposent à leurs élèves des projets et c’est en réalisant ces projets que les élèves acquièrent les notions disciplinaires essentielles. Enfin, pour ce qui est de l’approche par compétences, j’ai l’impression que les enseignants en arts fonctionnaient comme cela avant même qu’on en parle; pour évaluer leurs élèves à la fin d’une étape, ils devaient tenir compte d’une globalité et non seulement de petits objectifs découpés et additionnés. Je pense que le problème de la réforme, je parle pour nous en arts plastiques, n’est pas conceptuel; je pense qu’il vient davantage d’un manque de prise en compte de la réalité du travail des enseignants lorsqu’on a cherché à l’introduire.

Quelle est la différence entre enseigner les arts plastiques et enseigner une autre discipline ?

Ce que je viens de dire à propos de la réforme concerne particulièrement les arts plastiques. La réalité des autres disciplines est différente. Je conçois très bien que les professeurs de français ou de sciences préfèrent une approche systématique à une approche globale. Mais pour nous en arts plastiques, c’est différent. Quand on regarde comment s’enseignent les arts plastiques depuis quelques décennies, on réalise que les enseignants proposaient déjà des projets à leurs élèves et parfois même des projets interdisciplinaires. On réalise aussi qu’ils focalisaient déjà sur le développement global d’une capacité à créer, d’une compétence à créer, plutôt que sur le développement de connaissances isolées; en arts, les connaissances acquises sont intégrées notamment parce qu’elles s’acquièrent au cours de la réalisation de projets.

Chez nous, en arts plastiques, le processus d’apprentissage c’est le processus de création.

Quand je disais cela devant mes collègues de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, il y a environ 20 ans, ils étaient portés à sourire. Ils ne voyaient sans doute pas encore que dans une perspective constructiviste, le processus de construction est le processus par lequel se développent les connaissances. J’avais proposé aux responsables des cours de théories de l’apprentissage d’intégrer, parmi les théories enseignées, un peu de théorie sur le processus de création puisqu’en arts le processus de création c’est le processus d’apprentissage. Déjà à cette époque, les professeurs d’arts plastiques proposaient à leurs élèves des projets de création leur permettant d’élaborer des représentations; en élaborant ces représentations, leurs élèves construisaient en quelque sorte leur compréhension d’eux-mêmes et du monde. Il faut croire que de ce point de vue, l’enseignement des arts plastiques était passablement en avance.

Qu’est-ce qui nous caractérise comme discipline ?

Chaque discipline contient ses principes, ses règles. Yves Lenoir, un de mes anciens collègues de l’Université de Sherbrooke répertoriait les disciplines scolaires en trois catégories : les disciplines permettant d’engendrer du nouveau réel (comme les sciences humaines), les disciplines permettant de formuler le réel (comme les langues et les mathématiques) et les disciplines permettant d’entrer en relation avec le réel (comme la citoyenneté et le savoir-vivre ensemble). Selon sa conception, les arts se situent à l’intersection de toutes ces disciplines parce qu’ils remplissent les trois fonctions. Tout cela est intéressant, mais ça demeure une explication théorique.

Par ailleurs, on associe souvent la création artistique à la pensée divergente. Personnellement, je préfère parler de pensée expérientielle par opposition à la pensée conceptuelle. La pensée expérientielle, c’est un peu la « folle du logis »; c’est une pensée qui n’est pas rationnelle, une pensée sauvage, comme l’appelle Lévi-Strauss, une pensée qui n’obéit pas aux règles de la pensée cartésienne. Plusieurs pensent qu’en arts, on n’est que dans le subjectif, dans l’irrationnel, dans une pensée expérientielle. Mais en arts, on est dans les deux types de pensée : pensée expérientielle et pensée conceptuelle. En fait, parce que les arts sollicitent l’interaction constante de ces deux types de pensée, ils contribuent au développement d’une capacité de les conjuguer.

Je pense que ce qui nous caractérise par rapport aux autres disciplines, c’est une participation importante des processus sensibles que je qualifie d’expérientiels, d’irrationnels parce que leur logique échappe à une certaine rationalité. Je dis bien « une certaine rationalité », parce qu’on dit que la logique du rêve nous échappe, mais on conçoit maintenant que le rêve possède sa propre logique. Quand on est dans le rêve, on est dans des processus de pensée sauvage, de pensée expérientielle, des processus de pensée qui servent si bien le travail de création, mais ces processus à eux seuls ne peuvent pas suffire. La pratique artistique n’est pas seulement un lieu de déferlement et d’explosion, elle demande également de contrôler des moyens, des médiums, des matériaux; en arts plastiques, la réalité matérielle nous rejoint tout le temps. Dans ma thèse, j’ai cherché à montrer que le cours d’arts est le lieu par excellence pour le développement d’un bel équilibre entre pensée expérientielle et pensée conceptuelle, un équilibre entre deux formes de pensée qui nous sont essentielles. Dans les années 1970, Kenneth Lansing avait déjà dit que les arts permettent d’harmoniser humeur et raison. Ce que ma thèse cherche à montrer va également dans ce sens.

Parlons un peu de l’évaluation.

Dans nos programmes, on a souvent confié la responsabilité de l’évaluation à des docimologues qui ont du mal à comprendre la spécificité du domaine des arts. La docimologie est elle-même reliée à des disciplines de mesure; elle est davantage associée aux sciences exactes et convient moins bien aux arts. Est-il possible d’évaluer, pour être équitable, les productions de tous nos élèves de la même manière ? Je ne crois pas, parce qu’en arts, il faut d’abord partir du sujet, de la personne même de l’élève; l’art est un lieu d’engagement de la subjectivité.

Les docimologues proposent parfois, pour évaluer correctement, de regarder la correspondance entre la proposition de départ de l’enseignant et la réponse (réalisation finale) de l’élève. En arts, la proposition de départ n’est pas un but en soi, c’est un point de départ. Ce qu’on veut, c’est que l’élève traite la proposition, qu’il la transforme, qu’il la fasse passer par le filtre de sa subjectivité. Dit autrement, on veut qu’il s’approprie la proposition et qu’il la personnalise. On veut une réponse empreinte de subjectivité. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas une correspondance exacte, une correspondance précise entre proposition et réponse, mais plutôt le fruit d’un cheminement, d’une démarche de création.

Que faut-il pour être en mesure de vivre son enseignement comme un travail de création ?

Pour développer ma didactique, je m’en suis constamment remis à la discipline, à la pratique des arts plastiques. Il m’est arrivé souvent de réfléchir à la place de la pédagogie et à la place de l’art dans la formation des maîtres. Doit-on donner préséance à la formation artistique ou à la formation pédagogique ? Je crois qu’il faut, avant tout, mettre les futurs enseignants en arts en contact avec l’art, avec leur discipline. Hélène Gagné dont j’ai parlé tout à l’heure se référait beaucoup elle aussi à la discipline dans le développement de sa pensée didactique; cela n’est pas surprenant, car elle avait une expérience de la pratique artistique, une expérience à laquelle elle pouvait se référer pour faire des choix didactiques.

Quand on choisit une discipline, on va vers elle parce qu’on s’y sent bien. Selon Kolb et Fry (1975), le contact avec la première discipline dans laquelle on s’investit nous donne des cartes mentales à partir desquelles toutes nos autres cartes mentales viennent se greffer. Cela porte à croire que les futurs enseignants en arts doivent être prioritairement en contact avec leur discipline artistique. En s’imprégnant d’abord de leur discipline, les enseignants en formation sont portés par la suite à concevoir leur enseignement à travers les cartes mentales qu’ils ont développées au contact des arts plastiques.

En ce qui a trait à la formation des maîtres en arts plastiques, je crois que nous avons atteint à l’UQAM un bon équilibre entre création et pédagogie. Plusieurs étudiants en enseignement des arts vivraient difficilement une coupure radicale avec la discipline première, avec la pratique artistique. Après un contact plus soutenu avec la formation artistique en première année de baccalauréat, nous favorisons une alternance entre formation pédagogique et formation artistique. Ainsi, à partir de la deuxième année du baccalauréat, il y a alternance entre les deux formations : sessions de formation à l’enseignement et sessions de formation artistique. Pendant les trois dernières années du baccalauréat, cette alternance permet la maturation d’une pensée pédagogique et d’une pensée artistique.

L’enseignement est une chose qui se vit à temps complet et de son côté, la pratique artistique est également très exigeante.

Une fois engagés dans une carrière en enseignement, il demeure difficile pour les enseignants de poursuivre une pratique artistique, car l’enseignement ça se vit à temps complet. Il existe néanmoins des modes de conciliation. Guylaine Beaubien laisse voir dans son mémoire de maîtrise comment elle part de sa propre pratique artistique pour stimuler la création chez ses élèves et réciproquement elle montre comment les réalisations de ses élèves nourrissent ses propres projets artistiques. Dans sa recherche doctorale, Hélène Bonin s’est intéressée à la vie des professeurs d’arts plastiques; sa thèse laisse voir que bon nombre d’entre eux transfèrent dans leur enseignement leurs schèmes de création artistique. Ces professeurs d’arts conçoivent en quelque sorte leur enseignement comme un processus créateur en s’investissant dans la création et la conduite de projets qu’ils proposent à leurs élèves. Je pense que plusieurs professeurs d’arts se réalisent en tant qu’individus en transférant ainsi leurs schèmes de création artistique dans la création pédagogique.

Vivre son enseignement comme un travail de création fait en sorte qu’on cherche continuellement à renouveler les propositions, les mises en situation, les projets. Je ne connais pas beaucoup d’enseignants en arts plastiques qui conçoivent un bon projet et qui le reprennent pendant cinq ans. Règle générale, ils ont tendance à renouveler leurs projets ou du moins à les transformer quand ils les proposent à nouveau à leurs élèves. Cette attitude caractérise également le travail des artistes qui renouvellent continuellement leurs propositions.

Dans la représentation de la dynamique de création que j’ai développée et qui a servi à définir la démarche de création dans les programmes d’arts actuels, j’ai mis en évidence qu’une des aptitudes essentielles pour créer, c’est d’être capable de se laisser tracasser, de se laisser tourmenter pendant un certain temps par toutes sortes de questions. Les enseignants qui conçoivent leur enseignement comme un travail de création vivent cela de façon organique et non linéaire. Chez eux, le transfert des schèmes de création artistique dans l’enseignement devient un processus naturel. Certains m’ont raconté que les vacances d’été sont favorables à l’émergence de toutes sortes d’idées inspirant des projets qu’ils proposent par la suite à leurs élèves. Ils connaissent ainsi durant l’été une certaine errance qui est féconde pour leur enseignement; le relâchement en2 période estivale leur permet en quelque sorte d’entrer dans un état de flottement (Paul Valéry parle d’état chantant), qui les ouvre à l’inconnu et qui favorise l’émergence d’idées qui deviendront des projets de création passionnants pour leurs élèves.

Valéry a dit que l’œuvre ultime de l’artiste, c’est l’artiste lui-même qui, à force de construire, finit par se construire. Alors on est dans ce système-là avec nos élèves. L’œuvre ultime de l’élève c’est ce qu’on pourrait appeler « l’élève plus », l’élève qui ayant vécu des projets de création passionnants se sent davantage maître de ses moyens. J’imagine facilement le deuil des professeurs qui cheminent avec leurs élèves pendant trois, quatre ou cinq ans. Quand nos élèves quittent nos classes d’arts, une partie de nous part avec eux. Les enseignants en arts sont d’importants facteurs de développement pour les élèves. J’ai déjà fait sursauter une collègue en disant que pour le professeur d’arts plastiques, l’étudiant est en quelque sorte un produit de son travail de création. Je le dis avec une certaine nuance. Je ne veux pas dire par là que le professeur d’arts façonne ses élèves à son image, mais plutôt qu’il les aide à se réaliser, à devenir eux-mêmes. Et quand les élèves se réalisent vraiment à travers leurs projets de création, quand le professeur d’arts voit qu’ils créent leur propre vie, il a parfois le sentiment d’y être pour quelque chose.

Comment crée-t-on son enseignement ?

L’enseignement n’est pas neutre. Tout comme le travail de création artistique, l’enseignement des arts sollicite l’engagement de la subjectivité. On pourrait formuler ça autrement en disant simplement qu’enseigner les arts demande de s’engager. Mais dans « s’engager » le « s’ » est très important. C’est une part de soi qu’on engage dans ce processus. Dans son mémoire de maîtrise, Anne Deslauriers a cherché à saisir sa propre pratique d’enseignante en arts plastiques. Une pratique, ça peut se traduire par des mots d’action. Sa question principale pouvait donc se résumer ainsi : quelles sont les actions qui définissent mon enseignement ? Après s’être mise à analyser sa pratique enseignante pour en identifier les actions principales, elle a réalisé qu’elle n’arriverait pas à parler de ses actions sans parler des valeurs qui les supportent. En accompagnant le cheminement de recherche de praticiens désireux de saisir davantage leur pratique, j’en viens à réaliser que ces mêmes praticiens, qu’ils soient artistes ou enseignants, ne peuvent pas parler de leur pratique et des actions qui la définissent sans parler des valeurs, des théories et des croyances dans lesquelles s’ancrent leurs actions.

Le travail d’enseignement n’est pas neutre. Que ce soit de façon consciente ou non consciente, nos valeurs influencent nos actions pédagogiques. Engager sa subjectivité dans son enseignement, cela signifie pour une bonne part accepter de laisser parler nos valeurs dans notre enseignement. Non pas comme une part de soi que l’on impose à nos élèves, mais plutôt comme une part de soi que l’on partage avec eux. Laisser transparaître ses valeurs dans son enseignement, c’est laisser voir à nos élèves des choses qui ont de la valeur à nos yeux. Et montrer à nos élèves que certaines choses ont de la valeur à nos yeux, les incite à réfléchir sur les choses qui ont de la valeur pour eux-mêmes.

Enseigner, est-ce un art ?

Cette question est directement liée à la question de vivre son enseignement comme un travail de création. On a beaucoup parlé de l’artiste-enseignant; on parle alors d’une personne chez qui la pratique artistique serait à l’avant-plan. J’ai développé la notion d’enseignant-artiste pour désigner les enseignants qui transfèrent dans la création pédagogique leurs schèmes de création artistique. Pour moi, l’enseignant-artiste est celui qui vit son enseignement comme un art en soi. Dans les universités on a des facultés de sciences de l’éducation. D’abord, l’éducation n’est pas une science; c’est un domaine profitant de la contribution des sciences telles que la psychologie et la sociologie. L’enseignement c’est d’abord une pratique, c’est un faire. J’entends Hélène Gagné dire que partout où il y a un faire, il y a un art. Une pratique comme celle de l’enseignement des arts ne peut pas être comprise essentiellement comme une science. Il faut la comprendre aussi comme un art. Cette idée n’est pas nouvelle. L’enseignement de l’art c’est un art en soi a déjà dit Eisner. C’est d’ailleurs une idée qu’a développée André Théberge dans un article où il propose de former les enseignants en arts comme des artistes de l’enseignement.

Et l’AQÉSAP dans votre parcours ?

J’ai commencé à participer aux congrès de l’AQESAP en 1979, à l’époque de Monique Brière et de Luc Paquette. Ça fait donc plus de 30 ans que je suis membre de l’association. J’y ai trouvé un noyau de personnes dynamiques pour qui l’enseignement des arts n’est pas seulement pas un travail alimentaire. L’AQESAP est arrivée dans ma vie au moment où il me fallait choisir entre la poursuite d’une pratique artistique déjà bien entamée et l’engagement dans la cause de l’enseignement des arts. Tranquillement le temps a fait son œuvre et je dois dire que ce que j’ai trouvé à l’AQESAP au contact de personnes passionnées par l’éducation artistique a été très important pour moi.

Références des ouvrages cités

Bonin, H. (2007). La conciliation de composantes identitaires chez des enseignants en arts plastiques au secondaire. Thèse de doctorat, Faculté des sciences de l’éducation, Université du Québec à Montréal.

Beaubien, G. (2004). Pour conciliation de la pratique pédagogique et de pratique de création. Mémoire de maîtrise, École des arts visuels et médiatiques, Université du Québec à Montréal.

Deslauriers, A. (2011). Comprendre l’enseignement des arts comme un art en soi : saisie d’une pratique en enseignement des arts plastiques. Mémoire de maîtrise, École des arts visuels et médiatiques, Université du Québec à Montréal.

Gosselin, P. (1993). Un modèle de la dynamique du cours optimal d’arts plastiques au secondaire. Montréal: Les publications de la Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal, 279 pages.

Gosselin, P., Potvin, G., Gingras, J.-M. et Murphy, S. (1998). Une représentation de la dynamique de création pour le renouvellement des pratiques en éducation artistique. Revue des sciences de l’éducation , vol.XXIV, no 3, 647-666.

Valéry, P. (1921). Eupalinos ou l’architecte. Paris : Gallimard, 1938.

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